Réseaux sociaux : Pièges pour les femmes qui partagent leur intimité

La pratique ternit la réputation des femmes, les expose au chantage pouvant déboucher sur le suicide

Par Maïmouna SOW

Bamako, 13 janv (AMAP) Les confidences de Mama vous font dresser les cheveux sur la tête. Elle assène: «J’envoyais à mon fiancé, à travers un réseau social, des photos intimes sans montrer mon visage. Mais une nuit, il s’est plaint. Il m’a demandé pourquoi je ne lui montrais pas mon visage dans mes vidéos sexuelles. N’avais-je pas confiance en lui ? J’ai fini par céder devant son insistance.»

La pratique consistant à envoyer des photos de sa nudité à son partenaire est, de plus en plus, fréquente, dans les relations amoureuses. Des expressions y sont même consacrées comme «envoyer des nues à quelqu’un ». Beaucoup de femmes ont fait les frais de cette tendance, après s’être fait  piégées à des fins de chantage. À titre d’exemple, la vidéo où apparaît nue une tik-tokeuse d’un pays voisin, a été virale sur les réseaux sociaux. En un laps de temps, des millions d’internautes ont vu la dame en tenue d’Eve. Humiliée, elle avait accusé son époux d’être à l’origine de cette diffusion de ses données personnelles sans son autorisation.

Un autre cas a tenu en haleine les réseaux sociaux. La fracassante affaire qui a opposé un ressortissant malien à sa petite amie. Cette dame s’était subitement retrouvée sur les réseaux sociaux en train d’exécuter, toute nue, des gestes sensuels pour son ancien copain. On peut aussi citer le cas de cette autre femme qui s’était suicidée en se jetant dans le fleuve, à partir d’un pont de Bamako, capitale du Mali. Son partenaire avait posté ses photos de nu sur les réseaux sociaux.

CHOQUÉE – Il y a quelques semaines, sur le plateau d’une chaîne privée de la place, de façon anonyme, Mama, avait déclaré être l’objet d’un chantage de la part d’un inconnu. Cet individu lui a envoyé les images intimes qu’elle avait partagées avec son fiancé. «Quand j’ai vu ces images qui me montrent, à visage découvert, toute nue, j’étais choquée. Je ne savais que faire», confie-t-elle.

Elle est restée longtemps prostrée. Comment un inconnu a pu avoir ses vidéos ! Excepté son fiancé, elle jure ne les avoir envoyées à personne d’autre. Elle avait fait confiance à son homme. Il avait pris l’engagement de l’épouser. Il avait même envoyé les premières colas chez ses parents. Cet acte signifiant qu’il demande la main de leur fille en mariage. Ce geste, selon elle, suffisait pour accorder aveuglement sa confiance à son prétendant. Mama explique que son fiancé voyeur a insisté pour qu’elle lui envoie des vidéos de plus en plus osées.

Depuis la réception de ces fichiers, la fille, une sainte aux yeux de sa famille, vit dans la panique au quotidien et la hantise de voir exposée son intimité au regard de tout le monde . Elle accuse son fiancé de complot avec le détenteur des vidéos. « Son prétendant affirme-t-elle, nie en bloc les faits, soutenant que son téléphone a été piraté par un hacker. » Elle pense que l’indifférence de son fiancé face à une accusation aussi grave est la preuve de sa culpabilité. «Au lieu de se défendre, lui-même et son honneur, de se disculper, il est si calme, tout froid, comme si on l’avait trempé dans de l’eau fraiche. Il n’a plus daigné me fréquenter», ajoute la jeune dame.

L’auteur du chantage n’a pas accepté de lui révéler comment il a eu les images. «Il m’a dit qu’il ne veut rien soutirer de moi maintenant. Mais de bien me tenir car tout peut arriver et à tout moment. Il a aussi ajouté qu’il me surveille étroitement», s’inquiète la victime. Le maitre-chanteur lui a dit de faire attention parce qu’il la connait mieux qu’elle ne le pense.

