Face au recrutement des enfants soldats par les groupes terroristes, les organisations de droit de l’Homme ne cessent de sonner le tocsin

Par Souleymane Sidibé

Bamako, 12 juil (AMAP) Ils sont enrôlés, très souvent, de force pour grossir les rangs des organisations criminelles opérant au Mali comme la Katiba Macina d’Amadoun Koufa, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghali et l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS).

Des dizaines de milliers d’enfants sont utilisés comme soldats dans le monde. Nombre d’entre eux sont enlevés et victimes de violences s’ils résistent. Dans son rapport trimestriel en date du 30 mars dernier, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dit avoir constaté le recrutement et l’utilisation des 135 enfants contre 68 pendant la période précédente dans notre pays.

Le samedi 22 avril dernier, au cours d’une attaque terroriste complexe à Sévaré (Région de Mopti, dans le Centre du Mali), le chef d’état-major général des Armées, le général Oumar Diarra a révélé que parmi les terroristes neutralisés, il y avait des enfants soldats de 10 à 16 ans. De même le lundi 24 avril, la hiérarchie militaire a fait remarquer, par le biais d’un communiqué, l’emploi par les terroristes d’enfants soldats dans les combats.

Sur la question, Dr Bouréma Kansaye, ancien recteur de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), coordinateur du Laboratoire de droit privé et de science criminelle et, récemment, nommé ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, estime que cette récente implication des enfants dans les actes terroristes révèle le caractère inhumain des groupes terroristes. «Acculés par les actions offensives des Forces armées maliennes (FAMa), ils ont de plus en plus de difficultés à recruter des combattants. Les enfants sont souvent enrôlés de force», a dit l’universitaire.

Pour le Dr Aly Tounkara, maitre de conférences à l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako et expert défense et sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), les enfants soldats pourraient être appelés comme des nouveaux acteurs dans les conflits liés au terrorisme. « Mais à l’analyse, dira-t-il, le phénomène n’est pas du tout nouveau. »

Selon Dr Tounkara, ces enfants ont toujours été des acteurs importants pour grossir les rangs de la Katiba d’Amadoun Koufa. «On sait que pour le cas du Centre du Mali, en particulier la Région de Mopti, les hommes d’Amadoun Koufa avaient déjà enrôlé un nombre extrêmement important d’enfants de la rue, en conflit avec la loi et issus des écoles confessionnelles notamment coraniques dans les années 2014-2015 avec l’intensité des combats contre les groupes radicaux violents », explique Aly Tounkara.

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dans sa note trimestrielle sur les tendances des violations et atteintes aux droits de l’Homme et au droit international humanitaire, allant du 1er octobre au 31 décembre 2022, évoque également l’exigence imposée aux populations par le Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM), notamment dans la Région de Gao (Nord). « Le 10 décembre 2022, indique la Mission, des combattants de ce groupe terroriste ont tenu une série de réunions avec plusieurs chefs de village dans le Cercle de Bourem (Région de Gao), exigeant le paiement de deux millions de Fcfa ou la remise de cinq combattants par village. » Pour financer et renforcer leurs opérations dans la région et contribuer à « l’effort de guerre contre l’état islamique dans le Grand Sahara (EIGS)».

Le recrutement et l’utilisation d’enfants âgés de moins de 15 ans comme soldats sont interdits par le Droit international humanitaire, le droit conventionnel et coutumier et sont définis comme des crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI). Selon Dr Bouréma Kansaye, l’enfant est un être innocent et vulnérable. « Son enrôlement dans l’Armée ou dans les groupes armés est prohibé par les textes nationaux et internationaux », a-t-il prévenu.

CRIMES DE GUERRE – Le président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), Aguibou Bouaré, regrette que ces groupes échappent malheureusement à toutes activités de formation et de sensibilisation sur le respect des règles de Droit international humanitaire. Et de signaler que « tous ces instruments juridiques considèrent l’enrôlement et l’utilisation systématique d’enfants dans les hostilités comme des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. »

Le président de la CNDH condamne ces crimes abominables, ces abus graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Il exhorte les autorités à rechercher, identifier, traduire en justice les commanditaires, auteurs et complices de ces crimes.

Aguibou Bouaré a expliqué que « cette nouvelle tendance résulte de la situation de grande vulnérabilité des enfants dans les zones de conflit, en raison des écoles fermées depuis plusieurs années, de l’effondrement des économies locales, donc du manque de perspectives d’avenir. » « Dans ces conditions, les enfants deviennent de plus en plus des proies faciles, en matière de recrutement par les Groupes armés terroristes », a fait remarquer le président de la CNDH.

Abondant dans le même sens, le Comité international de la Croix Rouge (CICR), dans son rapport publié le 29 octobre 2010, souligne la vulnérabilité des enfants en période de conflit armé. Selon cette organisation humanitaire, « malgré la protection prévue par le droit, des enfants continuent d’être recrutés par les forces armées ou des groupes armés terroristes. »

À ce propos, Dr Bouréma Kansaye note que dans la Région de Mopti (Centre), des milliers d’enfants ne vont plus à l’école depuis des années du fait de la fermeture forcée des écoles par les extrémistes. «Les enfants ainsi désœuvrés sont plus vulnérables au lavage de cerveaux, à l’endoctrinement et à la radicalisation», indique-t-il.

