Par Anne-Marie KEITA
Bamako, 22 fév (AMAP) Lorsqu’une femme accouche, il est de tradition de préparer de la soupe pour la nouvelle maman. Pour sacrifier à cette tradition, Mme Camara Fatoumata Touré s’est rendue au marché de volaille de Kati pour acheter deux poulets et préparer une soupe pour sa belle sœur qui venait d’accoucher. Avec un billet de 10 000 Fcfa, elle espérait avoir deux poulets locaux. Elle a été surprise par une augmentation des prix.
En plus de la hausse, il est aussi difficile de trouver un poulet physiquement satisfaisant du fait de la mauvaise alimentation de la volaille. Mme Camara s’est donc tournée vers le poulet de chair dont elle croyait avoir le kg à 2 000 Fcfa comme d’habitude. Là aussi, une vendeuse lui fait savoir que le kg de cette race est passé à 2. 00 Fcfa.
Au marché de Kati comme ailleurs, il est aujourd’hui difficile de se procurer un poulet local sans débourser entre 5 000 à 7 500 Fcfa. Les causes de la hausse du prix de la volaille sont liées, selon le président de la Commission développement partenariat et financement de la Coopérative de valorisation des races aviaires locales (Wasaso), Cheickna Dianka, au coût élevé des ingrédients indispensables à l’aliment-volaille, notamment le maïs, source de protéines et autres additifs.
Selon lui, d’autres causes seraient l’insuffisance de l’offre de volaille, la prévalence de maladies aviaires à cycle répétitif à la base de fortes mortalités, la faible organisation des producteurs avicoles et l’insuffisance des capacités techniques, institutionnelles et organisationnelles des acteurs du sous-secteur avicole.
Evoluant dans l’aviculture depuis 5 ans, Ladji Bouaré, est un jeune entrepreneur qui s’intéresse à l’élevage. Il dispose de sa propre ferme de volaille. À ses dires, il a commencé par les poulets locaux pour ensuite aller vers la race métisse ou «barama» et finir avec la race 3/4. Concernant la flambée des prix de la volaille, ce jeune entrepreneur dit que le coût du transport a rendu difficile l’élevage surtout pour les races importées comme les «barama».
La flambée du prix du carburant a, aussi, eu un impact sur l’importation des produits, notamment l’aliment volaille. S’y ajoute l’avènement de la Covid-19 qui a beaucoup freiné la production de certaines races importées.
Selon Ladji Bouaré, le prix du principal ingrédient de l’aliment volaille qui est le maïs a pris l’ascenseur. Au moment de la Covid-19, le sac de 100 kg de maïs était vendu à 35 000 Fcfa contre 14 000 avant cette pandémie. Aujourd’hui, le même sac varie entre 28 000 et 32 500 Fcfa, soit une baisse légère. Aussi, l’aliment chair qui était cédé à 13 500 Fcfa a grimpé à 18 000 Fcfa aujourd’hui. Un autre aliment indispensable dans la production est la vitamine concentrée dont le sac a aussi subi une petite augmentation, passant de 35 000 Fcfa à 40 000 Fcfa.
Le représentant de la Coopérative des producteurs de poulets de chair, Thierno Sidibé, confirme la hausse du prix du poulet de chair et du poulet local. Il ajoute que le coût de production d’un kilo de poulet de chair a connu une augmentation de presque 35%.
Pour lui, cette augmentation est tout à fait justifiée par le coût élevé des matières premières indispensable à l’élevage de la volaille, notamment le maïs qui intervient dans l’aliment volaille à hauteur de 60%. Cet ingrédient, beaucoup sollicité dans l’alimentation des volailles et cultivé chez nous, était une chance pour le Mali. « Malheureusement, déplore-t-il, ce produit est exporté malgré l’interdiction d’exportation des produits alimentaires par les autorités maliennes. »
Le tourteau de coton, un autre ingrédient dans l’alimentation volaille, est une source de protéines d’origine végétale. La production du tourteau de coton devrait donner aux éleveurs beaucoup de facilités. Le tourteau, capital dans l’aliment volaille, est importé du Burkina Faso. Cet aliment utilisé dans l’aliment de volaille à 20% a aussi connu une augmentation passant de 11 500 Fcfa à 16 000 Fcfa le sac de 50 kg. Sans compter les ruptures qui ont fortement perturbé le marché. Il y a aussi le son de blé qui a connu une augmentation assez remarquable passant de 100 à 200 Fcfa le kilo. Le kilo d’aliment pour les poulets de chair est passé de 300 Fcfa à 450 Fcfa, soit une augmentation de 40%. Et le kilo d’aliment de pondeuse qui était 250 Fcfa est passé à 400 Fcfa, soit 45% d’augmentation.
