
Meeting de soutien au CNSP par le Mouvement populaire du 4 septembre (MP4), Photo: AMAP
Bamako, 9 sept (AMAP) On a l’impression que le Mali se préoccupe moins de l’ultimatum de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sommant le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) de désigner un président et un Premier ministre civils, d’ici le 15 septembre 2020, pour conduire la transition.
La réaction du CNSP tarde à venir. Les journaux parlent peu du sujet. Le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces démocratiques (M5-RFP) estime que ce n’est pas une course de vitesse, tandis que certains citoyens pensent que c’est une occasion pour le Mali de prendre son destin en main.
Au moment où le CNSP a ouvert « des concertations nationales sur la gestion de la transition au Mali, les chefs d’Etat de la CEDEAO ont exigé, lundi, que les autorités militaires désignent des personnalités civiles comme président et Premier ministre de la transition, dans un délai d’une semaine. C’était la teneur du communiqué final des travaux de la 57ème session de leur conférence.
« La conférence demande que le président et le Premier ministre de la transition, tous deux civils, soient désignés au plus tard le 15 septembre 2020 ». La CEDEAO a réaffirmé « sa détermination à assurer un retour rapide à l’ordre constitutionnel dans ce pays, avec une transition politique dirigée par un président et un Premier ministre civils pour une période de 12 mois ».
Malgré tout, c’est la sourde oreille. Les militaires du CNSP n’ont pas réagi à cette injonction de l’organisation sous régionale. Aucun communiqué officiel. D’ailleurs le CNSP continue ses consultations. Pour appuyer les nouveaux hommes forts de Kati, une organisation de la société civile, Mouvement populaire du 4 septembre (MP4) a vu le jour pour soutenir la gestion de la transition par le CNSP. Ce mouvement a tenu un meeting populaire de soutien aux Forces armées maliennes, mardi, à la Place de l’Indépendance pour fustiger la CEDEAO et « sommer » les hommes politiques de laisser le CNSP diriger le pays.
SOUTIEN AU CNSP – La transition en vue ne réussira qu’avec un militaire à sa tête. C’est la conviction du MP4 qui l’a clamé au meeting à la Place de l’indépendance. Cette manifestation, première activité d’envergure de ce mouvement porté sur les fonts baptismaux il y a seulement quelques jours, intervient au lendemain du sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO.
Les manifestants, à travers des slogans hostiles à l’organisation sous régionale ont vitupéré contre l’ultimatum des dirigeants ouest africains exigeant un président et unPremier ministre de la transition civils, dans une semaine.
Pour les manifestants, cette exigence doit se conformer à la volonté du peuple malien. « Et cette volonté, selon Baba Sanogo, un manifestant, c’est de confier la gestion de la transition aux militaires qui ont renversé le régime de l’ancien président de la République ». Les chefs d’Etat prouveront ainsi que la « Cedeao n’est pas un syndicat de présidents de la République ».
Notre interlocuteur va plus loin, en prédisant l’issue de la concertation nationale qui démarre le jeudi prochain : « Les Maliens confirmeront qu’ils sont favorables à ce que la transition soit dirigée par le Comité national pour le salut du peuple ».
Mais au sein du MP4, certains militants sont conscients que nombre de nos compatriotes ne partagent pas leur avis sur la question. Néanmoins, ils sont bien déterminés à se faire entendre pour que le CNSP garde la main. Partageant ce souhait, Hamidou Guindo met, cependant, un bémol en soutenant que « les militaires corrompus doivent être écartés » et rappelle les événements de 2012, dont l’issue prouve à suffisance qu’il ne « sert pas à grand-chose d’imposer des civils à la tête d’une transition ».
SENTIMENT NATIONAL – Cet engagement du MP4 à soutenir l’Armée, est motivé, selon les initiateurs, par le seul souci de préserver la mère Patrie qui est confrontée, depuis une dizaine d’années, à de dures épreuves. « La descente aux enfers a été stoppée par le CNSP », selon Seydou Oumar Traoré, président de la plateforme « Les Patriotes ».
Par conséquent, il estime que tous les patriotes doivent se mobiliser pour soutenir les militaires dans « toute conduite qu’ils auront décidé de tenir ». D’ores et déjà, lui-même a plaidé pour une transition de trois ans et que, pendant ce temps, les « politiques qui veulent gérer le pays se préparent pour l’élection de 2023 ».
Seydou Oumar Traoré a, dans la foulée, tancé la vieille garde politique. Les autres intervenants lui emboîteront le pas, fustigeant la gestion des acteurs politiques. « Les civils ne peuvent pas gérer la transition », a tranché Alassane Tangara, président de la plateforme « Mali pour nous Tous ». Et de mettre en garde ceux qui tenteront de se mettre au travers du chemin de l’Armée.
