La rue a bien changé depuis que Mamadou Bouaré s’y est installé dans les années 70 en déblayant les ordures. C’est aujourd’hui une ruche bourdonnante

Par Fadi CISSÉ

Bamako, 29 sept (AMAP) C’est une rue à laquelle l’administration n’a attribué aucun numéro et qu’on ne retrouvera peut-être pas sur Google Maps. Et pourtant, pour ses occupants comme pour nombre de Bamakois qui la connaissent, cette artère a un nom et même deux : Bolotchi yoro carré ou Bada carré (en français, «rue du centre de vaccination» ou «rue qui mène au fleuve»). Située au Quartier du fleuve en Commune III du District de Bamako, Bolotchi yoro carré est situé entre l’ancien Service d’hygiène devenu le Centre de lutte contre le diabète et le grand collecteur de Dibida. C’est un passage à l’aspect peu engageant, au sol creusé de nids de poule et pourtant c’est un site encombré qui accueille une foule de petits métiers. Les réparateurs de motos sont les plus nombreux. Ils côtoient des bouquinistes, des vendeurs de matériels agricoles (dabas, houes, râteaux et arrosoirs), de tuyaux et de bidons de toutes tailles. Ces négociants et leur bric-à-brac prennent tellement de places que la largeur de la rue s’en est trouvée fort réduite.

Beaucoup de monde donc et un tintamarre incessant où dominent la musique venant de partout et le grondement de moteurs poussés à fond par les mécaniciens. Ce tapage frappe autant le visiteur que l’atmosphère saturée de fumée d’échappement et un sol noir gorgé d’huile de moteur usagé. Il ne faut surtout pas s’arrêter à ces apparences car Bolotchi yoro carré a aussi ses charmes dont le moindre n’est pas le célèbre restaurant «Bafing», bien connu des touristes et des expatriés. Et toutes ces gargotes à l’air libre font de bonnes affaires, si l’on en juge par leur fréquentation.

De la mécanique, de la restauration mais, aussi, de la mode au détour de la rue avec ces vieux tailleurs attelés à coudre des pagnes wax, sous un grand hangar et toutes ces étoffes exposées et proposées à la vente, à l’ombre d’un grand arbre. A l’entrée de la rue, un sexagénaire, Mamadou Bouaré, tient une boutique de produits phytosanitaires, engrais, semences et insecticides. Sa particularité ? Il est le premier occupant du site. Mamadou Bouaré se rappelle ces premières années durant lesquelles cette rue était très peu fréquentée. «Vers les années 1967, l’espace n’était occupé que par des bandits. Personne n’osait s’y aventurer contrairement au marché «Dibida» tout proche et qui était très fréquenté. À cette époque, mon patron et moi vendions des produits phytosanitaires au marché Dibida. », raconte-t-il. « Puis, poursuit-il, les autorités ont ordonné la démolition des installations des occupants du «Dibida». Après cette opération, Mamadou est resté sans activités pendant plusieurs mois, avant de s’installer dans le «Bolotchi yoro carré».

UN ANCIEN NID DES BANDITS – « Auparavant, se souvient-il, ce lieu était un dépotoir d’ordures qui dégageait une puanteur insoutenable ». «J’ai tout nettoyé pour pouvoir m’installer. Je vendais la peur au ventre car les bandits étaient fréquents ici. Mais avec l’aide de Dieu, tout s’est bien passé. Voilà qu’aujourd’hui, on ne peut même pas compter le nombre de gens qui gagnent leur vie sur ce site».

Mamadou Bouaré souligne qu’à l’époque, sa qualité de premier occupant n’a convaincu personne de le contacter pour acquérir un espace dans la rue. Les choses ont bien changé car le lieu a acquis une valeur marchande certaine. Tandis que la mairie du District prélève sur chacun des business installés ici, une taxe mensuelle de 2.500 Fcfa, les emplacements changent de main, à l’occasion, revendus ou mis en location par leurs «propriétaires».

Grâce à Adama Traoré, un des «anciens» de la rue, nous avons une idée des prix pratiqués. En 2003, après avoir vainement tenté de s’installer au marché Dibida, il a déboursé 250.000 Fcfa pour l’emplacement où il a implanté son atelier de réparation de motos et son kiosque de vente des pièces détachées d’engins à deux roues.

« Mais peu à peu, les immeubles commerciaux et les boutiques se sont multipliés et les gens ont afflué. Les loyers et les cautions étaient trop élevés pour nous », se souvient Konaré. Son atelier a dû déménager dans cette rue beaucoup moins sollicitée. Après le décès de son patron, Bourama est devenu le gérant principal de l’atelier qui s’est adjoint un kiosque de vente de pièces détachées pour améliorer le modeste chiffre d’affaires.

Si «Bada» est un remarquable lieu de commerce et de petits métiers, il est loin de constituer une exception au Quartier du fleuve où nombre de rues irriguant le Dibida affichent un dynamisme et une animation similaires dans l’informel, avec des gens modestes mais entreprenants, travailleurs et opiniâtres.

FC/MD (AMAP)