Par Baya TRAORE

Bamako, 15 oct (AMAP) Beaucoup de jeunes filles à Bamako cherchent à gagner leur pain dans la prostitution. Ces jeunes filles, de 14 à 25 ans, s’adonnent à cette activité sans se soucier des impacts négatifs sur leur propre personne. Elles s’y livrent aux yeux de tout le monde. On les voit aux abords des voies, sur les espaces publics et même dans les marchés.

C’est le crépuscule. Derrière le terrain d’entrainement de l’équipe de football du Réal de Bamako. Plusieurs jeunes filles font le trottoir. En petites tenues très sexy mais pas chères, elles sont une vingtaine à attendre des clients. Pendant que certaines sont seules, d’autres bavardent à deux. Dans un coin, certaines laissent échapper des bouffées de fumée de cigarette. « Psitt! Psitt ! », elles sifflent pour attirer des passants. D’autres proposent à des piétons de les accompagner. «Ka nan ?» (Je vous rejoint ?), lancent-elles à l’endroit de passants.

Parmi ces filles de joie, Aminata Coulibaly, une jeune mère âgée de 17 ans. Devant elle, un motocycliste s’arrête. Après un bref échange, elle disparait avec son premier client pour ne revenir que 45 minutes plus tard. Au bout d’une trentaine de minutes Aminata a un autre client, Cette fois-ci, un piéton. Elle dit ne pas faire ce « travail » par plaisir mais plutôt par nécessité de faire face à ses difficultés financières et de prendre soin de sa mère ainsi que de son fils d’un an et demi.

Aminata a abandonné les études au lycée, en 10 ème année, à cause de sa grossesse. «Mon partenaire a nié en bloc la responsabilité de son acte», regrette Aminata dont la mère faisait, à l’époque, du petit commerce pour s’occuper d’elle. « Aujourd’hui, raconte-t-elle, sa maman est immobilisée après un accident ». «J’utilise l’argent que je gagne pour payer le loyer de la chambre, le prix de condiments, en plus des frais du traitement de ma mère et les besoins de mon fils », explique la jeune fille.

Chaque nuit, elle peut gagner de 10 000 à 20 000 Fcfa. Malgré les risques de maladies sexuellement transmissibles (MST) et de Sida dont elle se dit consciente, il lui arrive de ne pas se protéger lors des rapports intimes. «Je n’exige pas le préservatif des personnes qui me proposent beaucoup d’argent et, aussi, des clients réguliers. Je suis au courant des maladies mais je n’ai pas envie d’y penser car j’ai besoin d’argent», se justifie-t-elle.

PAR NECESSITÉ – Notre interlocutrice habite dans un quartier de la Commune IV du district de Bamako. Aux environs de 10 heures, la jeune mère était encore au lit. Après avoir pris le petit déjeuner avec sa famille, elle nous présente sa maman, une sexagénaire trapue de teint noir. « Ma fille est bénie car elle s’occupe de toutes les dépenses de la maison à savoir la location, les frais de mes traitements médicaux ainsi que la nourriture», se réjouie la dame qui ignore la source du revenu de sa fille. Aminata Coulibaly lui a fait croire qu’elle travaille dans un restaurant de la place, pendant la nuit. Elle peine à dissimuler son regret d’être prostituée. «Je souhaite avoir un travail, un jour, pour abandonner cette activité», confie-t-elle.

Rokia, une travailleuse du sexe, enceinte de sept mois, opère sur le même site qu’ Aminata Coulibaly. Agée de 19 ans, elle vit en location avec son petit ami à Kalabambougou. Elle soutient faire ce travail pour subvenir à ses besoins et à ceux de son copain qui est le père de son futur enfant. Pour elle, c’est une manière d’aider cet homme sans travail fixe à prendre en charge les besoins de la famille. «Il sait que j’exerce cette occupation», dit-elle.

Rokia dont les parents sont vivants, a quitté la maison familiale à Djikoroni para, il y a trois ans « J’ai quitté mes parents pour suivre mon petit ami. Avant de partir, on m’avait donné trois fois un fonds de commerce. Mais, j’ai tout investi dans mon amant, car je l’aime », dit-elle.

« Et après, on me frappait tout le temps. C’est pourquoi, il m’a proposé de quitter la famille pour le suivre. Au début mes parents me cherchaient, Maintenant, ils ne le font plus », ajoute la jeune dame.