Abdoulaye Keïta, président de Wati Sera (L’heure a sonné), s’est appesanti sur les sanctions prises par la CEDEAO, qui ne font que fragiliser davantage la situation du Mali. « L’embargo est, pour nous, des souffrances de trop », a-t-il déclaré, avant d’appeler les dirigeants ouest africains à reconsidérer leur position.
Comparativement aux dernières manifestations qu’a connues la Place de l’indépendance, celle-ci a peu mobilisé. Visiblement déçue, Aissata Traoré s’en prend à nos compatriotes qui auraient « certainement effectué le déplacement par milliers s’il s’agissait de défendre des intérêts personnels ». Pour sa camarade, Mariam, la majorité des Maliens ne sont « patriotes que du bout des lèvres».
REACTIONS VIRTUELLES – Sur les réseaux sociaux, les avis diffèrent sur le sujet. Mais, les antis décisions de la CEDEAO sont nombreux. Les internautes entretiennent la flamme nationaliste. Bréhima Mamadou Koné propose même des conditions pour un retrait du Mali de la CEDEAO et de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). « On peut quitter la CEDEAO, mais les préalables sont, entre autres, la création de notre propre monnaie, la construction d’une économie intravertie basée sur l’augmentation de la production, la productivité et la compétitivité, la transformation structurelle de l’agriculture, de l’énergie, la rationalisation des ressources publiques , une meilleure maitrise de la croissance démographique, une meilleure gestion de la comptabilité, la reconstruction de l’appareil de défense et sécurité », développe-t-il dans un mémorandum intitulé « les conditions pour se retirer de la CEDEAO et de l’UEMOA ».
La presse locale s’intéresse peu à l’ultimatum de l’organisation sous régionale. Toutefois, certains journaux sont revenus là-dessus : « une transition avec un président civil au Mali : le CNSP sur une pente glissante », titre Malikilé (Le Temps du Mali). « Ultimatum de la CEDEAO : les militaires maliens dos au mur », charge le « Nouveau Réveil.
Les acteurs principaux susceptibles à participer à la gestion de la transition, aussi, prennent à la légère l’ultimatum de la CEDEAO. Le M5-RFP répond à la CEDEAO à propos de la transition. Selon Kaou N’Djim, membre du Comité stratégique du M5-RFP, « il ne s’agit pas d’une course contre la montre ». « Le choix des dirigeants de la transition ne doit pas être une course contre la montre », répond-t-il à la CEDEAO. Pour lui, « il revient au peuple souverain du Mali de choisir ses dirigeants à l’issue des concertations nationales ». Le Mouvement dit faire confiance au CNSP.
Quant à Oumar Mariko, il soutient qu’« il faudrait que les chefs d’Etat de la CEDEAO comprennent qu’ils ne peuvent pas transformer la CEDEAO en syndicat des chefs d’Etat pour faire ce qu’ils veulent contre les Peuples ». « Le Mali va mettre fin à cette politique de la CEDEAO », lance-t-il.
LA RUE – Dans les rues de Bamako, généralement, le citoyen lambda a une dent contre la CEDEAO. Pour plus d’un, l’organisation sous régionale n’œuvre que pour l’intérêt personnel des chefs d’Etat au détriment des peuples. « Je suis désolé. Je préfère les militaires aux hommes politiques. Il faut accepter de souffrir pour mieux construire notre pays. C’est dur avec l’application des mesures de la CEDEAO qui, de toutes façons, n’a jamais soutenu les peuples», dit Aminata Sissoko, monitrice dans un établissement français.
Et Ousmane Coulibaly, commerçant-grossiste au Grand marché de Bamako, très en colère, de renchérir : « Ce n’est rien d’autre que de défendre les intérêts de la France. Ils (les chefs d’Etat de la CEDEAO) veulent que le Mali reste sous domination, C’est la raison pour laquelle on nous veut nous imposer des dirigeants de leur choix ». « Le peuple est décidé cette fois-ci », averti-t-il.
Telle n’est pas la vision de Issa Konaté, administrateur à la retraite. Il rappelle que notre pays est membre fondateur de la CEDEAO dont le Mali ne doit pas violer les textes. « La CEDEAO n’est pas contre nous. Il faut mettre la pression sur les militaires afin que la transition soit dirigée par un président civil ou un militaire à la retraite », soutient-il, ajoutant « rien n’indique que la CEDEAO ne revienne pas sur sa décision d’embargo parce que nos pays frontaliers seront aussi touchés ».
Abdoulaye Coulibaly, fonctionnaire, abonde dans le même sens. Selon lui, nous sommes dans une époque de mondialisation et il est très difficile pour un pays africain de se soustraire d’une organisation commune en violation des textes. « Attendons de voir. Tout ce que je peux vous dire, préparez-vous à faire face aux conséquences des sanctions internationales. Parce que c’est la Conférence des chefs d’Etat de la sous régions qui décide les sanctions est appuyée par la communauté internationale », prévient-il.
OD/ID/MD (AMAP)