Bamako : Le fléau des déchets toxiques

Bamako, 09 fév (AMAP) Chaussé de tongs, Zoumana zigzague entre les débris de verre et de sacs plastiques qui tapissent son champ. « Attention, des serpents peuvent s’y cacher», prévient-il.

Depuis quatre ans, l’agriculteur de 31 ans fait pousser du maïs sur cette terre située dans la commune de Sénou, un quartier en bordure de Bamako proche de l’aéroport. Mais ses cultures sont étouffées par des centaines de kilos de déchets des foyers de la capitale, acheminés en tracteurs ou dans des charrettes, et déversés sauvagement sur sa parcelle. Zoumana se bat, sans succès, pour tenter d’endiguer le phénomène. « J’appelle régulièrement le poste de gendarmerie, mais rien n’y fait, les charretiers glissent un billet et ça recommence le lendemain», se désole-t-il.

Son histoire n’est pas un cas isolé. Sur les images satellites, l’aéroport international du Mali est cerné de taches grises qui signalent la présence de décharges sauvages. Au niveau des mairies d’arrondissement de Bamako, il n’existe pas de benne, ni d’entreprises mandatées pour la gestion des déchets. Le plus souvent, les ménages souscrivent individuellement des abonnements auprès de petits groupes d’intérêt économique (GIE) qui se chargent de l’affaire.

Abdoulaye Diakité travaille pour l’une de ces entités. Accompagné de son fils âgé d’une dizaine d’années et de son âne, il décharge une montagne de détritus non loin de la route qui longe l’aéroport, où l’urbanisation galopante de la capitale n’a pas encore rogné les terrains. Il le reconnaît : « Ici ce n’est pas un dépôt, et cela me fait mal au cœur, mais il n’y a pas d’autre choix. »

Faute d’espace aménagé, « il y a une prolifération anarchique de décharges autour de l’aéroport et dans beaucoup d’autres endroits», regrette Amadou Camara, ancien patron de la direction nationale de l’assainissement. En 2008, deux sites avaient pourtant été identifiés sur chacune des rives du fleuve Niger. Plus de dix ans plus tard, ils ne sont toujours pas opérationnels et «les gens font ce qu’ils veulent, du moins ce qu’ils peuvent. Les charretiers déposent aux points les plus proches d’eux », constate l’ex-directeur. Ces déversements illégaux induisent un «risque aviaire», souligne-t-il, car « les ordures attirent les oiseaux, dangereux pour le décollage comme pour l’atterrissage des avions. »

Les déchets ne proviennent pas que du centre de la capitale. Limitrophe de l’aéroport, le quartier général de la Mission des Nations unies au Mali, la Minusma, aurait une part de responsabilité dans cette accumulation de détritus. C’est en tout cas ce qu’avancent les riverains et les travailleurs sur place.

Diakaridia Traoré, patron du GIE qui emploie Abdoulaye et accessoirement ancien maire adjoint de Sénou, affirme ainsi avoir vu un jour des membres de la Mission « déverser tous leurs restes puis les brûler. »

Les effets de cette poubellisation du paysage ne sont pas qu’environnementaux. En lieu et place du recyclage, des silhouettes errent dans les décharges improvisées, à la recherche du plastique «lourd». Ces hommes et femmes «ramassent ce qu’ils peuvent vendre puis mettent le feu à ce qui reste», relate Abdoulaye Diakité. Les nuées noires sont fréquentes au-dessus de Bamako. En périphérie de la capitale, les tas d’ordures qui bordent les pistes laissent parfois s’échapper des fumées toxiques. « Les gaz gênent beaucoup de personnes. Cela leur oppresse la poitrine », fait observer Zoumana.

(AMAP) Avec Le Monde Afrique