Sikasso : la mendicité des enfants, entre tradition, pauvreté et exploitation

Par Aïssata DEMBELE

Stagiaire Amap-Sikasso

Sikasso, 19 juin (AMAP) À Sikasso (Sud), comme dans de nombreuses régions du Mali, la mendicité est une pratique ancrée, souvent perçue comme un moyen rapide de subvenir à ses besoins. Cette tradition, particulièrement répandue parmi les enfants talibés âgés de 6 à 12 ans et les personnes en situation de handicap, soulève des questions complexes mêlant religion, pauvreté et exploitation.

Chaque jour, dans les rues de la cité verte du Kénédougou, des enfants pieds nus, vêtus de haillons, tendent la main aux passants devant les mosquées, les restaurants, les marchés ou le long des routes. « Dalagarib ! Dalagarib ! », s’écrie Yaya Bamba, 6 ans, dès 7 heures du matin devant une porte du quartier Bougoula-ville. Originaire de Loulouni, à une cinquantaine de kilomètres de Sikasso, Yaya a été confié à un maître coranique pour apprendre le Coran. « Si je ne ramène ni argent ni nourriture, on me punit. Je veux apprendre, pas mendier », confie-t-il, la voix empreinte de tristesse.

Boubacar, venu de Mopti, partage une histoire similaire. Confié à un maître coranique, il est souvent contraint de mendier pour rapporter de quoi subsister. « Parfois, je passe la journée sans rien. J’aimerais retourner chez moi, mais je ne peux pas sans l’autorisation de mon maître », explique-t-il.

Karim, 38 ans, marié et père de trois garçons, illustre une autre facette du phénomène. Pour lui, la mendicité est devenue un métier. « J’emmène parfois mes enfants, car les gens donnent plus facilement. Ce n’est pas bien, mais c’est pour survivre », admet-il.

Aïssata Diallo, mère abandonnée par son mari, envoie son fils Kalifa, 10 ans, mendier au grand marché. « Je sais que ce n’est pas une vie pour lui, mais je n’ai pas d’autre choix », confesse-t-elle, désemparée.

Le maître coranique Amadou Diallo, qui encadre plus de 40 enfants depuis vingt ans, reconnaît la nécessité d’un changement. « Autrefois, mendier enseignait l’humilité. Aujourd’hui, certains maîtres exploitent les enfants comme une source de revenus. Nous devons les protéger », insiste-t-il, appelant le gouvernement à sanctionner les abus.

L’imam Oumar Sissoko, de la mosquée du quartier Médine, rappelle que l’islam valorise le travail et non la mendicité forcée. « Exploiter des enfants va à l’encontre des enseignements du Prophète », affirme-t-il, plaidant pour une éducation axée sur la responsabilité.

Ousmane Keita, chef de la division promotion de l’enfant et de la famille à Sikasso, souligne que la mendicité des talibés reste un défi majeur malgré les campagnes de sensibilisation. « Certains maîtres coraniques considèrent cette pratique comme une loi divine », déplore-t-il. Il note que, par le passé, la mendicité répondait à des besoins alimentaires, mais qu’elle est aujourd’hui devenue une profession pour certains. En 2024, sa direction a accompagné une dizaine d’enfants talibés vers leurs localités d’origine, comme Kadiana, Bougouni, Ségou ou la Côte d’Ivoire. Entre 2011 et 2012, des débats réunissant imams, maîtres coraniques et chefs de quartier avaient permis des avancées, mais ces initiatives se sont essoufflées.

La mendicité des enfants à Sikasso est un fléau qui interpelle toute la société. Les parents doivent assumer leurs responsabilités, les maîtres coraniques cesser l’exploitation, et les autorités intensifier leurs efforts pour protéger ces enfants vulnérables et freiner un phénomène qui alimente l’insécurité.

AD/MFD/OS/MD (AMAP)