Port du foulard :  Comme une pièce d’identité

Par Baya TRAORÉ

D’aucuns pensent que cette pièce de tissu a vu le jour avec les religions monothéistes. Pourtant, elle a servi notamment d’outil de communication et d’expression des sentiments

Il est aux environs de 15 heures. Une cérémonie de mariage au quartier de Missabougou, en Commune VI du District de Bamako. La marraine de l’évènement, Aminata Soucko, très élégante, couverte de parures, se distingue par son habillement. Elle est vêtue d’un basin, porte un foulard volumineux de couleur différente de celui des autres femmes qui, elles, partagent la même couleur. Une bande de tissu dénommé, en bamanakan, «jala» s’ajoute à ses parures. Au fil du temps, le foulard s’est imposé comme un accessoire d’élégance et de piété. Pourtant, l’usage de cette étoffe est riche en significations.

Selon Aminata Soucko, le foulard de la marraine d’un mariage a toujours été différent de celui des autres dames, depuis l’époque de nos ancêtres. Elle explique que « le foulard permet aux invités de reconnaitre directement la personne assumant cette responsabilité. » Ce n’est pas tout. « Dans la rue, dit-elle, il était facile de savoir, grâce au foulard que porte une femme, si elle est veuve, mariée ou célibataire. »

Le traditionnaliste Nouhoum Cissé affirme que le foulard, autrefois, représentait un moyen de communication dans notre culture. « Chaque ethnie avait une appellation différente. Celui destiné à une fiancée était un morceau de pagne tissé qu’elle attachait au front. C’était un message informant qu’elle a un prétendant », explique Nouhoum Cissé.

Le traditionnaliste ajoute que « l’objectif du port du foulard après le mariage est de se protéger la tête, car tout le monde n’a pas le droit de voir la tête d’une femme mariée. » « Aussi, indique-t-il, toutes les femmes n’ont pas la même texture de cheveux car, pour certaines, si de mauvaises personnes voient leurs cheveux, cela peut leur porter malheur. » « C’est pourquoi, dit-il, une femme doit se couvrir la tête pour sa propre protection. En plus, dans notre société, les foulards étaient des cadeaux de souvenir que les femmes donnaient à leur amoureux. « Les femmes offraient leur foulard aux conjoints quand ceux-ci partaient sur les champs de bataille ou pendant les travaux agricoles, en guise d’encouragement », poursuit Nouhoum Cissé. Qui ajoute qu’« une femme, qui n’avait jamais transgressé les interdits dans son mariage, pouvait donner son foulard à son fils qui part pour une mission difficile. » « L’étoffe avait la valeur d’un objet de protection du fils afin qu’il rentre sain et sauf », explique M. Cissé.

Au sein du couple, le foulard est un langage. « Quand un homme entrait à la maison, il reconnaissait l’humeur de sa femme à travers sa manière de nouer  son foulard», informe le traditionnaliste, avant d’indiquer que celle-ci manifestait sa joie, sa colère, son désir sexuel et son indisposition via cette pièce de tissu. « Ce n’est pas n’importe quel tissu qui était utilisé comme foulard. Maintenant, les femmes ne font plus attention à ces aspects de notre culture. Cela est à l’origine de nombreux problèmes dans nos couples. Si on continue ces pratiques, nous allons perdre tous les éléments de notre culture un à un», prévient-il.

MAUVAIS ESPRITS – Il est 11 heures, dans une famille de griots à Missira, en Commune II du District de Bamako. Kadiatou Diabaté, habillé en wax assorti à un foulard qui forme un tas au milieu de la tête. Elle explique que son acte se justifie par le fait qu’elle est la cuisinière du jour. Elle indique que chaque épouse dans leur famille doit observer cette pratique quand c’est son tour de cuisiner.

Selon Awa Kouyaté, griotte et enseignante, la façon dont une femme noue le foulard exprime également la richesse de son mari. « Avant, quand tu voyais des groupes de femmes, celle qui portait toujours un foulard volumineux était l’épouse d’un homme opulent. Le foulard de taille moyenne désignait l’appartenance de sa détentrice à la classe moyenne », affirme la pédagogue. Elle précise que la favorite des épouses de l’homme s’identifiait par son foulard empilé au milieu de la tête. Elle signale que les perruques et les chapeaux remplacent de plus en plus le foulard. «Je ne suis pas contre cette tendance mais on a intérêt à promouvoir nos valeurs traditionnelles», conseille-t-elle.

