Discours de nouvel an 2020 du président de la République, Ibrahim Boubacar Keita
Mes chers compatriotes de l’intérieur et de la diaspora,
Hôtes du Mali, qui partagez notre quotidien, nos joies et nos peines,
Encore une fois, par la Grâce du Seigneur Dieu, Créateur des Mondes, Nous nous retrouvons avec bonheur pour vous adresser mes vœux de nouvel an, en cette heure et en ce lieu.
Que l’on peut me permette de savourer avec une exquise humilité le privilège d’être le premier serviteur de la grande nation malienne à laquelle je suis fier d’appartenir.
Fier de lui appartenir parce que nous sommes une nation de dignité avérée.
Fier de lui appartenir parce que nous sommes issus de la même trame solidaire.
Fier de lui appartenir parce que notre ensemble ne résulte d’aucun colmatage, et ne procède d’aucun replâtrage.
Au contraire, il s’est construit de nos voisinages patients et intelligents ; il s’est construit de nos compromis dynamiques et nos de larges consensus chaque fois autour de l’essentiel, quand l’essentiel est menacé.
Cette capacité à rebondir, est, vous le savez bien, la science des peuples majeurs, des vieilles nations.
Précisément ce que nous sommes !
Nous le sommes car nous savons toujours jusqu’où ne pas aller.
Nous le sommes aussi car nous savons que nous n’avons pas le droit de retomber dans l’Obscur, les Ténèbres, après avoir été producteurs de lumière et ouvreurs de voie.
Comme le fut Tadamakatt ! Comme le fut Koumbi Saleh ! Arawane ! Kouroukan Fouga ! Kirina ! Hamdallahi ! Segou Koro ! Sikasso, Logo Sabouciré, Tabi ! De même que tous ces nombreux autres centres de civilisation qui ont cultivé l’humanisme dans ce berceau d’Empires illustres devenu aujourd’hui cette République du Mali que nous avons égale obligation de chérir, de veiller et de promouvoir.
Il ne s’agit nullement à mon sens d’un hasard de la distribution, mais d’une mission qui nous est confiée, d’un défi à relever : celui de faire le Mali, « même s’il faut notre sang ».
Mais celui de faire un Mali divers et uni, un Mali un et indivisible !
Ce devoir incombe à chacun d’entre nous, d’où que nous soyons : du fleuve, des falaises, des dunes, des lacs, de la savane, et quelle que soit la langue dans laquelle nous nous adressons à l’ensemble national : bamanan, hassaniya, bomu, mandekan, fulfulde, tamasheq, senufo, kassonké, dafing, dogono, bozo, minianka.
Cela est faisable, mes chers compatriotes,
D’ailleurs, nous sommes en train de le faire.
En effet, malgré la crise insidieuse qui nous affecte, l’économie nationale se révèle d’une remarquable résilience, avec un taux de croissance soutenu et une inflation maîtrisée.
Il ne s’agit pas là d’un phénomène conjoncturel mais d’une tendance lourde depuis 2013 où le taux de croissance économique annuel est de 5%.
Nos recettes augmentent et nos dépenses publiques sont de plus en plus maîtrisées.
Avec un encours de dette en pourcentage du PIB de l’ordre de 37% pour une tolérance de 70% dans l’espace CEDEA0, le Mali est l’un des pays les moins endettés de l’Afrique de l’Ouest.
Son potentiel d’endettement est loin d’être entamé alors que ses dépenses d’investissement en 2019, ont représenté 34,8% de ses recettes fiscales, c’est-à-dire largement au-dessus de la norme minimale de 20%, fixée par l’UEMOA et la CEDEAO.
C’est compte tenu de tous ces efforts qu’en août 2019, le Conseil d’Administration du Fonds Monétaire International, a approuvé un nouveau Programme de Facilité Elargie pour un montant de près de 192 millions de dollars US, donnant ainsi un signal positif à nos autres Partenaires Techniques et Financiers.
Ensuite, grâce à l’allocation de 15% du budget national alloué au secteur agricole, conjugué à une bonne pluviosité et au légendaire culte de l’effort du paysan malien, des performances records ont été obtenues.
Sans précédent dans les statistiques de notre pays, la production céréalière dépasse les 10 millions de tonnes en 2018/2019.
En forte progression avec 728 600 tonnes durant la campagne écoulée, le secteur cotonnier connaît un véritable essor avec une augmentation de 65,57 %.
Cet effort méritoire s’accompagne, avec cent quatre-vingt-six milliards de nos francs, d’un niveau jamais atteint de recettes en faveur des cotonculteurs.
