Vieux Farka Touré : L’album du retour aux sources

Par Moussa BOLLY

Bamako, 16 sept (AMAP) Après avoir exploré plusieurs pistes et expérimenté des genres musicaux afin de se faire une identité musicale propre, Vieux Farka Touré semble désormais décidé à suivre les traces de son illustre père en s’abreuvant aux racines du blues. Et cela avec un album bien nommé : «Les Racines». Une œuvre de dix titres produite sous le label World Circuit et qui est disponible sur toutes les plateformes depuis le 10 juin 2022.

«Revenir aux racines de cette musique est un nouveau départ pour moi et je n’ai jamais passé autant de temps ou travaillé aussi dur sur un album. Je savais que ça devait être profond, durable et puissant. J’ai donc pris beaucoup de temps pour réfléchir à comment le faire et le mettre ensemble». C’est la confession faite par Vieux Farka (de son vrai nom Bouréima Touré) à la presse, à la veille de la sortie de son nouvel opus, «Les Racines».

Même si son talent est incontestable, le jeu de guitare et les arrangements des œuvres de Vieux Farka Touré s’apparentaient, jusque-là, à un bruyant rock ‘n’ roll (Rock and Roll) qu’aux envoûtantes mélodies des monstres sacrés du blues, comme son père, feu Ali Farka Touré.

Au début de sa carrière, l’ambition du jeune artiste était sans doute de s’affranchir de la notoriété de son charismatique et légendaire papa, en s’ouvrant sa propre voie vers la célébrité.

Et, il y est parvenu avec plus ou moins de succès avec ses différents albums. Il s’agit notamment de «Vieux Farka Touré» (Modiba/World Village ; 2006), «Fondo» (Six Degrees Records, 2009), «The Secret» (Six Degrees Records, 2011), «Mon Pays» (Six Degrees Records ; 2013) et «Samba» (Six Degrees Records, 2017). Des œuvres qui lui ont  quand même ouvert les portes du showbiz mondial. Et cela à travers un genre atypique défini par certains critiques comme «un syncrétisme musical à base de blues, funk et reggae, agrémenté de tradition malienne». Et cela avec des sources majeures d’influence comme Jimmy Hendrix, James Brown, Michael Jackson, Bob Marley…

Ce qui fait que les fanatiques du blues l’écoutaient beaucoup plus par reconnaissance que par admiration. Aujourd’hui, le jeune virtuose de la guitare semble avoir pris conscience de toute sa responsabilité en tant qu’héritier, en tant que fils d’un terroir qui s’est toujours ouvert au brassage, sans jamais y laisser son âme. «Quoi que tu fasses, quel que soit l’endroit où tu pars, quel que soit le domaine où tu évolues, à un moment, tu dois retourner chez toi… Il faut savoir regarder en arrière, vers nos ancêtres», déclare Vieux pour justifier son retour aux sources.

SUR LES TRACES DU PERE – Selon des critiques, les dix titres de «Les Racines» dégagent l’exquis parfum d’un «desert blues» pur et accrocheur. «Ça, c’est vraiment la musique que je dois faire. C’est la musique de chez moi, de là où je suis né, de là où j’ai grandi», a-t-il reconnu devant des confrères de la presse internationale. Ce nouvel album marque certainement un tournant décisif dans la carrière de ce talent jovial et taquin. Il propulse sa carrière dans une autre dimension avec des titres captivant comme «Gabou Ni Tie».

En plus de le ramener aux racines du blues, reconnaissent des critiques, «ce titre propulse aussi Vieux Farka dans la dynamique de l’engagement artistique» de son regretté père. «Dans mon pays, le Mali, l’éducation traditionnelle est très importante pour remplir par la suite ses fonctions d’adultes. Il s’agit ici d’une jeune fille qui ne veut pas suivre cette éducation ancestrale. Elle passe tout son temps à vagabonder, elle n’écoute pas les conseils de ses parents et ne fait que des mauvaises fréquentations. Là, on lui demande de revenir dans le rang parce qu’on a des valeurs coutumières à respecter. Tu dois respecter tes parents et toute la communauté pour la conservation de nos valeurs traditionnelles», raconte le fils d’Ali Farka à propos de ce titre dans lequel il doit, sans doute, se reconnaître en partie.