Dans l’alimentation volaille, en plus des aliments cités, il faut compter les ingrédients qui viennent de l’extérieur comme le complexe minéral vitaminé (CMV) qui n’est pas fabriqué au Mali, mais importé d’Europe et du Maghreb. Ce produit a aussi connu une augmentation de presque 35%.
À en croire Thierno Sidibé, le marché des poussins a aussi connu beaucoup de difficultés non seulement en termes de prix et de disponibilité. La cherté de l’aliment volaille, le transport des sujets ont été durement ressenti par les éleveurs qui enregistrent d’énormes pertes. À ces difficultés, s’ajoute le manque de moyens de production des éleveurs. D’ou une baisse de production et l’absence des poulets sur le marché. «Les producteurs ont beaucoup perdu parce que nous ne sommes pas rentrés dans nos coûts de revient pour faire des marges qui peuvent nous permettre de continuer notre activité», a regretté Sidibé. Il note que l’aliment volaille occupe 80 % des dépenses de production et quand il devient cher, les prix grimpent.
Absence de subvention – Pour Lamine Traoré, secrétaire à l’organisation de la Fédération des intervenants de la filière avicole au Mali (FIFAM), ces augmentations sont à la base de la raréfaction. Lamine Traoré évoque aussi le problème de la subvention que l’État accordait aux producteurs et éleveurs sur certains types d’intrants importés de l’extérieur qu’on appelle les concentrés d’aliments volaille. Ces produits sont composés de vitamine, de minéraux et de protéines. L’État les subventionnait à 30% de remise à l’éleveur. Si par exemple l’éleveur achetait le sac à 65 000 Fcfa, avec cette subvention, il va l’acheter à 50 000 Fcfa. Cependant, en 2022, la mise en place de cette subvention a été compliquée et n’a pratiquement pas eu lieu. Toute chose qui a contribué à l’augmentation des prix.
Selon les chiffres de la FIFAM, depuis l’avènement de la Covid-19, l’aviculture a connu de sérieuses secousses. Avant la pandémie, cette fédération avait mis en place des actions pour booster la filière. Ainsi, 3 657 830 poussins chair ont été produits par couvoirs en 2019 contre 1 519 250 poussins pontes, soit au total 5 177 080 poussins. Ceux-ci représentent environ 33% des besoins nationaux. Avec un taux de croissance de 12% pour les poulets de chair et 8% en pondeuses, les producteurs en 2019 ont mis en place 10 838 000 poulets de chair et 4 846 250 pondeuses pour produire 15 390 tonnes de viande de volaille et 1 226 101 250 œufs de consommation.
Du coté de l’État, le secteur avicole familial et commercial a fait l’objet d’améliorations importantes ces dernières années dans le cadre des politiques de sécurité alimentaire et de lutte contre la pauvreté. Quelques investissements importants à travers divers projets dont le Programme de développement de l’aviculture au Mali (PDAM) et plus récemment le Programme spécial de la sécurité alimentaire (PSSA) ont été réalisés. Et des actions fortes ont été entreprises même si certains producteurs estiment que ses efforts sont insuffisants pour booster la filière. Lors de la 9è session du Conseil supérieur de l’agriculture, les autorités ont révélé les objectifs de production avicole pour l’année 2021 qui se chiffre à 3.038.766 pondeuses, 40.516.875 sujets de volaille locale, 467.918.392 œufs de consommation et 7.027.236 poulets de chair.
Implication de l’État – Selon Mme Sanogo Diarrata Traoré, présidente de la FIFAM, le Mali a été le premier producteur de coton mais le tourteau qui intervient dans l’alimentation de la volaille n’y est pas fabriqué, car les huileries n’ont pas de structure pour en fabriquer. S’il y a des difficultés dans la subvention, il faut que l’Etat exonère comme avant, tous les produits qui entrent dans l’alimentation de la volaille au niveau du cordon douanier. Ainsi les prix vont baisser.
Mme Sanogo invite les autorités à accentuer le contrôle aux frontières pour que le maïs produit chez nous ne soit pas exporté. Mais aussi à accompagner la fédération à structurer et à règlementer la filière. Dr Sidibé explique que la consommation du poulet a des avantages énormes en termes de prix et sur la santé. Également, soutient-il, l’aviculture est un secteur qui crée beaucoup d’emplois. Raison pour laquelle, l’État doit tout faire pour encourager la production de poulet de chair. Cependant, les Maliens doivent changer leurs habitudes en fonction des contraintes du moment.
AMK/MD (AMAP)