Maliennes et Maliens,
Hôtes du Mali,
Une autre bonne nouvelle est qu’il y a juste une semaine, le pays a clôturé le Dialogue National Inclusif tant attendu, tant réclamé, par notre peuple dans ses diverses composantes.
Personne n’a été exclue ou oubliée : les consultations ont eu lieu dans plus de 600 communes, dans tous les cercles et dans toutes les régions du pays, en plus du district de Bamako.
La diaspora malienne s’est surpassée et plus de 5 millions de réactions relatives à ce Dialogue ont été notées sur les réseaux sociaux, venant de nos compatriotes, de tous les segments et de tous les âges.
L’étape finale des assises qui s’est déroulée à Bamako du 14 au 22 décembre a enregistré la présence de plus de 3000 participants, y compris les mouvements signataires de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation issu du Processus d’Alger.
Tout au long du processus qui a conduit à la tenue de ces assises que de nombreux compatriotes qualifient de refondatrice, des contributions de qualité ont été reçues, émanant de nos anciens chefs d’Etat, de grands commis de l’Etat à la retraite ou en activité, d’autorités morales, civiles ou religieuses de premier plan.
Ils méritent tous notre gratitude pour leur précieux concours ; les Présidents Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré, Dioncounda Traoré. Qu’ils acceptent ici mes vœux de santé, de bonheur et de succès !
Ainsi donc, nos concitoyens auront eu l’occasion de se pencher sur les préoccupations fondamentales du pays. Ils ont débattu de questions nationales vitales sans concession mais dans la plus grande courtoisie, dans le plus strict respect de cette charte malienne du savoir-vivre et du savoir-être qui nous est enviée et que nous devons préserver envers et contre tout.
Les Maliens y ont parlé de Paix et sécurité pour le Mali qui n’est pas, il faut l’admettre, au mieux de sa forme.
Ils y ont parlé de cohésion sociale, de cette cohésion sociale durement éprouvée, dans notre pays.
Ils y ont parlé de politique, d’ institutions et de gouvernance, ce qui n’est pas indifférent dans ce pays qui a été, pendant des décennies, la belle vitrine des processus démocratiques africains.
Les questions sociales et sociétales ont été également débattues, tout comme les questions d’économie et de finances, de culture, de jeunesse et de sport!
Partout où il le fallait, le curseur a été mis, le diagnostic posé et le remède préconisé.
Il n’est donc que normal que nos compatriotes saluent, en la tenue du Dialogue National Inclusif, un bond qualitatif majeur.
Je n’ai également nul doute que par la qualité des débats, la représentativité des participants, la pertinence des résolutions et des recommandations, ces assises portent en filigrane les contours et le contenu du pays que nous voulons avoir, où nous voulons vivre, et où chacun est conscient de sa part de dette et de devoirs envers la nation.
Je l’avais dit et je le redis ici : pour ma part, je ferai tout mon possible pour diligenter la mise en œuvre des résolutions et recommandations validées.
De la même manière, je veillerai à ce que le mécanisme de suivi que le Forum a souverainement souhaité mettre en place, dans son format et dans ses missions, puisse travailler en toute indépendance.
Ce que le Dialogue National Inclusif a voulu et qui est conforme à nos lois, le gouvernement le voudra, le chef de l’Etat le voudra.
Sous mon magistère, les préconisations de ce Dialogue seront mises en œuvre. Inch’Allah !
Je salue et remercie une fois de plus le triumvirat avec Baba Akhib Haidara, Aminata Dramane Traoré, Ousmane Issoufi Maïga. Je salue et remercie Cheick Sidi Diarra président du Comité National d’Organisation du Dialogue. Je salue tous les délégués, les participants, de la diasporta, des communes, des cercles, des capitales régionales et du District pour leur engagement patriotique ainsi que leur dédicace franche et totale qui ont permis à ces assises d’être à la hauteur de ce que le Mali en attendait.
Mes chers compatriotes,
Hôtes du Mali,
Sans les bonnes nouvelles que sont une économie qui tient debout malgré la conjoncture difficile, sans le succès reconnu par tous du Dialogue National Inclusif 2019, aurait été une année noire, un véritable annus horibilis.
A une échelle sans précédent, des localités entières de chez nous, qui furent jadis havres de paix et de tolérance, ont vu la haine tuer et brûler.
Les heurts intercommunautaires, les violences motivées par la vengeance ou par le calcul d’installer la stratégie paralysante de la peur, nous ont confronté à des barbaries d’un autre âge, à des horreurs que nous ne croyions possibles que chez les autres.
Je parle de Koulogo, Ogossagou et Sobané-Da, pour ne citer que ces monstrueuses tragédies imméritées.