Ces avertissements ont davantage affolé Mama. Elle s’est confiée à sa sœur ainée qui lui a conseillée de porter plainte contre le fiancé. Selon elle, si l’affaire arrive à la police, l’auteur du chantage postera ses images sur les réseaux sociaux. Ce qui la dissuade de poursuivre le maître-chanteur.

Mama ne voudrait pas, également, ternir la renommée de sa famille, ni décevoir ses parents qui n’ont aucun doute sur sa bonne moralité. Elle est préoccupée et elle se lamente : « Si cela venait à se savoir, je ne sais pas ce que deviendra ma vie, ni celle de ma famille.» Et d’indiquer qu’elle cherche, anxieuse, une justification, aux yeux de la famille,  de l’arrêt  de sa relation avec son fiancé qui a cessé de la fréquenter.

Quant à l’élégante Fatoumata, elle s’abstient de partager ses nues avec ses amis. Même si une fille se livre à cette tendance, elle ne va pas l’avouer. Elle est catégorique : «Je déconseille aux filles de le faire. C’est très dangereux». Selon la jeune étudiante, les images fuitent quand une autre personne arrive à les transférer à partir de son téléphone. Cette dernière, peut décider de faire chanter la crédule qui est sur la photo. Fatoumata soutient que ce sont les hommes qui poussent les femmes à leur envoyer des images de leur intimité. «Beaucoup d’hommes m’ont fait cette proposition avec insistance. Ils me disent de porter des tenues sexy pour faire un appel vidéo. Certains copains envoient des images de leurs parties intimes pour vous convaincre de faire autant», explique l’étudiante.

Plusieurs filles n’hésitent pas à partager volontairement innocemment leurs photos intimes parce qu’elles sont réellement amoureuses de leur partenaire. L’étudiant Abdrahamane Tangara penche dans le même sens. Il dit avoir fait le constat que même si l’homme ne demande pas, des femmes le font pour faire plaisir à leur partenaire, en vue de renforcer leurs liens. Cependant, le jeune homme de 29 ans reconnait que les responsabilités sont partagées entre les deux sexes.

MANDAT DE DÉPÔT – Depuis 2015, le Mali, à travers l’Autorité de protection des données à caractère personnel (APDP), veille à la protection des données personnelles. Selon le directeur des affaires juridiques et du contentieux de cette jeune structure, Arouna Keita, l’APDP « accompagne, rassure et défend sur le plan judiciaire les victimes de cybercriminalité. »

Cependant, il regrette que beaucoup de victimes renoncent à poursuivre les malfaiteurs par crainte de l’ampleur que prendra l’affaire devant la justice. « Ainsi, indique-t-il, leur mission première reste la sensibilisation. »

  1. Keita soutient qu’il ne faut jamais envoyer ses images intimes à quelqu’un y compris votre conjoint. «On ne peut vous atteindre que si vous vous mettez dans des situations compromettantes», conseille-t-il. Avant de préciser que chacun doit préserver ses données personnelles notamment le nom, le prénom, le numéro de téléphone, les images et l’adresse électronique.

«Si vous créez des adresses sur les réseaux sociaux, donner de faux noms, et surtout épargnez les images de vos enfants avant leur majorité. Tout ce que vous publiez, sur les réseaux sociaux, sera gardé à infiniment», prévient le directeur des affaires juridiques et du contentieux de l’APDP.

Sa structure a déjà reçu des plaintes de femmes victimes de chantage par leur mari après leur divorce. « Certains maris, précise-t-il, ont été placés sous mandat de dépôt, car ils ont publié des images intimes de leurs propres femmes. »

Notre interlocuteur explique que la loi portant protection des données prévoit de punir la violation des données à caractère personnel en son article 61. Quant aux articles 65 et 66, précise Arouna Keita, « ils infligent des sanctions pécuniaires qui vont de 2,5 à 20 millions de Fcfa. » Ces sanctions visent le fait de collecter et de traiter des données personnelles sans autorisation préalable des intéressés ou de l’APDP. Il en va de même pour la communication des données à des tierces personnes non autorisées à les recevoir.

MS/MD (AMAP)