Par Rokiatou TRAORÉ

Bamako, 18 oct (AMAP) Par métaphore, on peut dire que la mauvaise fréquentation peut être à l’origine d’une descente aux enfers, notamment pour les jeunes qui sont pris dans l’étau de la consommation des stupéfiants dans certains quartiers de la capitale malienne, Bamako, (même s’il est vrai que le fléau est beaucoup plus accentué dans certains vieux quartiers). Comme l’explique l’ancien ministre français de la Culture, Jack Lang, dans son livre, «Demain, les femmes», en soutenant que «La ville est un monstre qui casse les faibles».

Au «Rail da», dans les environs d’un vieux quartier, indexé à tort ou à raison comme le «milieu de la drogue», une bande de jeunes drogués accepte de se confier. Ces toxicomanes offrent un spectacle ahurissant au mépris de la morale et du «code de bonne conduite». Ils tiennent en main chacun soit un joint soit une canette d’alcool, notamment le Vody (qui s’apparenterait à la Vodka). Parmi eux se trouve un jeune de 14 ans dont le sobriquet est «Tyran». Le teenager, qui ne semble pas avoir froid aux yeux, explique comment il a rejoint la petite bande de drogués. Il cite volontiers les types de drogue qu’il fume ou sniffe : «kolon», «kouchi», «skentji» ou du «seize», un psychotrope en comprimé et autres. Il explique avoir commencé à se camer depuis la 5è année à l’école fondamentale de Médina-coura. 

LA PATROUILLE – «Je me dopais à toutes les occasions. Un jour, le directeur de l’établissement m’a pris en flagrant délit de consommation de joint. Il a voulu sévir mais ma réaction avec un couteau en main a été dissuasive. Ma famille, informée de l’incident, a décidé de m’envoyer au village poursuivre mes études. C’était pour me sanctionner», explique Tyran. Il revient à Bamako pendant les grandes vacances et travaille comme apprenti chauffeur et économise sur sa rétribution journalière pour acheter un stock de cannabis avant de retourner au village. « Sans le joint, mon monde s’écroule et plus rien n’a de l’importance pour moi », confie l’adolescent qui explique qu’en cas de rupture de son stock, il lui arrive, pour s’approvisionner, de faire recours à ses «Tjalés», un jargon du «milieu de la drogue» qui désigne les copains.

Le jeune homme entend bien réussir sa vie tout en continuant à fumer du joint. «I never give up» : je n’abandonne jamais, explique-t-il, parce qu’il s’identifie au célèbre trafiquant colombien de cocaïne, Pablo Escobar. Il nourrit même l’ambition de cultiver le joint dans son petit jardin si Allah, lui donne la chance de trouver un chez-soi. Il relève aussi que tous ses copains font de «la patrouille», un terme qui désigne le vol dans le «lexique des jeunes drogués». Ils écument les marchés à cette fin.

AwôAwô, un autre jeune de la bande, est un apprenti menuisier qui reconnait aussi son addiction à la drogue et à l’alcool. Il explique être bien conscient de la gravité de la situation et des difficultés à faire face à ses besoins en termes de consommation. Il reconnaît être sur une pente glissante mais justifie sa situation par des mauvais exemples dans sa famille, notamment des aînés qui ont fumé du joint pendant longtemps.

Kôlôki est le surnom d’un autre jeune de la bande de drogués. Celui-ci explique clairement ne pas aimer le joint parce qu’il trouve que ce shit rend un peu paresseux et on garde les paupières fermées sous son effet. Or, quand on est pickpocket, il faut toujours avoir tous ses sens en éveil. Ce jeune délinquant avoue avoir une certaine prédilection pour les comprimés comme «Tjésébane», «Dari» ou «25», des termes codés dans le milieu pour désigner des types de drogue.

Pendant notre entretien avec les garçons, surgit une jeune fille de 16 ans. Dika, se prénomme-t-elle, le teint d’ébène, trapue et très agressive, commence à invectiver. Elle déverse sa colère sur ses potes qui finissent par la raisonner. Elle confesse que c’est sous l’influence de son petit copain, l’un des membres de la bande, qu’elle a basculé dans l’enfer de la drogue.

MAITRE DE MON UNIVERS – Ces jeunes toxicomanes pensent noyer leurs soucis dans la drogue et certains finissent par devenir des dealers et des chefs de gang comme Oxy. Lui se targue d’être le premier à introduire le business de la drogue dans son quartier et d’y avoir initié des jeunes. Le trentenaire s’est essayé au commerce général, avant de se résoudre à former son gang. Il garde sous son emprise une cohorte de jeunes qui lui obéissent au doigt et à l’œil et sont prêts à faire n’importe quoi pour lui parce qu’ils agissent, selon lui, toujours sous l’effet de la drogue. Il explique être le maitre de son univers.

Oxy reconnait que l’effet des excitants fait oublier les soucis mais ne résout jamais un problème. Il souligne avoir longtemps consommé la drogue et l’alcool depuis sa prime jeunesse (lorsqu’il avait 15 ans), avant d’arrêter en 2018 et d’y replonger deux ans plus tard. Il y a trouvé un réconfort moral et un gagne-pain.

Brema Ely Dicko, sociologue, confirme que le phénomène de la drogue est plus développé dans les villes même si les campagnes ne sont pas épargnées. La consommation de stupéfiants peut avoir beaucoup de conséquences graves, en termes de criminalité, souligne le sociologue qui explique ces dérives par l’emprise des médias et des réseaux sociaux sur les jeunes, le stress de la précarité, du chômage et le laxisme des autorités compétentes. Ces dernières, selon lui, doivent être plus fermes pour prendre les mesures qui s’imposent afin de lutter efficacement contre le trafic et la consommation de la drogue dans notre pays.

Amidou Keïta, chef de la division juridique et formation à l’Office central des stupéfiants (OCS), confirme, lui aussi, que le phénomène prend de l’ampleur. En 2015, la saisie de drogue ne dépassait pas 6 tonnes par an. Aujourd’hui, elle tourne dans la fourchette de 19 ou 20 tonnes. M. Keïta soutient qu’il y a environ un mois, un jeune a été interpellé avec un kilogramme de cocaïne à l’ACI 2000. Il précise que les plus grosses saisies concernent le chanvre indien, la drogue la plus consommée dans notre pays parce qu’il est moins cher que la cocaïne, par exemple, qui transite généralement vers l’Europe où elle est beaucoup consommée. Ce responsable de l’OCS déplore que la plupart des dealers soient âgés de 18 à 30 ans.

Dr Souleymane Coulibaly, psychiatre au Centre hospitalo-universitaire (CHU) du Point G, explique qu’il est difficile de guérir d’une addiction à la drogue. Parmi les patients référés dans son service de psychiatrie, révèle-t-il, les femmes représentent seulement 1%. C’est dire que c’est la gent masculine qui paie le plus lourd tribut à la drogue.

RT (AMAP)