Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA et
Massa SIDIBE
Bamako, 18 oct (AMAP) Le texte élaboré par la Commission de rédaction a été remis officiellement au président de la Transition et au Premier ministre par intérim. Me Mountaga Tall et Me Kassoum Tapo, deux avocats de renom et non moins acteurs politiques de premier plan, se prononcent sur les propositions.
Me Mountaga Tall : « Cette Constitution, comme celle de 1992, ne sera que ce qu’en feront les Maliens »
Avant tout, il convient de s’entendre sur la nature du document produit par la Commission de rédaction de la nouvelle Constitution du Mali qui s’intitule textuellement «Avant-projet de Constitution de la République du Mali». Un avant-projet n’est autre chose que la rédaction provisoire ou l’étude préparatoire d’un projet. Les ingénieurs, autres concepteurs ou bâtisseurs d’ouvrages diront une maquette ou une esquisse. Cette première précision me parait utile pour cerner les contours des débats en cours. Pour l’instant, rien n’est gravé dans du marbre et les discussions et analyses sont certainement utiles et doivent être bienvenues.
Ensuite, il faut accepter le fait que l’unanimité autour d’un projet est aussi ambitieux qu’impossible. Elle ne peut se réaliser ni chez les citoyens intéressés au premier chef, ni chez les «sachants» et autres analystes, ni même au sein de la commission de rédaction même si une obligation de réserve doit prévaloir chez ses membres.
Je sais que même les autorités qui prennent l’initiative d’une nouvelle Constitution ont quelques contrariétés face au produit fini qui leur est livré. C’est pour toutes ces raisons, au demeurant, qu’une campagne référendaire suivie d’un référendum sont organisés avec parfois des résultats serrés dans certains pays.
L’important en cette matière est d’être le plus consensuel possible, le moins clivant et de ne surtout pas faire de l’écriture d’une nouvelle Constitution un moyen de faire prévaloir des visions personnelles ou des intérêts politiques et encore moins de faire prévaloir un groupe sur l’autre. Je pense qu’il n’en a pas été ainsi.
Ces observations faites, je crains qu’une appréciation technique de l’avant-projet article par article par exemple ne soit fastidieuse voire impossible dans notre cadre. Car, nonobstant la qualité du document pour laquelle il faut féliciter les membres de la commission de rédaction, il y a bien évidemment quelques points qui peuvent être améliorés.
La réflexion pourrait ainsi se poursuivre sur l’autorité qui déterminera la politique de la Nation en cas de cohabitation ou sur les clarifications à apporter sur le type de régime proposé. On peut également s’interroger sur le rôle du Haut conseil de la Nation, qui pouvait être la fusion du Conseil économique, social et culturel (CESC) et du Haut conseil des collectivités actuels. Ainsi, on impliquerait davantage les légitimités religieuses et traditionnelles dans la vie de la nation sans les exposer aux prises de position politiques et partisanes inévitables dans une chambre parlementaire. Je ne suis pas aussi sûr que la navette parlementaire que supposent deux chambres au Parlement soit gage d’efficacité dans notre environnement politique et économique.
Par ailleurs, l’on peut constater que le louable souci de pédagogie a quelquefois conduit à insérer dans la Constitution des normes qui relèvent normalement de la loi organique et parfois même de la loi ordinaire.
Il y a aussi, et c’est plus important, certaines dispositions, qui dans leur application, pourraient poser des problèmes d’articulation, de fonctionnement et de stabilité des Institutions. Il est vrai que les Assises nationales de la refondation (ANR) sont passées par là avec les conclusions dont il fallait impérativement tenir compte. Ce sont d’ailleurs ces conclusions qui constituent l’aune principale d’appréciation de l’Avant-projet même si certaines d’entre elles posaient de sérieux problèmes de logistique voire d’équilibre et de stabilité politique et institutionnelle.
Je voudrais terminer sur la pertinence et le moment de la rédaction d’une nouvelle Constitution qui sont contestés par certains. Le besoin d’une nouvelle Constitution ne doit pas être interprété comme la «mise à la poubelle» de la Constitution de 1992 qui, quoi qu’on en dise, a tenu trente ans.
Mais, depuis son adoption, la pratique politique et institutionnelle du Mali a mis en évidence la nécessité d’intégrer de nouvelles dispositions. Car souvenons-nous, c’était notre première expérience d’une constitution pluraliste et démocratique. Face à ces impératifs et après trois tentatives infructueuses et la demande insistante des Maliens à travers les ANR, le travail ne pouvait plus être différé. Et la date indiquée pour le referendum constitutionnel doit rassurer ceux qui pensaient que l’initiative de la nouvelle Constitution n’était qu’un stratagème pour proroger la Transition.
Je dirais pour conclure que cette Constitution, comme celle de 1992, ne sera que ce qu’en feront les Maliens, gouvernants comme gouvernés. Les premiers en faisant preuve de vertu républicaine et démocratique et les seconds, en jouant leur rôle de sentinelle vigilante.
