Transformation de peaux d’animaux : D’énormes défis à relever sur le chemin de la qualité

Par Aminata DJIBO

Bamako, 28 avr (AMAP) Au bord du fleuve Niger, à Baco-djicoroni, la fraîcheur matinale cadre bien avec l’animation et l’ambiance. Panier en main, des femmes se dirigent vers l’eau boueuse comme une escouade en mission. Elles ont des peaux d’animaux (chèvre et mouton) dans des récipients qu’elles tremperont dans un mélange de produits liquides aux odeurs fortes et désagréables. C’est un travail ardu et minutieux pour ces braves dames dont les murmures et gestes se mêlent aux brouhahas des enfants qui s’amusent à épiler les peaux.

« Nous faisons ce travail depuis des années. Nous sommes approvisionnées chaque matin par des bouchers. Après le nettoyage, nous revendons les peaux à partir de 500 Fcfa à des acheteurs qui les convoient, pour la transformation, à l’Artisanat », affirme Oumou Traoré, triant les peaux prêtes à être lavées.

Parlant du processus de traitement, l’une des femmes explique qu’elles commencent par tremper les peaux dans une solution de potasse pendant une nuit. Elles sont, ensuite, lavées dans les eaux du fleuve et mises dans des fientes de poules pour un dernier nettoyage, puis replongées dans une solution de nep nep (fruit de l’acacia nilotica). Une fois cette étape terminée, les peaux sont exposées aux rayons du soleil le temps d’être bien asséchées.

Ces peaux sont utilisées dans la fabrication des produits de maroquinerie (sac, ceinture et chaussure). Sadio Korkoss, un vieux travailleur du cuir au Grand marché de Bamako dans le secteur dénommé «Artisanat», y évolue depuis plusieurs années. «Quand nous achetons la peau sèche, nous appliquons des colorants, principalement du jaune et du marron», dit-il, tout en insistant sur la nécessité de choisir la bonne peau dès le départ. Evoquant la chaîne complexe de valeur ajoutée du métier, l’artisan explique qu’un mouton nourrit jusqu’à cinq personnes, de celle qui l’élève à celle qui vend la peau, en passant par les artisans qui la transforment en produit fini. Cependant, malgré cette valeur ajoutée, la chaîne de production fait face à une kyrielle de défis.

 EXPORTATION DE PEAUX – Par le passé, une peau de mouton se vendait à 2 000 Fcfa et celle de vache à 10 000 Fcfa. La donne a changé, selon Sadio Korkoss. «Il est rare de voir des peaux de vaches à Bamako, car la majorité est exportée vers le Ghana, la Thaïlande et le Brésil. La peau de chèvre est  principalement destinée aux concepteurs de tambour», précise-t-il. Cette tendance est due au manque d’infrastructures modernes de transformation au Mali où l’industrie du cuir, en particulier celle de la fabrication de chaussures, a connu son âge d’or.

« L’Industrie malienne des tanneries (IMAT) peut traiter jusqu’à 30 000 peaux par jour », selon son chef du personnel, Almoubachar Haïdara. Mais faute de clients réguliers, « seulement quelques conteneurs sont envoyés à l’exportation chaque mois, et encore moins si la qualité ne répond pas aux attentes du marché international. »

Malgré cette capacité de production, l’industrie malienne peine à s’imposer face à la concurrence internationale parce que la transformation des peaux au Mali reste partielle. La plupart des produits sont envoyés à l’étranger sous forme de produit semi-fini, souvent pour être traités dans des pays où les standards de fabrication sont plus élevés. « En raison du manque de technologies et d’une infrastructure fragile, l’objectif de produire des articles finis sur place est encore un rêve lointain », avoue notre interlocuteur.

Oumar Koné, vendeur d’articles à l’Artisanat, renchérit : « Le marché des produits artisanaux n’est plus aussi florissant et la qualité des peaux locales se détériore. Cette situation est due essentiellement à la rareté des activités touristiques. »

Malgré un marché morose et des tonnes d’invendus, l’IMAT tient. Selon le chef de personnel, l’entreprise se tourne vers la modération de ses produits. « Nous traitons des peaux provenant de divers pays, comme le Sénégal et nous avons une usine qui traite des peaux de chèvres et de moutons. Le processus est complexe. Au Mali, l’absence d’abattoirs frigorifiques pour les peaux pose également un problème», dit-il.

QUALITÉ EN CAUSE – L’une des étapes cruciales de la transformation est la conservation des peaux, souvent en utilisant du sel. Cette méthode permet de prolonger leur durée de vie avant de commencer le traitement. Selon Almoubachar Haïdara, la production industrielle de cuir au Mali suit un long processus de transformations chimiques. La peau est soumise à un premier traitement où des produits chimiques sont utilisés pour éviter la putréfaction. Elle est ensuite plongée dans des solutions, notamment une solution de bleu neige, un produit à base de chrome qui permet de la teindre, donnant ainsi une couleur uniforme. Ce traitement se poursuit jusqu’à ce que la peau soit prête pour la coupe et la fabrication de produits finis.

Almoubachar Haïdara, chef du personnel de l’Industrie malienne des tanneries (IMAT)

La qualité des peaux d’animaux au Mali est souvent mise en cause. Certains spécialistes expliquent que cette situation est liée à beaucoup de facteurs, notamment le climat sahélien qui fait que nos animaux sont moins gras, donc leurs peaux sont moins adaptées à la transformation.

« En raison du climat sahélien, les animaux au Mali ne sont pas aussi gras que dans d’autres régions, ce qui rend certaines peaux moins adaptées à la transformation. Nous devons toujours travailler avec des peaux de qualité inférieure et souvent, nous avons des défauts visibles après le traitement », regrette Almoubachar Haïdara

Autre handicap du secteur est que les produits fabriqués localement, notamment les sacs, les ceintures ou chaussures, peinent à séduire le marché local.

Nous avons fait un tour à l’Artisanat de Bamako, où chacun a une tâche, qu’elle soit simple ou délicate. Certains mettent de la peinture sur les peaux sèches et d’autres utilisent des machines à coudre pour confectionner divers articles. La diversité des produits, accrochés aux murs, en dit long sur le savoir-faire des artisans maliens. Mais leur travail n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur.

« Nous souffrons ici pour faire de meilleurs produits, mais quand on dit nos prix, les clients fuient. Pourtant, si c’est importé d’autres pays ils les achètent », déplore Adama Cissé, artisan et vendeur.

Ils sont beaucoup d’artisans à se plaindre du manque de clients. Et les rares qui passent par là jugent les prix exorbitants. « Moi, j’aime bien ces articles. Ils sont jolies et résistants. Mais les vendeurs doivent revoir les prix », affirme Madame Touré, essayant une chaussure.

Au moment où la crise écologique s’amplifie, l’industrie de tannerie du Mali fait face au défi de la préservation de l’environnement dans ses activités de production. L’utilisation de produits chimiques comme le chrome et la chaux est un véritable défi écologique. Pour y apporter une réponse adéquate, des solutions sont mises en place pour limiter les impacts négatifs de ce travail. L’usine dispose de stations de traitement des eaux usées qui permettent de recycler les produits chimiques et de réduire la pollution.

« Nous avons un contrat avec l’Agence de traitement des eaux usées pour garantir que nos procédés respectent les normes environnementales. Nous utilisons aussi de l’oxyde d’alumine pour isoler le chrome », assure Almoubachar Haïdara.

AD/MD (AMAP)