Spécial 22 septembre 2022-Office du Niger : L’insécurité plane sur le grenier à riz

Une scène de repiquage du riz dans un périmètre de l’Office du Niger

Par Cheick Amadou DIA

Dans leur combat pour imposer un islam obscurantiste dans notre pays, les terroristes empêchent les paysans d’accéder aux champs et détruisent les récoltes et le matériel agricole. L’objectif est de soumettre les populations par la terreur de la faim

Qui veut asservir un peuple, l’affame. Tel semble être le « modus operandi » des groupes terroristes qui sévissent dans la zone Office du Niger, depuis plusieurs années. Véritable « grenier à riz » du Mali, c’est l’un des périmètres irrigués les plus étendus et les plus anciens de l’Afrique de l’Ouest, située sur la rive gauche du fleuve Niger, dans son delta intérieur du cours d’eau, à 250 km en aval de Bamako. Avec ses 100.000 hectares de terres irrigués, l’Office du Niger compte aujourd’hui parmi les plus grands aménagements hydro-agricoles du continent africain et contribue fortement à la sécurité alimentaire de notre pays, avec une production annuelle d’environ 500.000 tonnes de riz. Les productions principales sont le riz, le maraîchage, le sucre et les produits d’élevage.

Depuis plus de 3 ans, l’Office du Niger n’arrive plus à atteindre ses objectifs de production à cause de l’insécurité qui s’est installée dans la zone. Pendant la campagne 2020-2021, cette situation a provoqué de nombreuses pertes en vies humaines, des destructions de biens et d’ouvrages hydrauliques, des vols de récoltes et de bétail, des incendies criminels de gerbiers et de champs à maturité, de matériels agricoles, l’impossibilité d’accéder à certaines parcelles et la réduction du rayon d’action de l’encadrement technique, regrette Abdel Kader Konaté, Président directeur général de l’Office du Niger. 

MANQUE À GAGNER – La situation a conduit la direction et les Comités paritaires de l’Office à accorder aux producteurs victimes de l’insécurité, un dégrèvement total (abandon de la redevance-eau) sur 5 271,67 hectares et un manque à gagner de 303.157.002 Fcfa pour le budget 2021 de l’Office du Niger, qui a été également affecté par le non-recouvrement de 841 millions de Fcfa et une réduction de 600 millions de Fcfa opérée sur la contribution de l’État, précise Bamoye Keïta, directeur de l’Appui au monde rural à l’ON au moment de notre passage. Malgré ce niveau de dégrèvement sans précédent, au 31 mars 2021, date limite de paiement de la redevance, le montant recouvré était de 3,8 milliards de Fcfa sur un montant à recouvrer de 6,9 milliards de Fcfa qui représente un taux de 55,18% et un reliquat de 3,1 milliards de Fcfa. Face à ce constat alarmant, l’Office du Niger, à la demande des producteurs à travers leurs responsables, a reporté le délai de paiement de la redevance de 3 mois, le ramenant au 30 juin 2021. Aussi, les décisions d’éviction pour non-paiement de la redevance au titre de la campagne agricole 2020-2021, n’ont été signées que le 22 juillet 2021, signale-t-on à la direction de l’Appui au monde rural. 

Suite à une requête du président de la Chambre régionale d’agriculture de Ségou, lui demandant le différé du paiement de la redevance jusqu’au 30 novembre 2021, au bénéfice des producteurs impactés par l’insécurité, le ministre du Développement rural a demandé à l’Office du Niger de convenir avec la Chambre, des modalités de recouvrement du reliquat, tout en préservant les acquis fondamentaux de l’entreprise. Un moratoire a été accordé à cet effet, sur l’application de la décision d’éviction, aux producteurs en difficulté qui acceptent de s’engager par écrit, à s’acquitter de leur dette au plus tard, le 30 novembre 2021. 

20.678 PERSONNES DÉPLACÉES – Malgré toutes ces facilités accordées et les mesures d’apaisement prises par la direction de l’Office, le taux global de recouvrement n’a atteint que 87% avec un reliquat non recouvré de 840,8 millions de Fcfa. En prenant en compte le dégrèvement de 303 millions et la réduction de 600 millions de Fcfa opérée sur la contribution de l’État, la perte globale de ressources au niveau de l’Office du Niger, au titre de la campagne agricole 2020-2021, s’élève à 1,7 milliard de Fcfa.

