Mali : Des cas d’enrichissement illicite présumés confirment des inquiétudes et études antérieures

Par Amadou B. MAÏGA

Bamako, 06 janvier (AMAP) Lesrévélations du président de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI), Moumini Guindo, samedi, au cours d’une conférence de presse pour partager le rapport annuel de l’institution avec la presse et les acteurs de la chaîne de répression de l’enrichissement illicite au Mali, confirment les inquiétudes soulevées par le rapport 2018 du Bureau du vérificateur général (BVG).

Selon ce document remis au chef de l’Etat, le 4 juillet 2019, les faiblesses de gouvernance et de gestion des deniers publics constatées ont mis en exergue le fossé entre les pratiques des agents publics, les textes juridiques, les procédures administratives, etc. Faisant dire aux contrôleurs indépendants que le détournement des deniers publics ne fait plus peur en République du Mali. De hauts cadres de l’Etat réussissent, sans crainte, à détourner des milliards de Fcfa, privant ainsi les populations des services sociaux de base.

Ces constats du BVG corroborent les conclusions de l’étude commanditée par l’OCLEI, lui-même, sur l’étiologie de l’enrichissement illicite dans l’Administration publique malienne dans le District de Bamako, les Régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso et Ségou. « Ses cibles, a expliqué le président de l’OCLEI, étaient les agents publics et des citoyens non fonctionnaires. Il s’agissait alors de savoir les causes principales qui poussent les agents publics à s’enrichir de façon illicite.

Les conclusions, présentées par M. Guindo, ont montré que les causes de l’enrichissement illicitepour les zones concernées par cette étude sont dues à 60% aux faiblesses institutionnelles, législatives et règlementaires, 57% à la volonté d’être riche, à 55,6% aux causes socioculturelles et à 50% au manque de volonté politique de combattre le fléau. « Les méthodes et pratiques utilisées sont, entre autres, la perception de pot-de-vin, le détournement des deniers publics et l’abus d’autorité », a énuméré le conférencier, déplorant que les obstacles à cette lutte décelés par l’étude sont les immunités et privilèges de juridiction, l’absence de protection des dénonciateurs et la faiblesse de la volonté politique, etc.

L’OCLEIa transmis à la justice trois dossiersd’enrichissement illicite et de corruptionprésumésdont la valeur cumulée est évaluée à plus de 4 milliards de Fcfa, a révélé samedi son président. Le premier concerne un inspecteur des services de sécurité social qui serait propriétaire de 17 maisons d’habitation dont trois ont déjà été vendues. Il posséderait, aussi, quatre véhicules particuliers. La valeur des biens est estimée à 969,31 millions de Fcfa.

Le deuxième dossier concerne un inspecteur des finances qui aurait 18 maisons d’habitation. Sa résidence est un bâtiment de trois étages avec une piscine, qui aurait coûté 400 millions de Fcfa. Pendant que l’enquête était en cours, il aurait vendu trois maisons à ses propres enfants dont une villa à l’ACI à 10 millions de Fcfa. L’homme posséderait, également, 18 maisons non encore bâties. Le total des biens s’élève à 1,751 milliard de Fcfa.

Le troisième concerne, aussi, un inspecteur des finances. L’office a identifié 20 bâtiments lui appartenant dont 17 maisons d’habitation. Ses biens immobiliers comporteraient, aussi, deux écoles privées, une ferme agricole mise en valeur, 46 parcelles dont l’essentiel est en titre foncier, deux maisons d’habitation déjà vendues, un bâtiment commercial vendu aussi. Cette personne a utilisé beaucoup de prête-noms. Ses enfants de 2 ans, 4 ans et 6 ans, posséderaient, respectivement, des maisons de 300 millions, 100 millions, 200 millions. La valeur de ses biens a été estimée à 1,562 milliard de Fcfa.

« Outre ces trois dossiers qui ont été menés à leur terme, l’OCLEI travaille sur 35 autres dossiers, dont les conclusions seront portées à la connaissance du grand public », a annoncé Moumini Guindo. Il a assuré que, pour faciliter le rapatriement des fonds présumés détournés, son office est en train de signer des protocoles avec les organisations de lutte contre l’enrichissement illicite présentes dans les pays concernés.

  1. Guindo a révélé que l’essentiel de l’argent détourné au Mali est transféré à l’étranger. Ce magistrat jugé «travailleur acharné» par le président de la République a, entre autres, cité la sous-région, la France, les Etats-Unis d’Amérique et le Moyen-Orient comme « destinations de l’argent détournée par des fonctionnaires véreux ».

Concernant la déclaration de biens des assujettis, l’OCLEI a reçu 998 déclarations de biens entre 2017-2018 », a révélé son président. « Les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets constituent la majorité des fonctionnaires qui se sont pliés à cet exercice », a-t-il précisé.

Toutefois, pour changer la perception sur la corruption et espérer réussir la lutte contre ce fléau, les auteurs du rapport suggèrent des réformes institutionnelles, législatives et réglementaires. Afin, selon eux, de corriger les dysfonctionnements constatés au sein de l’administration publique, renforcer les capacités des systèmes juridiques et judiciaires, des organes de vérification et de contrôle. « Tout cela serait vain sans une amélioration des conditions de vie et de travail des agents publics », prévient l’étude sur l’éthologie de la corruption.

Le rapport couvre la période du 1erjuin 2017 au 31 décembre 2018. Un numéro vert (80 00 22 22) est mis en place afin de permettre aux citoyens de dénoncer les faits d’enrichissement illicite et de corruption.

ABM/MD (AMAP)