
C’est une règle non écrite aux postes frontières : Ceux qui ont une carte d’identité ivoirienne ou malienne ou qui n’ont aucune pièce d’identité payent 2 000 Fcfa…
Par Fatoumata M. SIDIBÉ
Bamako, 13 sept (AMAP) Un jeudi matin du mois d’août à la gare routière de Sogoniko, à Bamako, la capitale malienne. À 7 heures, le sit n’est pas encore envahi. Par ses seules dimensions, son volume et son emprise spatiale, cette gare routière est un «objet urbain» important qui marque le paysage et les pratiques quotidiennes de tout un secteur. Le charivari s’y installe au fur et à mesure que les passagers, harcelés par les rabatteurs des compagnies de transport, arrivent dans la cour. Après l’achat des tickets au comptoir de l’une des compagnies, on embarque pour un voyage qui prendra toute la journée.
La distance entre Bamako et Abidjan fait plus de 1 100 km. Pour l’affronter, des passagers se sont ravitaillés en diverses denrées dont la plupart sont fait-maison. Cette précaution les met à l’abri de risques d’intoxication liés à la consommation d’aliments généralement jugés malsains. Le bus arrive à Kacoli dernier village malien avant de rentrer en territoire ivoirien, à 14 heures. Passer le poste de contrôle qui s’y trouve est, selon les habitués de ce trajet, une «épreuve». À notre arrivée, de nombreux bus attendaient impatiemment leurs passagers qui passaient le contrôle.
Déjà, une peur bleue commence à s’installer. «C’est la partie du voyage qui me fait peur», lâche, angoissée, une dame qui voyage avec sa fille d’environ un an. La bonne dame n’a pas eu le temps de rechercher le document prouvant que le père de l’enfant l’autorise à voyager. Pour d’autres passagers, c’est la validité des pièces d’identité qui est en cause. À la sortie du bus, deux agents en tenue militaire vérifient les pièces. Notre bonne dame et plusieurs autres passagers sont dirigés vers un banc, non loin des installations militaires. Ils sont ensuite appelés, un à un, dans une petite maison faisant office de bureau pour les agents en poste.
Il y a une règle non écrite sur le tronçon Abidjan-Bamako, c’est le paiement de 2 000 Fcfa. Même munis de pièces d’identité en cours de validité, les passagers sont très souvent contraints de mettre la main à la poche pour passer les différents postes de contrôle
Là, il n’est pas autorisé de passer des appels ni de s’arrêter pour regarder ce que l’autre peut subir. Impossible d’en sortir sans y laisser quelques billets. C’est une règle non écrite. Ceux qui ont une carte d’identité ivoirienne ou qui n’ont aucune pièce d’identité payent 2 000 Fcfa. Idem pour chaque enfant qui voyage sans acte de naissance et certificat de voyage d’autorisation du père. Seuls les Maliens ayant une pièce d’identité valide passent le poste sans rien débourser. Ils profitent d’ailleurs de ce temps pour prier et observer une pause pour se soulager.
Mais ces Maliens savent qu’ils vont obligatoire mettre la main à la poche dès qu’ils auront franchi la frontière. Juste après Kacoli, certains descendent du bus pour emprunter des motos qui les aident à contourner le poste de contrôle ivoirien. Là, les Maliens subissent une sorte de vendetta. Seuls les passagers disposant de pièces d’identification ivoirienne et de carte de vaccination ne passent pas à la caisse. Tous ceux qui ont une carte d’identité malienne, valide ou pas, payent la somme de 2 000 Fcfa. En plus, le passager doit débourser 8 000 Fcfa quand il n’a pas de carte de vaccination. Les enfants n’ayant pas leurs actes de naissance et certificats d’autorisation de voyage du père, connaissent le même sort.
ECHAPPER AUX CONTROLES – Très souvent, les gens qui empruntent les motos taxi échappent aux contrôles médical et physique. Raison pour laquelle, ce moyen est très utilisé. «Il y a des motos. Qui n’a pas de vaccination ? Ce n’est que 2 000 Fcfa pour te faire échapper aux contrôles de vaccination et éviter de payer 8 000 Fcfa», nous lance un conducteur de moto. Au cours de nos échanges, il nous confiera ceci : «C’est notre gagne pain ici à la frontière. Par jour, je peux économiser plus de 10 000 Fcfa. Mais il y a des risques.» La mission du taximan est de conduire le client un peu loin du poste de contrôle de Nigouni, premier village ivoirien. Ce poste est à environ 8 km de Tengrela, la première ville ivoirienne après le Mali.
Cependant, certains passagers préfèrent rester dans le bus et se faire vacciner. «C’est fait pour notre bien, je le ferai même si cela me coûte. C’est mieux que de fuir à chaque fois», murmure une jeune fille qui quitte le pays pour la première fois. Tout au long du trajet, l’on tombera sur d’autres postes. Parfois, quelques agents vous barrent la route pour racketter. A chaque fois, l’angoisse s’installe aussitôt chez les voyageurs de nationalité malienne. Il faut obligatoirement payer 2 000 Fcfa. Souvent, certains bagages sont descendus par les douaniers en raison de leurs contenus et leurs propriétaires doivent impérativement payer. Les Ivoiriens, eux, ne sont jamais inquiétés.
Nous arrivons bientôt au poste de contrôle des bagages. Les commerçants savent ce que cela signifie. «Nous allons cotiser chacun 2 000 Fcfa pour ceux qui ont des bagages en soute et 1 000 Fcfa pour ceux qui n’ont qu’une valise», explique une dame.
Un chuchotement se fait vite entendre : «Je n’ai qu’une valise contenant mes habits. Ce sont les gens qui ont des marchandises qui doivent payer», dit un passager.
«Après tout, c’est le boulot de la douane de contrôler les véhicules. Vous nous prenez ici pour des voleurs. Si on ne paie pas, ils nous demanderons de faire descendre tous les bagages. Nous allons descendre les valises de ceux qui ne paieront pas et nous continuerons la route sans eux», lance un apprenti-chauffeur, fâché. Là, aussi, quasiment tous les voyageurs avec bagages sont abusés.
Après Tengrela, en profondeur des terres ivoiriennes, une longue route s’étale devant les voyageurs. Une route carrossable, agréable de par son beau paysage. La Côte d’Ivoire dispose d’une mer généreuse, de forêts abondantes et, aussi, d’un sous-sol qui regorge de minerais précieux. Des forêts s’étendent à perte de vue, après chaque village où ville.
Le voyage entre Bamako et Abidjan par bus, est sans doute, plein de découvertes même si les passagers sont fatigués de s’assoir et à cause des tracasseries sur un trajet qui ne dépasse pas, en temps normal, plus de 24 heures de route.
Sous une fine pluie, on arrive à Yamoussokro où se trouve la basilique «Notre Dame de la Paix», une impressionnante bâtisse, par sa taille et sa beauté. C’est vers 14 heures, le lendemain de notre départ de Bamako, que la ville d’Abidjan se montre enfin. La découverte de la ville est un soulagement. Le passager retrouve une ambiance de ville coquette avec ses embouteillages, ses taxis peints aux couleurs bleu et rouge, les wôrô wôrô (transport en commun) et, surtout, le tintamarre des klaxons.
Abidjan est une ville en pleine croissance où des buildings poussent comme des champignons. Mais l’on y retrouve aussi des bidonvilles, ces quartiers d’habitats faits de matériaux de récupération et où vivent des milliers de personnes dans des conditions très précaires.
FMS/MD (AMAP)