Pour Dr Aly Tounkara, ces jeunes adolescents ont été laissés-pour-compte par beaucoup de marabouts dans la Région de Mopti. Selon lui, ces enfants viennent majoritairement du Mali, du Niger et du Burkina Faso très souvent dans le but d’apprendre le Coran. «Malheureusement, le fait qu’ils soient parfois très nombreux sous la conduite d’un seul maître coranique, beaucoup d’entre eux échappent à toutes formes de contrôle social», déplore l’expert défense et sécurité au CE3S. Il précise que cette situation fait que les enfants sont toujours des proies faciles pour les GAT.

Face à cette tendance, l’état-major général des Armées a appelé la population, le lundi 24 avril dernier, « à la vigilance et à la mobilisation contre les forces du mal en manque de combattants et qui se livrent à l’emploi d’enfants innocents. »

Dr Aly Tounkara souligne, égalament, que parmi ces enfants « qui n’ont pas forcément regagné les groupes radicaux violents, beaucoup ont basculé dans la criminalité organisée ou sont dans des formes de banditisme dans ces localités concernées par le phénomène. »

Pour le chercheur, il est extrêmement important que l’État, dès l’instant, pense à des mécanismes d’intégration professionnelle de ces enfants. « Sans cela, il n’y a rien d’étonnant que la plupart d’entre eux basculent dans des formes de violences variées y compris le terrorisme et même dans les conflits locaux »,alerte l’expert défense et sécurité.

RÉFÉRENCE A L’ISLAM – En ce qui concerne la référence musulmane, notamment l’islam, ou qu’on soit avec les textes de la République notamment la Constitution, nulle part il n’est admis, « l’utilisation des enfants dans les conflits. » Or, ces groupes radicaux violents se battent au nom d’une référence musulmane.

Selon Dr Tounkara, de la prophétie à nos jours, l’orthodoxie musulmane s’est toujours opposée non seulement à l’utilisation des enfants comme des boucs émissaires. même dans les conflits armés. Ils sont épargnés au nom du référentiel musulman, du droit international humanitaire et des textes nationaux. « Aucun référentiel ne peut justifier l’utilisation de ces enfants à des fins terroristes », a insisté l’expert du CE3S.

Le sort de ces enfants innocents doit être sérieusement étudié par les départements ministériel concernés. En l’occurrence, les ministères de l’Administration territoriale, du Culte, de l’Éducation nationale, de l’Emploi et de la Formation professionnelle. « Ces départements doivent, en toute urgence, penser à recadrer l’enseignement confessionnel, même si certaines médersas sont aujourd’hui partie intégrante du système formel malien. Malheureusement, ce n’est pas le cas des écoles coraniques qui restent juste qu’ici majoritairement informelles », a souligné Dr Aly Tounkara.

Selon lui, il est apparu dans différentes analyses que dans certains établissements confessionnels, des enseignements légitimant ou encourageant les actions violentes sont parfois dispensés aux talibés (élèves) qui évoluent dans ce système informel.

Sur cette question, l’ancien recteur de l’USJPB pense qu’il faut créer les conditions de réouverture des écoles dans les zones affectées par les activités terroristes pour assurer la continuité pédagogique au profit des enfants. Pour Bouréma Kansaye, l’Etat doit avoir un contrôle sur la circulation des enfants souvent confiés aux maîtres coraniques, en impliquant, si nécessaire, les services sociaux

Pour sa part, le Dr Tounkara indique qu’il est important, dans les efforts a consentir par l’État et les partenaires au développement, que ces pays concernés (Mali, Niger et Burkina Faso) soient au cœur du processus. «Parce que le problème de ces enfants utilisés par les groupes radicaux violents dépasse les frontières maliennes. C’est une question qui nécessite des actions concertées avec les États concernés », suggère-t-il.

Il a souligné qu’ « il revient à l’État, en dépit de tous les efforts qu’il consent, de veiller à ce que ces enfants soient insérés dans le corps social. » « Sans cela, malheureusement, il n’y a rien d’étonnant qu’ils basculent dans les formes de criminalité transfrontalières ou succombent à l’offre terroriste », a prévenu l’expert en défense et sécurité.

Sur la question de l’enrôlement des enfants associés aux groupes et/ou aux forces armées dans les hostilités, la CNDH agit à plusieurs niveaux. «Nous menons des activités de plaidoyer à l’endroit du gouvernement pour une meilleure protection des enfants dans les zones de conflit », souligne Aguibou Bouaré.

Selon le président de la CNDH, dans le cadre des activités de promotion des droits de l’Homme et des personnes vulnérables, dont les enfants, des formations sont dispensées aux forces de défense et de sécurité.

ACCENTUER LA PRESSION – Pour le coordinateur du Laboratoire de droit privé et de science criminelle, il faut assurer une protection accrue des droits des enfants qui sont interpelés pour actions terroristes et qui sont confiés à la justice. «Parce qu’on peut bien les considérer comme étant aussi des victimes », estime Dr Bouréma Kansaye, tout en conseillant une vigilance accrue de la population et des forces de défense et de sécurité afin d’anticiper les actions terroristes surtout celles impliquant les enfants.

Comme d’autres pays africains, le Mali a souscrit à plusieurs instruments juridiques internationaux dans le cadre de la protection des droits des enfants, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant (1989), le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (2000), la Convention n°182 de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination (1999)… Mieux, le projet de Constitution du Mali, en son article 3 dispose que : «l’Etat assure la protection de l’enfant contre le trafic de personnes et les infractions assimilées et contre l’enrôlement dans les groupes extrémistes violents».

SS/MD (AMAP)