Le griot Bourama Soumano affirme que plusieurs personnes pensent que le foulard a vu le jour au Mali avec la religion musulmane. Il indique que nos ancêtres utilisaient des foulards avant l’arrivée de l’Islam. Il soutient que  «musoro » en bamanan signifie : «mumana soro», en français «Ce qu’une nouvelle mariée trouvera dans son foyer».

Il precise que cette étoffe est différente du «jala», un autre tissu utilisé par les femmes notamment lors des mariages. Auparavant, le «jala» était de petits morceaux de pagne de couleurs différentes. « La couleur noire, dit-il, est destinée à la veuve. » Il cite aussi le «demba jala», en français «le pagne de la marraine» porté par celle-ci lors d’un mariage.

« Dans notre culture, témoigne-t-il, le «musoro» n’était pas utilisé pour des besoins esthétiques. Il symbolisait les défis que la femme doit  relever dans son nouveau foyer en termes de maladies, de dépenses, de problèmes d’enfantement et d’argent ».

Bourama Soumano dit que le foulard préparait la femme à être une bonne épouse et la protégeait contre les mauvais esprits et les « djinns ». Et de poursuivre : « ce tissu faisait également l’objet de préparation mystique pour obtenir de la notoriété pendant les cérémonies. »

« Certaines femmes, énumère-t-il, possédaient des foulards pour dompter leur mari durant les moments de disputes. » « Il suffisait, explique-t-il, qu’elles le nouent pour que le conjoint se calme immédiatement ». Le griot relève que le «musoro» a aussi servi à dominer le mari et les autres membres de la famille.

Tout n’est pas permis quant au le port de ce foulard. Selon des croyances, « une fille ne doit jamais porter le foulard de sa maman sinon elle va rester célibataire toute sa vie. Une femme enceinte qui néglige de porter le foulard risque d’accoucher d’un enfant malade. Une femme mariée qui refuse le foulard risque d’attirer des mauvais esprits sur elle ou dans son foyer. Si celle-ci laisse trainer son foulard n’importe où, son mari ne sera jamais à ses cotés. Il sera toujours dehors. Cette femme sera toujours en détresse, sans argent aussi bien que son époux », explique le griot Soumano

Il conseille aux femmes mariées d’éviter d’exposer leurs cheveux à leur coépouse, au risque de perdre, toutes les deux, l’amour de leur homme. Il souligne l’importance pour une femme qui vient d’accoucher, de porter le foulard « sinon elle peut avoir des maux de tête graves et attirer des djinns et sorciers sur son nouveau-né. » Il conseille aux femmes de ne pas échanger leurs foulards.

BT/MD (AMAP)

Encadré

L’Islam et le christianisme disent que…

Selon le pasteur Alexandre Théra, l’apôtre Paul dans 1 Corinthiens, chapitre 11, les versets 2 jusqu’au verset 16, aborde les notions et consignes clairs sur les foulards. Il indique que la Bible ne fait pas du port du foulard une obligation en tant que tel. « C’est une volonté exprimée de Dieu », assure-t-il. Et de poursuivre que « l’homme doit honorer Dieu par sa façon de vivre, sa vie, sa piété. »

« La femme en portant le foulard, renchérit-il, est en train de dire à l’homme qu’il se soumet à lui. » «C’est un marque de respect de l’autorité de l’homme», insiste le pasteur Alexandre Théra.

Il affirme que la femme doit porter le foulard pour montrer qu’elle est sous la responsabilité de l’homme. Selon le pasteur, l’épouse accomplit cette soumission non pas par plaisir mais conformément à la volonté de Dieu. Il indique que le port de foulard est une expression de bienséance dans la maison de Dieu.

L’Islam est à cheval sur le port du foulard. Selon Mohamed Oulalé, imam d’une mosquée de N’golonina, en Commune II du District de Bamako, affirme que « le port du foulard est une obligation pour toutes les femmes musulmanes. »

Il poursuit : « une femme qui ne se couvre pas la tête attire les hommes vers elle. » L’imam indique qu’une femme doit commencer à se couvrir la tête dès l’âge de 14 ans. « Quand une femme mariée ne se couvre pas la tête, elle s’expose à la colère d’Allah et ne se sera pas respectée dans notre société », dit-il.  « En plus, insiste l’imam, cette femme n’aura pas un enfant béni et sera toujours en contact avec Satan. »

Mohamed Oulalé souligne que les époux musulmans doivent obliger leurs femmes à porter le foulard, « sinon les anges ne descendront pas dans sa famille. »

BT/MD (AMAP)