ENGRENAGE – Quant à Ramata, une autre fille de joie, elle a déjà soufflé ses 23 bougies. Cette habituée est une doyenne de l’espace se trouvant derrière le terrain du Réal. Elle y a passé six ans. « Je suis la maitresse de plusieurs filles ici. Je loue une chambre à Djicoroni para avec trois autres prostituées. Mes parents habitent à Djélibougou Doumazana, en Commune I du District de Bamako», dit-elle.

Ses parents sont au courant de son activité. Elle leur donne de l’argent et contribue aux dépenses familiales, en achetant du riz ou en payant les factures d’électricité. Troisième enfant d’une famille de sept rejetons, Ramata ne regrette pas ce qu’elle fait. «Je ne trouverai aucun travail en ce moment qui pourrait me faire gagner plus. Mais je ne souhaite pas rester dans ce milieu. Pour cela, j’économise de l’argent pour trouver un fonds de commerce», espère-t-elle.

Contrairement à certaines de ses camarades imprudentes, Ramata ne badine pas avec l’usage du préservatif. « L’usage du préservatif par un client dépend de la fille avec laquelle il est. Car, chacun est responsable de ses actes. Moi, je l’exige parce que j’ai peur de contracter des MST. Et, aussi, j’ai vu des filles mourir ici de maladies. Une raison de plus pour moi d’exiger le préservatif », explique-t-elle. Ajoutant que dans leur secteur, une fille peut aller, au minimum, avec trois hommes par nuit.

Les problèmes de «ce métier», selon Ramata, sont, entre autres, le refus de certains clients de payer après la prestation, les agressions des bandits aux heures tardives de la nuit et le racket de policiers dont le montant s’élève à 2 000 Fcfa par prostituée. La jeune fille avoue que beaucoup de ses camarades du secteur n’ont ni pièce d’identité, ni carte les autorisant à pratiquer la prostitution. « En outre, poursuit-elle, il y a des filles qui n’ont que 14 ans ».

En cas de problème de santé d’une des leurs, explique une autre fille, c’est le Samu social qui leur porte secours. Malgré toutes ces contraintes, le nombre de prostituées de ce secteur grossit.

Près des filles de ce secteur, un jeune homme, grand de taille et bien bâti, tenant à la main une bouteille d’alcool. Il se surnomme Puyol. Le quadragénaire noiraud se présente comme le protecteur de ces filles de joie. « Je protège les filles en cas de viol, d’agression ou de refus de paiement par les clients », explique Puyol qui se veut précis sur les clauses de cette protection. «Toutes les nouvelles filles, qui arrivent ici, doivent obligatoirement coucher avec moi d’abord, avant de commencer le travail. En plus de cela, les filles me donnent de l’argent, parfois, en guise de remerciement», affirme « l’agent de protection ».

VIE NOCTURNE – A Faladié, derrière l’ancienne salle de spectacles Blonba, les prostituées sont actives à partir de 20h. Le bord de la route est pris d’assaut par Wassa Traoré, âgée de 17ans, et ses camarades. Cette mère d’un garçon de deux ans, se prostitue depuis un an et demi. « Je donne chaque nuit 1 000 Fcfa à une vendeuse de la gare routière de Sogoniko pour garder mon fils. Je n’ai pas de famille à Bamako, car j’ai quitté en 2016 mon village pour être domestique ici. Au bout d’un an, j’ai rencontré une fille de mon village qui m’a entrainée dans la prostitution», raconte-t-elle. Cette occupation lui permet de gagner 5 000 à 10 000 Fcfa par nuit, Une somme qu’elle ne gagnait pas mensuellement en tant qu’employée de maison.

Djénébou a 17 ans. Elle se prostitue depuis deux ans sur le même site que Wassa. Orpheline de père et de mère, elle habite à Missira. « Je suis dans la grande famille et là-bas, c’est chacun pour soi, Dieu pour tous. Tous les jours, j’avais des problèmes pour me nourrir et m’habiller. Je partais me promener au railda de Bamako. J’y ai fait la connaissance d’une jeune fille du nom de Satou. C’est grâce à elle que je suis venue à Faladié », se souvient-elle.

Djénébou passe parfois la nuit à la gare ou chez certains clients. «Maintenant, je mange à ma faim et j’ai tout ce que je désire », se réjouit-elle.