Dès le début de la campagne 2021-2022, des entraves à la circulation des personnes et des biens ont été constatées sur les principaux axes routiers de la zone Office du Niger et les chemins d’accès aux villages et aux périmètres. La recrudescence des attaques terroristes et la multiplication des groupes d’auto-défense ont de graves conséquences sur la vie des populations. On enregistre à ce jour, 298 pertes en vies humaines, 132 personnes portées disparues, 96 villages et hameaux déplacés, 20 678 personnes sont déplacées, 6 292 hectares de champs abandonnés pour une perte des récoltes estimée à 60.797,21 tonnes. Il y a aussi la destruction de 402 matériels agricoles, tous types confondus. La mise en valeur des terres a été énormément perturbée, signale Bamoye Keïta. Sur les 130.993 hectares prévus cette saison, seuls 106.098 hectares ont pu être mis en valeur, soit une différence de 24.894,93 hectares.

En effet, les 2.548 hectares, en cours d’aménagement à M’Béwani et réalisés à 95%, n’ont pas pu être achevés à cause des attaques récurrentes sur le chantier avec des enlèvements de personnes et de véhicules et des destructions d’engins lourds de chantier. Il en est de même des 500 hectares, précédemment réalisés par le Projet d’accroissement de la productivité agricole au Mali (PAPAM), qui n’ont pas pu être mis en valeur parce qu’ils dépendent du même réseau que les 2 548 hectares non achevés. Les 400 hectares du projet Molodo Nord, réceptionnés et attribués, n’ont pas pu être mis en valeur à cause de l’insécurité. Interdiction ayant été faite aux attributaires d’y accéder. Dans l’ensemble des zones et, de manière plus prononcée à Kouroumari, N’Débougou et Molodo, ce sont 21.936,93 hectares qui n’ont pas pu être exploités à cause des déplacements de populations et de l’impossibilité d’accéder aux périmètres.

INTERDICTION D’ACCÈS AUX PARCELLES – Les opérations de récolte en cours dans toutes les zones sont fortement entravées par l’insécurité avec l’interdiction d’accès aux parcelles en maturité. Ainsi, il n’est pas garanti que les 106.098 hectares mis en valeur puissent être entièrement récoltés, avertit le responsable de l’Appui au monde rural. 

Dans la zone de N’Débougou, la menace d’inaccessibilité aux parcelles à récolter pèse sur 6 500 hectares. Il faut noter à ce niveau que le village de Songo a été totalement déserté à cause des menaces de représailles. Dans la zone de production du Kouroumari, la menace plane sur 5.298 hectares, dont notamment toutes les parcelles de la Commune rurale de Dogofry. Pour la zone de Molodo, 7.805 hectares sont sous la menace d’inaccessibilité pour les opérations de récoltes (casier de Molodo Nord, casier de Molodo central et casier nord). Dans cette zone, 15 villages ont été totalement déplacés et, 25 partiellement déplacés. 

Les habitations du village de Siby ont été entièrement détruites. Les gerbiers de 2 hectares ont été brûlés et 2 ouvrages hydrauliques ont été dynamités (drain principal de Molodo et prise du partiteur M10). 

Dans la zone de M’Bèwani, la menace d’inaccessibilité aux parcelles en vue de les récolter, pèse lourdement sur les périmètres communautaires. Les exploitants des baux ont reçu l’interdiction formelle d’accéder à leurs parcelles. La zone de Niono, à part la psychose générale, n’a pas directement souffert des conséquences de l’insécurité. Toutefois, elle accueille 2.300 déplacés venus des localités affectées. Dans la zone de Kolongo, il a été enregistré 20 vies humaines perdues, 2 personnes disparues, 10 villages et hameaux détruits avec 2 258 personnes déplacées, 77,82 hectares abandonnés et le dynamitage du pont de Niaro.  Cette situation des parcelles abandonnées et de destruction de récoltes fait l’objet d’un suivi permanent et les chiffres sont appelés à évoluer, précise notre interlocuteur. 

MENACES AU QUOTIDIEN – « Les leaders paysans font l’objet de menaces au quotidien explique Samba Mahamane Yattara. Ce délégué général des exploitants agricoles de l’ON que nous avons rencontré lors d’une session du Conseil d’administration de l’Office du Niger, dans un hôtel de Ségou est amer. 

Notre interlocuteur révèle qu’un délégué de la zone de Molodo a été tué dans les affrontements de Siby et un membre de Comité paritaire de la zone de Kolongo est porté disparu. 