Notre armée nationale, dans le même temps, a payé un lourd tribut à ce qui reste aujourd’hui plus que jamais, notre guerre de libération, notre grande guerre nationale.
A Guiré, Dioura, Bullikessi, Indelimane, Tabankort, nous avons subi des pertes douloureuses.
J’ai, comme vous le savez, désigné, cet été, le Pr Dioncounda Traoré, en tant que Haut Réprésentant du Chef de l’Etat pour les Régions du Centre. Notre frère Amadou Toumani Touré qui vient de regagner le pays l’accompagnera.
Après une centaine d’auditions de parties prenantes et la mise en place de ses équipes, le Pr Traoré, ancien chef d’Etat, aborde la phase opérationnelle de sa feuille de route.
L’ennemi a atteint un niveau de sophistication et de violence sans précédent.
Il est passé à la phase ultime de son combat d’arrière-garde, répandant le sang sur son passage, non seulement au Mali, mais dans les casernes de plus en plus endeuillées du Sahel nigérien et burkinabé.
C’est le lieu de nous incliner, une fois encore, devant la mémoire de tous les soldats tombés sur le champ d’honneur, les forces maliennes comme les forces étrangères.
Aux veuves et aux orphelins de tous ces héros, à leurs proches, nous réitérons nos condoléances les plus émues.
Chaque soldat, je dis bien chaque soldat tombé dans notre grande guerre nationale, mérite du Mali et mérite de tout le Mali.
Parce que ce pays sait être. Parce que ce pays sait reconnaitre.
Le lundi 2 décembre 2019, il l’a signifié de nouveau en se rendant à Paris pour prendre part aux obsèques des treize militaires français héroïquement tombés à Indelimane, sur notre sol donc, une triste nuit de novembre.
Que les représentants de nos ordres religieux, musulmans et chrétiens, Son Eminence Jean Cardinal Zerbo, le représentant du Haut Conseil Islamique, Thierno Hady Thiam, le Révérend Pasteur Nouh Ag Infa Yattara, le Grand Imam Kokè Kallé, qui ont bravé le froid et la fatigue pour communier avec le peuple français dans la Cour des Invalides, trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude !
Certes, la crise insidieuse que traverse notre pays nous pousse à vérifier nos prémisses et à remettre en cause nos certitudes.
Mais il y a ce que les flots n’emporteront jamais. Il y a ce qui ne peut être attaqué. Il y a ce qui ne peut être ni cédé ni concédé : c’est notre identité fondée, entre autres valeurs, sur la gratitude et le respect de l’hôte, à fortiori l’hôte venu se battre à nos côtés, pour notre liberté et pour la liberté du monde.
Certains sentiments exprimés via les réseaux sociaux, certains articles de presse, ou par des voix connues, demeurent préoccupants car il est essentiel, voire vital, de ne pas se tromper d’ennemis.
Cependant, les Maliens gardent dans leur cœur, Damien Boiteux, le premier soldat français tombé sur le sol malien en janvier 2013 lors de la défense de Konna.
Ils gardent dans leur cœur tous les autres soldats, français, tchadiens, ou d’autres nationalités, qui ont payé de leur vie pour que les Maliens, eux, soient libres.
Du reste, tous les discours officiels de 2012 où nous n’étions pas encore aux affaires, à la date d’aujourd’hui portent témoignage de la solidarité sans précédent dont notre pays a bénéficié tout au long de sa crise.
Que tous nos partenaires trouvent ici l’expression de notre profonde gratitude pour leur fraternelle coopération : CEDEAO, Union africaine, MISMA, Serval, Minusma, Barkhane, Union européenne, OCI, coopération bilatérale, humanitaires prenant tous les jours des risques pour porter assistance aux populations ou pour ouvrir de nécessaires canaux de dialogues avec ceux que le seul dialogue permettra de récupérer.
Ce sentiment de gratitude est, j’en reste convaincu, celui de la majorité des Maliens.
Celle-ci ne saurait être confondue avec une minorité d’activistes, de francs-tireurs ou de forces centrifuges qui cherchent à faire feu de tout bois, y compris le jeu des terroristes.
Le Mali reste sain dans sa majorité. Le Mali garde encore ses valeurs de bienséance et sa force morale.
Mais le Mali a une constitution et un territoire.
Son combat doctrinal est qu’on lui permette de mettre en œuvre sa démocratie laïque, laïque, sans compromission aucune, je dis bien une laïcité sans compromission aucune.
Son combat existentiel est qu’on lui permette de garder son intégrité territoriale, toute son intégrité territoriale.