Quant à Oumou N’Diaye, une fille de 16 ans, native de Magnambougou, elle a intégré ce milieu par hasard. Cette travailleuse du sexe indique qu’elle vit dans des conditions acceptables chez elle. « Même si mes parents n’ont pas beaucoup de moyens, ils peuvent nous assurer l’essentiel», avoue-t-elle.

Oumou a été entrainée dans cet engrenage par un groupe de jeunes de son quartier. Dans la journée et au début de la nuit, elle venait avec ces jeunes à la gare de Sogoniko pour acheter de l’herbe (drogue). Ils fumaient, aussi, le chicha ensemble. « C’est ainsi, raconte-t-elle qu’elle s’est retrouvée dans la prostitution » qui l’a conduite à subir, déjà, deux avortements. «Mes parents ne sont pas au courant. Ils pensent que j’ai seulement des petits copains. L’argent que je gagne, je l’utilise pour m’acheter des habits et des jolis téléphones», dit celle qui a abandonné les études après trois échecs aux examens du Diplôme d’études fondamentales (DEF).

Selon nos interlocutrices de Faladié, elles n’ont pas un prix fixe. Quand le prix proposé les arrange, elles offrent leurs services. Certaines n’hésitent pas à faire leurs ébats sexuels dans des endroits cachés de la gare.

DOMESTIQUE LE JOUR, PROSTITUEE LA NUIT – Le marché de Ouolofobougou, en Commune III du District de Bamako, connaît une vie nocturne animée de rondes des prostituées. A partir de 22 heures, c’est la chasse aux clients. N’toma, une jeune domestique âgée de 14 ans, est fidèle au rendez-vous.

Elle explique que les prostituées de ce site sont toutes des domestiques venues des quartiers voisins. Selon N’Toma, ces aide-ménagères travaillent le jour et se prostituent la nuit.

Dans ce marché, des abris de fortune en tôle servent de chambre de passe pour un montant de 1 000 Fcfa. En ce qui concerne les tarifs, N’toma explique que chacune est libre de fixer son prix. Chaque adolescente peut gagner entre 2 000 et 4 000 Fcfa.

«J’utilise cet argent pour acheter de nouvelles chaussures et des habits. Ainsi, je pourrais garder mon salaire de domestique pour mes parents», dit N’toma qui se dit contente de mener ensemble, « sans problème », son activité d’employée de maison et de prostituée.

Sa voisine Djélika, âgée de 16 ans, fait remarquer qu’à cause de cette activité, elle n’arrive plus à se consacrer entièrement à son travail de domestique. « C’est pourquoi, explique la jeune fille, elle perd régulièrement son travail ». «Je préfère mettre fin à mon emploi de domestique que d’arrêter cette activité, car elle est moins fatigante et je gagne plus». L’utilisation de préservatifs ? Nos deux interlocutrices jurent qu’elles ne sont pas prêtes à faire des rapports sexuels non protégés.

Modibo Touré, un ouvrier de 26 ans, est un fidèle client. Il dit avoir commencé à fréquenter ce lieu depuis quelques mois. « Je préfère ces filles à celles qui sont dans les hôtels ou dans les quartiers, car elles sont jeunes et ne sont pas chères. Avec un peu d’argent, je peux satisfaire ici mon besoin de sexe. Alors qu’avec une fille du quartier, il faut beaucoup dépenser », se justifie-t-il. Selon lui, « les filles du quartier sont compliquées surtout avec leur histoire d’uniforme de mariage ».

Moussa Diallo, fonctionnaire, qui passe habituellement par cette voie où opèrent les filles de joie, qualifie de « très humiliant » cette activité nocturne qui donne une mauvaise image de notre pays. Il explique le phénomène par la dégradation de l’éducation. « Les parents ont failli dans leurs responsabilités car ils ne surveillent plus les enfants. Il ne suffit pas seulement de donner de la nourriture ou d’acheter des habits à un enfant, il faut obligatoirement le surveiller, l’éduquer et lui enseigner des valeurs morales », affirme M. Diallo.

Il soutient que les parents d’hier étaient plus pauvres mais leurs enfants étaient mieux éduqués. Parlant des jeunes filles, il estime qu’elles ont juste choisi le gain facile sans se soucier des conséquences.

Notre interlocuteur invite les parents des domestiques à arrêter d’envoyer les mineurs dans la capitale ou de leur trouver des tuteurs dignes de confiance à Bamako.

BT (AMAP)