Cette situation est fustigée par le leader des exploitants qui en appelle à l’État pour ramener la sécurité dans l’ensemble de la zone. Bokary Niaminan Coulibaly est un producteur de riz du secteur de Mbewani. Pour lui, si son champ de 4 ha a été épargné pour l’instant par le spectre de l’insécurité, il n’en demeure pas moins qu’il soit pessimiste à cause de la recrudescence de la violence. A laquelle s’est greffée les difficultés d’accès à l’engrais. Face à cette situation, les Forces de défense et de sécurité ne restent pas les bras croisés. Des actions militaires régulièrement sont menées contre les groupes terroristes écumant le nord de la Région de Ségou, note le patron de l’Office. Les pouvoirs publics sont en train de prendre des mesures pour un maillage sécuritaire plus efficace avec une présence permanente des FAMa à maints endroits de la zone Office du Niger. Ce faisant, les autorités répondent à une demande pressante des populations.

De son côté, le Président directeur général de l’Office a donné l’assurance aux responsables des exploitants qu’il prendra toutes les dispositions à sa portée, pour apporter les soulagements nécessaires aux producteurs affectés par l’insécurité. Dans cette dynamique, l’ON a déjà décidé d’exempter du paiement de la redevance-eau, toutes les parcelles affectées. Des instructions ont été données à tous les directeurs de zone, afin que les superficies concernées ne soient pas facturées. Pour celles qui l’ont déjà été, tout comme l’année dernière, la mesure de dégrèvement sera appliquée. Cette mesure va engendrer une perte de ressources de plus de 420 millions de Fcfa sur la redevance-eau de la campagne agricole 2021-2022, précise Abdel Karim Konaté. Toutefois, il insiste sur le fait qu’en ces temps difficiles pour le pays, tout le monde doit faire preuve de responsabilité pour sauvegarder les intérêts de l’Office du Niger afin d’assurer à notre pays, une meilleure récolte à la fin de la campagne en cours.

ÉVOLUTION SPECTACULAIRE – Créé en 1932, l’Office du Niger est l’établissement public qui a la responsabilité de la gestion et de l’aménagement de la zone. Ses missions portent sur la gestion de l’eau, des hydro-aménagements, notamment les canaux primaires et secondaires (les canaux tertiaires sont de la responsabilité des agriculteurs) et, la gestion des terres. L’État, propriétaire du foncier, délègue la gérance des terres à l’Office du Niger qui attribue des surfaces aménagées aux agriculteurs, sous forme de contrat annuel d’exploitation ou de permis d’exploitation agricole. Ces derniers en ont un droit d’usufruit transmissible aux héritiers, sous réserve du respect du cahier de charges et du paiement annuel d’une redevance hydraulique.

La zone de l’Office du Niger a connu une évolution spectaculaire des performances agricoles depuis les années 1980. Ce qui en a fait une « success story », affirme Tidiani Traoré, directeur des aménagements à la direction générale de l’Office. Entre 1980 et 2006, les rendements en riz ont été multipliés par 4 pour atteindre environ 6 t/ha selon les statistiques de l’Office du Niger. La production de riz est passée de 60 000 à plus de 500 000 t/an. 

Cette dynamique s’explique par la réhabilitation des infrastructures, l’introduction de techniques intensives, la libéralisation du système économique, la responsabilisation des producteurs et, par une demande en riz et en produits maraichers (échalote) en forte progression. L’extension des superficies aménagées constitue, depuis la fin des années 1990, l’enjeu majeur du développement de la zone. Pour poursuivre ce développement agricole, de nombreux projets d’aménagement de nouvelles surfaces irriguées sont prévus. Ils sont portés par des acteurs de types différents, constitués d’entreprises maliennes et étrangères, d’investisseurs privés, d’organisations régionales et de bailleurs de l’aide publique au développement. 

Les aménagements prévus représenteraient plus de 300 000 ha. Mais, dans la réalité, souligne Tidiani Traoré, les projets d’aménagements sont loin d’atteindre ce niveau car les annonces dépassent amplement les réalisations. 

La Campagne 2022/2023 en cours, a également démarré dans un contexte sécuritaire et socioéconomique extrêmement préoccupant. Cependant, espère le président Konaté, l’issue de cette campagne devrait être plus sereine que celle des deux précédentes avec de bonnes perspectives d’atteindre les objectifs de production qui sont de 905 410 tonnes de riz de paddy, 410 068 tonnes de produits maraichers et 116 361 tonnes de produits de diversification. Les projets prioritaires, au nombre de 14 actuellement, nécessitent un financement de l’ordre de 409 milliards 614 millions 500 mille FCFA.

CAD (AMAP)