Spécial 22 septembre 2022-Accès à l’engrais subventionné : Parcours du combattant pour les producteurs

Entrepôt d’engrais minéraux

Par Cheick Mocatr TRAORE

L’Etat a prévu de mobiliser 17 milliards de Fcfa, cette année, pour permettre aux paysans de disposer d’une partie de leurs besoins en fertilisants chimiques à un prix abordable. Mais les quantités commandées ne sont pas disponibles du fait de la défaillance de certains fournisseurs. Du coup, le sac de 50 kg à 12.500 Fcfa demeure un mirage pour beaucoup de producteurs agricoles

La flambée et la volatilité des prix des engrais persistent à travers le monde. Au Mali, à cause des prix élevés, les engrais ne sont pas à la portée de la bourse de l’écrasante majorité des producteurs agricoles. Pour pallier la difficulté, l’Etat mobilise des ressources pour subventionner une partie de l’approvisionnement en engrais. Problème : l’accès à l’engrais subventionné est un parcours du combattant pour les producteurs. Administration et opérateurs économiques se rejettent la faute. Quelles en sont les raisons véritables ? Cette situation risque-t-elle de compromettre la sécurité alimentaire, cette année ? Est-il encore possible de rectifier le tir ? Pour la présente campagne agricole, l’engrais subventionné représente 15% des besoins des producteurs des zones hors CMDT. Il est cédé à 12.500 Fcfa. L’État paie les fournisseurs selon un prix convenu pour que les producteurs puissent obtenir le précieux fertilisant à 12.500 Fcfa le sac de 50 kg. Le montant total des ressources financières mobilisées, pour cette campagne, se chiffre à 17 milliards de Fcfa. C’est au prix du marché que producteurs achèteront les 85% de leurs besoins en engrais.

Sur les six fournisseurs sélectionnés pour ravitailler l’Office du Niger en engrais subventionné, un seul a pu honorer entièrement son contrat. Cette situation est, de l’avis du ministre du Développement rural, Modibo Keïta, due essentiellement à l’accès difficile au prêt bancaire par certains fournisseurs. 

Il faut dire que de nouveaux fournisseurs ont fait leur apparition dans le négoce de l’engrais cette année parce que les pouvoirs publics en ont décidé ainsi, avec l’objectif de casser le quasi monopole des sociétés Gnoumani, Toguna, Doucouré. Le ministre du Développement rural pense que l’ouverture du marché à d’autres opérateurs économiques n’a pas été du goût des fournisseurs traditionnels qui auraient exigé le règlement des impayés de 2019 et 2021, avant toute nouvelle fourniture d’engrais. 

Le ministre Modibo Keïta croit savoir que les magnats de l’engrais ont rechigné à jouer le jeu parce qu’il leur est plus profitable de vendre l’engrais au comptant, en mettant en avant le prétexte de la «hausse mondiale des prix». C’est ainsi qu’ils aurient exigé de vendre le sac d’engrais à 50.000 Fcfa à l’État et continuer à servir les zones qu’ils ravitaillaient habituellement.  

VRAIMENT TARD – Les fournisseurs d’engrais disent n’avoir jamais tenu de tels propos. Précisons que la Société Doucouré partenaires agro-industrie (DPA) et Gnoumani S.A sont les principaux fournisseurs d’engrais en zone Office du Niger. 

Diadjé Ba, le patron de Gnoumani S.A, soutient que le ministère du Développement rural a exclu les fournisseurs traditionnels du marché de l’engrais subventionné. Il assure que la quantité d’engrais nécessaire à la campagne agricole en cours est disponible dans ses magasins. 

Quant à la société DPA, elle dit disposer d’un stock estimé à 700.000 tonnes, suffisant également pour satisfaire les besoins des producteurs. La société DPA fournit de l’engrais à 193 organisations paysannes de l’Office du Niger. Le sac de 50 kg de NPK 162-612 est cédé à 37.500 Fcfa, soit 750.000 Fcfa la tonne. Celui de l’Urée est vendu à 33.750 Fcfa, soit 675.000 Fcfa la tonne.

Pendant que les autorités et les fournisseurs se rejettent la responsabilité, les producteurs voient leurs cultures pâtir du manque de fertilisants. « L’engrais fait défaut cette année, déplore le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCAM). Les fournisseurs n’ont pas pu honorer leur contrat. C’est maintenant que certains disent qu’ils vont les honorer. Il est vraiment tard ». Selon Sanoussi Bouya Sylla, les responsables n’ont pas su anticiper. « Dès la crise de Covid-19, on savait ce qui allait se passer. Si des dispositions avaient été prises à temps, si on avait donné la fourniture de l’engrais à ceux qui ont la capacité technique et logistique, on n’en serait pas là. La responsabilité incombe à ceux qui ont donné le contrat à des gens qui n’ont pas pu livrer », fustige-t-il, estimant qu’il faut situer les responsabilités et tirer les leçons.

Cette situation devrait être évitée, fulmine notre interlocuteur qui rappelle qu’une mission de la direction nationale de l’agriculture à laquelle un représentant de l’APCAM a participé avait fait l’état de l’engrais dans le pays, avant la période d’hivernage. « Si on avait par exemple écouté les paysans, on aurait plaidé pour réduire le quota en engrais organique en faveur de l’engrais chimique. Dans beaucoup de zones, il y a eu ce problème de reconversion », déplore Sanoussi Bouya Sylla. 

Pour espérer rectifier le tir, « nous devons préparer la contre-saison de riz et une offensive maraîchère sur les tubercules…», propose le président de l’APCAM. Qui invite à revoir le mécanisme d’approvisionnement en engrais. Il plaide pour l’enregistrement des exploitations familiales avec la géolocalisation assortie de la carte professionnelle agricole comme le préconise la Loi d’orientation agricole (LOA) dans ses articles 16, 19 et 21. 

Le manque de fertilisants peut fortement compromettre la sécurité alimentaire dans le pays, alerte Sanoussi Bouya Sylla. Le maïs et le riz ont nécessairement besoin d’engrais chimiques. 

CMT (AMAP)

Encadré : Avancées majeures

Le président de la Transition ambitionne de faire de l’Agriculture le moteur du développement économique et sociale du Mali, en renforçant la traçabilité des investissements dans le secteur. «Je remercie le chef de l’État qui a instruit le ministre du Développement rural d’amorcer cet enregistrement des exploitations familiales agricoles avec géolocalisation pour voir la traçabilité de ses actions avec les paysans », s’est réjoui le président de l’Apcam. 

Aujourd’hui, renchérit Sanoussi Bouya Sylla, le président Assimi Goïta parle de la loi de programmation des investissements du secteur agricole qui est le seul cadre définit pour le financement du secteur agricole dans la Loi d’orientation agricole (LOA). Le chef de l’État a également exigé que 10% de la graine de coton soit réservé aux éleveurs du Mali. Ce sont des avancées majeures jamais encore atteintes, commente-t-il. 

CMT (AMAP)