Par Abdramane DIOMA

Bamako, 27 fév (AMAP) L’interdiction de la vente et la consommation de chicha sur toute l’étendue du territoire malien est entrée en vigueur, depuis mi-février 2023, et les services techniques compétents appliquent rigoureusement l’arrêté. Tous appareils et accessoires de chicha saisis seront détruits. Et les contrevenants s’exposent aussi à des sanctions.

L’annonce de la décision avait été unanimement saluée ou presque par nos compatriotes qui s’indignaient de voir des jeunes (garçons et filles) se livrer à une consommation outrancière de la pipe à eau. Certains s’interrogeant sur les capacités des autorités à appliquer la mesure, après le délai accordé aux importateurs, distributeurs et consommateurs de la chicha pour se conformer à la décision.

L’Office central des stupéfiants (OCS) a sonné la fin de la recréation. Une unité de cette structure, en collaboration avec d’autres services techniques compétents, a réalisé une descente dans des clubs de chicha. Cette une patrouille a été menée par le lieutenant-colonel Siliman Sangaré, chef de renseignements et des opérations par intérim à l’OCS et ses éléments. Au total, une cinquantaine de personnes ont été appréhendées et un important lot de matériels saisi.

Depuis la publication du communiqué interministériel du 15 août 2022, les commentaires et les avis sur la mesure d’interdiction divergeaient sur les réseaux sociaux. Les puritains, qui ont en aversion la chicha, ont bien accueilli la décision. Ils estiment qu’un relâchement dans cette lutte représenterait une victoire pour les acteurs frappés par la mesure.

Ceux pour qui la chicha reste un gagne-pain s’accommodent mal de l’interdiction et n’apprécient guère de vivre une telle situation. En tout cas, le sujet fait le buzz sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Tik-tok.

Il est admis par tous que la consommation de chicha a pris de l’ampleur dans notre société, il y a une dizaine d’années. Le produit, qui nuit gravement à la santé, est surtout consommé par la frange juvénile. La chicha, elle-même, est fabriquée à base de tabac : nicotine et goudron mélangés aux fruits avec de l’arôme parfumé. Une autre préoccupation reste l’utilisation faite par les drogués qui s’exhibent dans la rue avec la chicha et prennent leurs doses.

Dans les « grins », bars, restaurants et night-clubs, on fume la chicha. Les jeunes filles ont développé une addiction au phénomène. Ce qui justifie, en partie, leur engouement pour les boites de nuit, resto ou chicha-clubs. Beaucoup d’entre elles pensent que le club ou le restaurant qui ne dispose de chicha est démodé. Dans la lutte contre le phénomène, les unités de répression de l’OCS ont repéré de nombreux lieux de consommation à Bamako et dans les capitales régionales.

Le phénomène de la chicha est une toxicomanie presque banalisée qui entraine une consommation précoce d’autres drogues par les jeunes. Pourquoi ? Parce qu’en plus du tabagisme lié à sa consommation, la chicha permet de dissimuler la consommation de divers produits dérivés du cannabis tels que le haschich, le Kusch et des médicaments détournés de leur usage qui sont utilisés à la place du tabamel des chicha.

Dorénavant, toute personne détenue pour cause de consommation de ce produit sera punie d’une peine d’un à dix jours et payera une amende allant de 300 à 10 000 Fcfa. Les sentinelles pour le respect de la mesure d’interdiction sont les ministères chargés de la Sécurité, de la Justice, de la Santé, de l’Industrie et du Commerce, de l’Economie et de la Jeunesse.

TOXICOMANIE DÉGUISÉE ET BANALISÉE – Le ministère de la Sécurité et de la Protection civile, en collaboration avec l’OCS en sa qualité de service central de lutte contre les stupéfiants sur toute l’étendue du territoire national, a pris l’initiative de l’interdiction de la chicha, qui à l’origine était du tabac.

« Aujourd’hui, c’est un moyen de consommation de drogues et de médicaments détournés de leur usage pharmaceutique », a expliqué le chargé de communication de l’OCS, Ousmane Diakité.

«En effet, par réquisition, nous avons saisi le Laboratoire national de santé pour analyser quelques échantillons de produits de tabac utilisés dans la chicha. Les résultats ont prouvé la présence de produits stupéfiants dans tous les échantillons examinés. Face à ce phénomène de toxicomanie déguisée et banalisée, nous avons saisi le ministre de la Sécurité et de la Protection civile en vue d’interdire l’usage de la chicha au Mali», ajoute-t-il. Et de souligner qu’à partir de mi- février 2023, les services de répression et ceux de l’OCS procéderont à l’application rigoureuse des dispositions de l’arrêté, en saisissant tout appareil et accessoire de chicha découvert et tout appareil saisi sera détruit par les moyens appropriés.

La chicha est devenue un gagne-pain pour certains jeunes propriétaires de boutiques de vente de chicha et accessoires ainsi que les chicha-clubs, notamment à Bamako. Grâce à la mesure, certains se sont reconvertis. M.S, âgé de 24 ans, titulaire d’une licence en finance et comptabilité, était propriétaire d’une boutique de chicha dans un quartier de la Commune III à Bamako. Selon lui, la mesure a impacté son business. Mais il admet qu’elle va surtout protéger les enfants.

«Je soutiens l’Etat dans la lutte contre la délinquance financière et la consommation des mauvais produits, même si je gagnais beaucoup d’argent dans la vente d’accessoires de la chicha surtout pendant le week-end. J’avais de nombreux clients, particulièrement les filles », dit M.S.

Il attire l’attention sur le fait que le charbon utilisé pour la chicha a une autre utilité. «Au Mali, il était utilisé, bien avant la chicha, par les femmes pour brûler l’encens dans les chambres », dit-il. « En tant que jeune entrepreneur, j’ai reconverti ma boutique en alimentation et elle marche bien pour le moment. Cette reconversion n’a pas été difficile», affirme M.S.

Il s’est réjoui de la mesure qui renforce l’éducation et la surveillance des jeunes filles, incriminées comme étant de grandes fumeuses de chicha. «Les filles sont devenues très accro à la chicha. Cela peut provoquer des problèmes sur leur santé reproductive. Les enfants aussi doivent être surveillés à tout moment», fait-il savoir.

PAS DE BRAS DE FER- Beaucoup pensent que l’interdiction peut pousser à mettre au point d’autres stratégies de consommation, notamment à la maison. « Pour éviter cette situation, il faut des contrôles assidus, sinon les ‘grins’ seront délocalisés dans les chambres », estiment-ils.

Il y a quelques jours, les unités de l’OCS et la police ont fait des descentes à Bamako, Sikasso et dans d’autres villes pour traquer les contrevenants.

Le président des syndicats de l’Association des promoteurs et distributeurs de chicha au Mali, Mamadou Diawara, appelle à une analyse plus poussée du problème puisque l’interdiction augmentera le chômage. Et il n’est pas évident que les gens renoncent. Il estime qu’on aurait dû essayer d’autres alternatives parce que c’est difficile de priver un fumeur de son désir. Pour lui, il faut du temps et faire appel à la responsabilité des adultes et des opérateurs économiques.

Les clubs de chicha sont environ 200 à Bamako et quelque 3 000 jeunes vivent de la chicha. « Imaginez, l’impact de la mesure en termes de chômage dans des boites de nuit, boutiques, bars et restaurants. La chicha est beaucoup plus rentable pour ces lieux de loisir », dit le président des syndicats de l’Association des promoteurs et distributeurs de chicha,

Cependant, il précise qu’il n’y aura pas de bras de fer avec les autorités.

AD/MD (AMAP)