Quant au titre «Les Racines», il le réconcilie  avec la musique songhaï que des critiques qualifient de «desert blues». Un genre atypique rendu célèbre par le regretté Ali Farka Touré. Une légende qui a su brillamment relever le défi de prouver que les racines du blues sont Afrique, notamment sur les berges du Djoliba (fleuve Niger).

Et pour ce virage dans sa carrière, Vieux ne pouvait mieux trouver que «World circuit», une maison de production qui a été le tremplin du rayonnement mondial de son défunt et illustre père. Une première ! «C’est compliqué de travailler avec Nick Gold parce que ce n’est pas n’importe qui : c’est un père pour moi», confesse Vieux. Et d’ajouter, «il a voulu attendre que je fasse d’autres projets avant de collaborer. Pour ce disque, c’est comme si Ali était avec moi, donc c’était une très grosse pression pour moi de travailler avec lui. Nick est très exigeant… Le jour où j’ai enfin soufflé, c’est quand il m’a appelé pour me féliciter pour l’album. C’était comme si Ali Farka venait me dire : mon fils, tu as bien travaillé» !

Un soulagement d’autant plus que, reconnaît le jeune artiste, «quand tu viens d’un monde musical de rock et de pédales… et, soudain, revenir à la tradition, à ce monde de savoir, ce n’est pas facile, surtout quand tu sais que Nick Gold est le producteur. C’était vraiment marcher dans les pas de mon père, sans aucun artifice». Le guitariste virtuose suit également les traces de son père en collaborant sur cet album avec des stars comme Amadou Bagayoko (Gabou Ni Tie) et Madou Sidiki Diabaté (Les Racines).

QUETE D’UNE SONORITE ATYPIQUE – Absent des bacs depuis 2017 (l’album Samba), Vieux Farka Touré, a profité du coup d’arrêt imposé par la pandémie du Coronavirus pour faire le point de sa carrière et penser à l’avenir. «J’avais envie de faire un album plus traditionnel depuis très, très longtemps. C’est important pour moi et pour le peuple malien de rester connecté à nos racines et à notre histoire», reconnaît-il.

«C’est toute une réflexion qui me travaille depuis très longtemps, mais j’ai commencé à m’y mettre avec cette pause mondiale et la fin des tournées et des voyages. Ce qui m’a permis de marquer une pause », dit-il. « Je n’ai jamais passé autant de temps ni travaillé aussi dur sur un album parce que tout à coup, j’ai eu le temps de réaliser ce que je voulais une sonorité très particulière ! J’ai voulu jouer avec la guitare de mon père pour recréer ce son. Puis, j’ai travaillé avec Jerry Boys, l’ingénieur du son qui a collaboré des années avec mon père. Jerry a fini le boulot», a-t-il expliqué dans un entretien accordé à nos confrères de PAM (Pan-african-music.com).

Ce projet, le «Hendrix du Sahara» l’a conçu et réalisé pendant deux ans à Bamako, dans son home studio installé au domicile paternel. Il en a donc résulté un somptueux album de dix titres (Gabou Ni Tie, Les Racines, Flany Konaré, Ngala Kaourene, Tinnondirene, Ndjehene Direne, Lahidou, L’Âme, Adou et Be Together) axés sur l’éducation, la paix, la cohésion sociale… «Au Mali, la musique est le principal moyen de transmettre des informations et des connaissances, de sensibiliser, de mobiliser, d’éveiller les consciences…», expliquait-il (à propos du nouvel album) à la presse occidentale. Et d’ajouter : «Mon père s’est battu pour la paix et, en tant qu’artistes, nous avons l’obligation d’éduquer sur les problèmes auxquels notre pays est confronté, de rallier les gens et de les ramener à la raison».

Aujourd’hui, Bouréima dit Vieux Farka Touré est déterminé à perpétuer l’héritage paternel sur tous les plans. «Je suis son chemin. Je suis moi aussi dans l’agriculture, à l’écoute de la vie du village et du social. Impossible de laisser tomber ça. C’est une grande responsabilité. Ce n’est pas facile, mais que faire ? C’est notre destin ! Ça nourrit ma musique», reconnaît-il. Ne soyez donc pas surpris de le voir, un jour, solliciter les suffrages des populations pour se faire élire «Monsieur le Maire», comme feu son père Ali Farka décédé quand il était aussi l’édile de Niafunké, la ville natale, dans le Nord du Mali !

MB/MD (AMAP)