Par Maimouna SOW
Bamako, 17 juillet (AMAP) A Hamadallaye, un après-midi ensoleillé, dans une rue de ce vieux quartier de Bamako, la capitale malienne, une foule déchainée, avec à sa tête Kadia, poursuit deux jeunes dames. Les poursuivantes sont décidées à en découdre avec celles qu’elles pourchassent. Essoufflée par la course, encouragée par les cris de la foule, Kadia assiège ses adversaires. Les deux dames ont trouvé refuge devant la concession de la famille Traoré, dans la rue 105, près du lycée Prosper Kamara. Kadia jure de rester éternellement devant le portail, s’il le faut, pour faire payer leur insolence à celles qui l’ont déshonorée.
Quel est l’objet du courroux de Kadia ? Elle n’est pas en mesure de répondre. Les yeux rouges de colère, elle continue de proférer des injures. Sa grande sœur Assan cherche à la raisonner et l’invite à laisser tomber. Assan témoigne : « Quand Kadia a accouché, il y a deux ans, son amie, devenue son ennemie, lui a apporté une soupe de poulet et Kadia a reçu de cette même amie, le jour du baptême de son enfant, une pièce de six pagnes ‘Hiterget’ et 10.000 Fcfa. Après l’accouchement de Mama, la partie adverse, Kadia lui a offert une soupe de tripes et un pagne «trois pièces », bas de gamme le jour du baptême ».
Mama n’a pas attendu longtemps pour exprimer sa réprobation. Après le baptême, elle s’est rendue dans la famille de Kadia pour être remboursée. Le témoin, Assan, ajoute qu’elle a toujours participe aux cérémonies sociales de la famille de Mama. « Quand sa maman est décédée, dit-elle, j’ai fait le déplacement jusqu’à Sikasso pour assister aux obsèques. Nos deux familles se fréquentent depuis des années. Elle aurait dû se confier à moi, au lieu de tancer ainsi ma sœur ».
Pourtant Assan comprend que Mama soit déçue en constatant que son amie Kadia n’a pas été à la hauteur de leur amitié, à travers des présents échangés, lors de cérémonies familiales. Elle a eu tort de retourner à Kadia le cadeau et d’exiger que celle-ci lui offre un de haut de gamme. Selon les explications de la sœur aînée, les deux dames en sont arrivées aux mains après des échanges vifs. La bataille visiblement a été remportée par Kadia appuyée par des éléments des familles voisines.
Les habitants du quartier ont estimé que l’amie venue du Badialan II est coupable d’agression à domicile sur Kadia. Pour échapper à la furie, Mama et son accompagnatrice se sont sauvées pour se réfugier dans la famille Traoré.
Aujourd’hui, les cérémonies de baptême ont reçu le sobriquet de « fadew kéné » en bambara. Ce qu’on pourrait traduire, approximativement, en français, par « champs d’honneur » où il faut être à la hauteur de la largesse dont on a, auparavant, bénéficiée : « Je te donne un beau cadeau. En retour, tu me donneras un beau cadeau ». Du donnant donnant. Et gare à celle qui ne s’exécute pas en temps et en heure.
Au Mali, toutes les maîtresses de maison sont fières et très honorées de recevoir de nombreux invités à leur cérémonie familiale de baptême ou de mariage. Le nombre de présence traduit la place qu’occupe la famille dans l’échelle sociale. Mais la quantité et la qualité de cadeaux offerts aux nouveaux mariés ou au nouveau né, au cours de ces événements heureux, reflètent les capacités financières des hôtes et la reconnaissance sociale de la participation des parents à toutes les cérémonies sociales organisées dans le village ou le quartier. Offrir ou recevoir des cadeaux repose sur le principe de la réciprocité qui commande de savoir rendre plus que ce que l’on a reçu.
Quand ce sujet est abordé dans un salon de tatouage, Sitan Kanté, toute remontée, témoigne qu’elle ne peut pas travailler pour honorer des amies qui, à leur tour, n’en fassent pas autant pour elle. « La grossesse compte neuf mois. Si elles ne sont pas de mauvaise foi, toutes celles qui veulent t’honorer ce jour-là, en auront eu largement le temps », vocifère-t-elle.
En effet, Sitan Kanté a déjà réglé ses comptes avec des amies « incorrectes ». Le lendemain du baptême de son fils, elle a appelé une copine pour la sermonner, « Mah, je ne t’ai pas vue au baptême de mon enfant. C’est ton problème. Mais garde moi le pagne que je t’ai offert pour le baptême de ton fils. Je viens, de ce pas, reprendre mon cadeau ». D’un quartier à un autre, celle qui n’a pas accepté pas d’être traitée par dessus-la jambe est partie récupérer son pagne. Et elle le fait savoir, fièrement, à qui veut l’entendre.
Au Mali, les grandes dames aiment se mettre en valeur. Elles portent de coûteux grands boubous, de clinquants bijoux en or ou en plaqués, des foulards soigneusement attachés. Elles son maquillées à vous couper le souffle. Et quel sourire ! Quand elles distribuent des billets de banque. Chacune a son secret pour être au centre des cérémonies sociales. Avant ces jours spéciaux, elles se soucient uniquement de collecter les parures pour paraitre sublimes le jour « J ». Elles se battent dans les marchés, les services publics et privés, le créneau des petits métiers, pour se donner les moyens financiers d’être autonomes, de se faire remarquer et donner l’illusion qu’elles sont riches comme Crésus. Elles n’hésitent point à liquider les économies de plusieurs mois de travail au cours de ces cérémonies sociales.
Mme Fall Djénéba réside à Sébenikoro. Elle est la seconde femme de son époux. Elle a accouché pendant le mois de ramadan. Le moment n’était pas propice pour les cérémonies fastueuses. Le baptême a été reporté. Ce temps a permis à Mme Fall et à ses proches de se préparer pour en mettre plein la vue de sa coépouse. La vedette/star du prochain baptême a confectionné trois tenues différentes : une pour le matin et deux pour le soir. Toutes ses amies et proches ont cousu une tenue uniforme en basin pour l’accompagner dans ses moments de folie des grandeurs.
MS/MD (AMAP)