Me Kassoum Tapo : «L’Avant-projet a plus l’allure d’une loi organique que d’une Constitution»
D’abord, il faut féliciter les auteurs d’avoir, en si peu de temps, fait un avant-projet de Constitution. Cela étant, il y a beaucoup de choses à dire là-dessus. On ne fait pas comme cela une nouvelle Constitution pour un pays. D’abord, je trouve que le document est un peu trop long avec 195 articles. Alors qu’à titre comparatif, la Constitution de 1992 comporte 122 articles contre 89 pour la Constitution française de 1958 dont elle s’inspire. Parce que, certainement les auteurs ont voulu prendre en charge tous les problèmes institutionnel, politique, économique et social du pays. Ce qui fait que l’avant-projet a plus l’allure d’une loi organique que d’une Constitution qui prend en charge un peu les problèmes relevant du domaine du Code civil, des Codes de déontologie, de l’administration etc… donc du domaine de la Loi. Toutes choses qui n’ont forcément pas leur place dans une Constitution qui doit se limiter aux principes d’organisation des pouvoirs publics. Je pense que ce n’est qu’un avant-projet comme son nom l’indique et qui est susceptible d’être amélioré pour aboutir à un projet définitif à soumettre par référendum au peuple.
L’innovation majeure, c’est la possibilité de destitution du président de la République. Mais aussi celle des présidents du Haut conseil de la Nation et de l’Assemblée nationale. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons plus à nous soucier de la stabilité de l’Etat qu’autre chose. Permettre aux deux chambres de destituer le président de la République, à mon sens, c’est la voie ouverte au coup d’Etat civil, cette fois-ci.
Destituer les présidents des deux chambres après deux ans, je n’en vois vraiment pas l’utilité. On peut simplement les faire élire pour deux ans ou annuellement. Mais pourquoi forcément prévoir une procédure de destitution des présidents des deux chambres ? C’est la voie ouverte, à mon avis, à l’instabilité totale.
Autre innovation que je ne partage pas du tout, c’est la situation du Premier ministre qui n’est plus responsable devant le Parlement, mais devant le président de la République, ce qui va de soi. Il est nommé par le président de la République qui peut le révoquer à tout moment. Il y a pas lieu de prévoir sa responsabilité devant le président de la République, ça devait être devant le Parlement. Et là, il va présenter son programme de gouvernement devant le Parlement, alors qu’il n’est pas responsable devant celui-ci.
Autre innovation, c’est que le Parlement n’a plus le pouvoir de sanctionner le gouvernement. Pourquoi lui donner alors un pouvoir d’évaluation et de contrôle du gouvernement s’il peut pas prendre une motion de censure ? On a une espèce de mise en parallèle des pouvoirs sans que l’un puisse arrêter l’autre, ça n’a pas de sens.
Normalement, le gouvernement doit pouvoir être censuré par le parlement et le Parlement être dissout par le président de la République. Une autre innovation : le président de la République ne peut plus dissoudre l’Assemblée nationale alors que lui, il peut être démis par le Parlement.
Autre chose que j’ai notée et qui me parait une innovation très dangereuse, c’est justement la mise en accusation du président de la République pour sa destitution qui est faite à la majorité simple des deux chambres. Dès lors que les deux chambres sont d’accord pour le destituer le président de la République, il perd toute immunité. Cela veut dire dès lors que le président n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale, il y a un risque d’instabilité. Et dès lors qu’il est poursuivi, il perd son immunité. Cela veut dire que tout juge peut décerner mandat d’arrêt ou mandat de dépôt contre lui, alors qu’il est encore président de la République et n’est pas destitué. Je ne sais pas si les rédacteurs ont eu conscience de cette situation ? Mais, c’est très grave.
Autre chose que je regrette : on a perdu l’occasion de supprimer la première partie de la Constitution sur les droits humains qui n’a aucune justification, ça fait déjà 29 articles d’économisés. Dès lors qu’on affirme dans le préambule que l’Etat s’engage à garantir le respect des conventions internationales sur les droits humains. La Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte africaine des droits des peuples et des droits de l’Homme, toutes les conventions régionales et sous-régionales relatives aux droits de l’Homme sont visées dans le préambule. Et le préambule ajoute qu’il a la valeur de la Constitution, à partir de ce moment, on avait plus besoin d’énumérer les droits humains, sauf à les restreindre. On aurait pu économiser sur la longueur du texte.
Dans le fond, aujourd’hui, le problème du Mali, c’est l’Etat, c’est l’insécurité, c’est l’instabilité. Donc, on devrait commencer, à mon avis, par l’Etat et la souveraineté. C’est ce qu’on avait voulu faire lors de la réforme de 2017.
Enfin, on a perdu aussi l’occasion d’affirmer l’indépendance de la justice, parce que le président de la République continue à présider le Conseil supérieur de la magistrature. Alors que pour l’indépendance de la justice, ce n’était pas nécessaire. Par contre, il y a une innovation que je salue, c’est le fait que les citoyens puissent directement saisir le Conseil supérieur de la magistrature, de leurs actions contre éventuellement des juges.
Autre innovation que j‘apprécie, c’est le fait que le Conseil supérieur de la magistrature soit composé de membres qui ne sont pas des magistrats. Là également, je pense que c’est une avancée pour les libertés et pour la démocratie ; de même que la possibilité de porter une Question de priorité constitutionnelle (QPC) devant le Conseil constitutionnel.
C’est un avant-projet, je pense avoir entendu le président de la commission dire que c’est une oeuvre humaine, donc qui est susceptible d’amélioration. Il serait bon qu’on appelle la classe politique maintenant qui est en premier chef concernée pour que chacun donne ses avis et ses observations et qu’on puisse aboutir à un projet consensuel qui sera adopté plus facilement en référendum.
BD/MS (AMAP)