Je suis certain et assuré que ce combat est celui de nos partenaires et que les incompréhensions et malentendus éventuels qui font partie du partenariat, de tout partenariat, seront dissipés dans les meilleurs délais, afin que dans la guerre sauvage qui leur est imposée, le moral de nos forces soit préservé, qu’elles soient burkinabe, françaises, maliennes, nigériennes ou onusiennes.
La rencontre de Pau le 13 janvier entre le Président de la République française et ses homologues du G5 sera décisive, en ce qu’elle permettra de mettre sur la table toutes les questions, tous les griefs, toutes les solutions.
Mes chers compatriotes,
Je ne saurai, terminer cette adresse sans une fois de plus en appeler à l’esprit civique, toutes et tous, quant à l’impérieuse nécessité d’une trêve sociale.
Garant du bien-être individuel et collectif de nos concitoyens, je ne suis pas en train, ce faisant, de mettre en cause la légitimité ni la légalité des revendications matérielles, car aucune misère n’est acceptable, ni matérielle ni morale ni spirituelle.
Que les syndicats s’en rassurent : je trouve noble et démocratique leur combat. A fortiori lorsque ce combat est celui de syndicats de l’éducation se battant pour le mieux-être du corps le plus essentiel de la nation, à savoir le corps enseignant qui mérite le meilleur de ce que peut lui offrir une nation.
Hélas, bien que notre Etat essaie de pourvoir à tous les secteurs malgré ses ressources modiques, il est pris à la gorge par l’effort de guerre.
Parce que le Mali lui-même est ébranlé dans ses fondements, parce qu’il faut tout faire pour empêcher l’effondrement de notre Etat, une proportion de plus en plus importante du budget est consacrée à l’équipement, au recrutement, à la formation et la montée en puissance de nos forces de sécurité et de défense, face à des adversaires qui gagnent redoutablement en efficacité.
Par la force des choses, mes chers compatriotes, l’investissement dans la guerre est devenu notre première source de dépenses.
Ce secteur absorbe 24% des ressources budgétaires de notre pays où tous les investissements sont prioritaires et urgents.
Mais vous le savez bien, c’est parce que la paix est la première des infrastructures, celle qui conditionne toutes les autres.
Je sais que le Dialogue National Inclusif a débattu de la question de la trêve sociale. Mais je vous soumets de nouveau la demande. Je vous la soumets en toute déférence, mais je vous la soumets avec insistance.
Une conférence sociale est nécessaire ? Alors, allons-y ! Faut-il s’entendre sur un nouveau pacte de croissance et de solidarité revu à la lumière de la nouvelle donne qui conditionne la survie du Mali ? Alors, allons-y !
Les chiffres sont encourageants. Mais ceux qui me savent, savent aussi que ce tableau ne saurait me satisfaire.
Car je sais la souffrance de la majorité de nos compatriotes. Je sais la pauvreté et la précarité qui affectent encore de larges couches de nos populations.
Je sais la prévalence du chômage malgré les efforts pour promouvoir l’entreprenariat-jeunesse.
Je sais la soif d’eau potable. Je sais le besoin d’électricité de nos villes et de nos campagnes. Je sais l’urgence de démocratiser l’accès à la santé, une santé digne d’un pays aux ambitions d’émergence. Je sais l’urgence de démocratiser l’accès à l’éducation, une éducation digne d’un pays aux ambitions d’émergence.
Le gouvernement est à pied d’œuvre, se battant sur plusieurs fronts et remportant, dans des biens des domaines, des victoires.
Je ne saurais m’en vanter, ce qui est à faire ou à parfaire restant énorme.
Maliennes et Maliens,
Au seuil de cette nouvelle année, je formule à l’endroit de chacune de vous et de chacun de vous, mes vœux les meilleurs, de santé car c’est notre bien le plus précieux, et de succès dans tout ce que vous entreprendrez. Qu’Allah veille nos malades et étende Sa Grâce sur l’âme de nos disparus !
Je vous prie d’ouvrir encore plus vos cœurs pour les Non-Maliens qui vivent parmi nous et qui ne seront jamais étrangers sur ce sol ouvert à tous les souffles amicaux du monde. Chérissez-les, car ils sont vos sœurs et vos frères ! Chérissez-les car ils sont nombreux à être venus se battre à nos côtés, soldats de la liberté, soldats de l’honneur, soldats de la fraternité !
Les mots de la fin, je voudrais les réserver aux jeunes : ce soir de la Saint- Sylvestre, je voudrais vous conseiller plus de prudence sur les routes.
Qu’Allah bénisse le Mali !