Par Aminata PONA
Ségou, 29 mai (AMAP) La séduction, art subtil et raffiné, s’accompagne souvent de gestes symboliques et d’éléments sensoriels. Parmi ceux-ci, l’encens occupe une place privilégiée. Il constitue un véritable allié dans le jeu de la féminité et du charme. Les femmes de la région de Ségou en sont bien conscientes, et nombreuses sont celles qui recourent à divers types d’encens, en particulier le « Gueni », le souchet rond, de son nom scientifique « Cyperus rotondus Linn », pour exhaler leur présence et envoûter les sens.
Traditionnellement appelé Guéni, cet encens naturel se décline en plusieurs formes que l’on retrouve sur les marchés locaux : les petits grains de couleur rougeâtre ou noir nommés Guénimisèni, les gros grains de couleur noire connus sous le nom de Guéni Koumaba, ainsi que les mystérieux Mougoumougouni. Ces perles aromatiques dégagent des senteurs suaves et envoûtantes qui imprègnent les lieux de leur parfum singulier.
Utilisé principalement par les femmes, le Guéni sert à embaumer les pièces de vie, salons, chambres, salles d’eau, espaces de réunion ou de travail mais aussi à parfumer les vêtements. Au-delà de son usage esthétique, il s’inscrit dans une tradition culturelle profondément ancrée.
À l’approche de l’hivernage, la demande pour ces encens ne cesse de croître. Nombreuses sont les femmes qui, en se rendant au marché, ne peuvent résister à l’envie d’en acquérir, tant son usage est devenu incontournable dans la vie quotidienne.
C’est notamment le cas de Fatoumata Tangara, rencontrée au marché hebdomadaire communément appelé « N’Denè sugu » qui signifie « le marché du lundi » en bamanankan. Le sachet bien garni qu’elle tient à la main dit tout son attachement au produit : « Je viens d’acheter 4 kilos de « Gueni gros grain et 3 kilos de petit grain. J’aime particulièrement son parfum pendant les périodes de fraicheur. Je l’utilise pour embaumer mes chambres, mes toilettes, mes habits, mes dessous et même mes draps. J’ajoute à mon eau de boisson ou je le garde en bouche pour éviter les mauvaises odeurs » confie-t-elle.
Non loin d’elle, une autre cliente Adam s’affaire à tester les odeurs des différents « gueni » proposés par une vendeuse. Après comparaison, elle opte pour le gros grain. La quarantain révolue, cette dame estime que toutes les femmes devraient intégrer ce produit dans leur quotidien. « C’est un encens brut accessible à toutes les femmes selon leurs moyens. Il se suffit à lui-même. Nul besoin d’ajouter un autre parfum » affirme-t-elle.
La mère de quatre enfants en souligne particulièrement l’utilité durant la saison pluvieuse : « C’est en cette période que j’en achète le plus. Comme vous le savez, en période de fraicheur, certains enfants urinent au lit. Cet encens est efficace pour éliminer les mauvaises odeurs au réveil. Il purifie littéralement l’air ambiant » explique-t-elle.
Produit culturellement valorisé et largement utilisé le Gueni soutient une économie informelle dynamique principalement animée par les femmes.Sur les différents marchés de la ville de Ségou, les vendeuses d’encens sont facilement repérables. Elles attirent les passantes par l’agréable parfum qui émane de leurs étals.
L’une d’elles, Fatoumata Diallo interpelle les clientes autour de ses bassines remplies du produit. Elle propose le gros grain entre 1 500 et1 750 Fcfa le kilo. Si le produit est cassé, le prix varie de 1 750 ou 2 000 Fcfa . Le petit grain rouge ou noir, quant à lui, est vendu entre 1 250 ou 1 500 Fcfa le kilo. Lorsqu’il est pilé, elle le cède entre 1 000 et 1 250 Fcfa le kilo. L’encens localement appelé « mougoumougouni » se vend à 500 Fcfa le kilo ou à 400 Fcfa, le contenu d’un récipient appelé ‘panis’. Fatoumata précise que les prix fluctuent selon les saisons. Ces recettes journalières varient entre 15 000 et 50 000Fcfa.
Pour sa consœur Bintou Djibo, la période de l’hivernage est particulièrement propice à la vente du Gueni. « Les grains noirs sont les plus prisés par les femmes. Cependant, le produit devient plus coûteux, car certains cultivateurs abandonnent sa culture au profit d’autres activités », explique-t-elle.
Elle souligne, par ailleurs, la rentabilité de cette activité, grâce à laquelle elle subvient aux besoins de sa famille. « Nous recevons le produit des zones de production, le vendons en détail. Ensuite, nous remettons leur part aux fournisseurs à la fin de la journée. Le bénéfice nous revient. Parfois, je réalise un chiffre d’affaires de 50 000 Fcfa par jour, voire 100 000 Fcfa ou plus, selon l’affluence du marché », explique-t-elle.
Bintou Djibo affiche les mêmes prix que Fatoumata. Toutes les deux vendent également en détail à partir de 50Fcfa.
Le Gueni provient essentiellement des localités de Macina, Kala, Konodimini et Sitanbougou. Une femme âgée, rencontrée sur place, rappelle l’importance de cet encens dans les foyers : « C’est une forme de chauffage moderne. Il peut même apaiser les tensions dans un couple : il suffit que la femme nettoie la maison, allume un peu d’encens, et la magie opère » précise-t-elle.
Outre son pouvoir aromatique et symbolique, elle souligne que le Gueni joue également un rôle hygiénique et médicinal. Il est aussi utilisé pour repousser les moustiques et autres insectes nuisibles.
Selon certaines croyances populaires, il contribuerait aussi à prévenir certaines affections féminines, telles que les infections, les douleurs menstruelles, la sécheresse vaginale, les crampes abdominales et les démangeaisons intimes.
AP/ADS/MD (AMAP)