Reportage : Oumar DIAKITE
Bamako, 02 mars (AMAP) Au Point de courses en direct (PCD) de Djikoroni Para, on trouve des personnes de toutes les couches sociales de la population malienne. Les cris des turfistes, leurs commentaires sur les différents chevaux susceptibles d’être parmi les numéros gagnants, animent les PCD. Si certains parieurs ont tiré profit des courses en direct, en faisant des réalisations notoires, d’autres turfistes acharnés courent toujours derrière la chance.
Ce mercredi, du début de mois de février 2020, est un jour de course pour le quinté+ dans les PCD du Pari mutuel urbain qui enregistrent une affluence inhabituelle. Déjà, à 12 heures 30 mn, le parking motos, à l’entrée des lieux déborde d’engin. Ceux qui arrivent à la dernière minute prennent le soin de garer leurs motos de l’autre voie de la route, côté fleuve. Une vendeuse de brochettes, tout près de l’entrée de la cours, mène son business.
A première vue, la cour du PCD en dit long sur l’atmosphère de la salle. Des groupuscules se sont formés, ici et là, selon les affinités. Ils ne parlent que de numéros. On rencontre toutes les catégories socioprofessionnelles de la population malienne. Des militaires en tenue correcte, des mécaniciens habillés aux habits tachés d’huile noire, d’autres personnes en costume se faufilent par-ci, par-là. Tout porte à croire que certains ont déserté leur bureau pour venir tenter leur chance. Il n’y a pas que des désœuvrés qui fréquentent le site. Dans la cour jonchée de mégots de cigarette, les fumeurs dévissent, chacun parle de sa base, de ses chevaux favoris.
A 12 heures 55 mn, tout le monde afflue vers la salle de course. C’est une salle remplie comme un œuf. On y trouve des hommes (jeunes et vieux) et quelques femmes. Ici, c’est à la limite du confort. Certains jeunes ne se gênent pas pour fumer. Les regards tendus sur les écrans plats fixés au mur, sur fond de bourdonnements. « Le 11 va lâcher ! Vas-y, le cheval numéro 2 ! Eeeh, le 3 recule ! » les parieurs supportent de la voix leur combinaison. Ils se sont tous levés des quatre bancs métalliques fixés au sol dans la salle. Ils se tiennent débout. Un vieux au fond de la salle, la soixantaine révolue, ne tient plus sur place. On dirait un jockey, ses gestes et mouvements sont accompagnés de cris d’encouragement. Tout d’un coup : « Ho, ça nous a massacré… ! » lâche-t-il, désappointé. C’est la fin de la course du quinté+. Parallèlement, des turfistes, de hauts cadres, suivaient la course dans une salle VIP, différente de celle réservée au grand public. L’atmosphère y est plus feutrée.
Les numéros gagnants s’affichent sur les écrans : 11-2-4-13-12. Tout d’un coup, la salle se vide des parieurs. Sur les visages, on lit qu’il y a eu moins de gagnants. Des figures froissées, des yeux rouges, les perdants ne manquent pas de mots pour justifier leur manque de pot du jour. « C’est toi qui m’a conseillé le cheval numéro 8 au détriment de mon numéro 2 », un homme d’une trentaine d’années accuse son compagnon.
A peine quelques minutes, plus tard, les rapports de la course du quinté+ s’affichent sur les écrans et sont disponibles chez les guichetiers. le gagnant dans l’ordre, touche gros : 18.370.400 Fcfa contre 79.500 Fcfa pour les gagnants dans le désordre. Le bonus a fait gagner 5.300 Fcfa. Ainsi de suite….
ATTRAYANTE CAGNOTTE – Selon la cheffe d’agence de Djikoroni Para, Nana Touré, l’affluence de la course du mercredi 5 février 2020 est due à la mise en jeu d’une cagnotte. « La cagnotte dépend de la course précédente. S’il n’y a pas eu de gagnant dans l’ordre, le gain sera remis pour la prochaine course. Il n’y a eu aucun gagnant dans l’ordre au quinté + du lundi dernier, c’est pourquoi on avait une cagnotte aujourd’hui. Ce sont des cas imprévisibles», nous explique-t-elle après la course.
Les courses en direct commencent à 8 heures du matin jusqu’à 18 heures du soir, sur différents Hippodromes. Selon les précisions de la première responsable de l’agence de Djikoroni Para, elles sont intercalées de 30 minutes, des fois de 15 minutes.
Les courses en direct rapportent de l’argent rapide. « Et les mises vont de 500 Fcfa à des millions », révèle Mme Touré. La paie se fait sur place, en moins d’une heure. Ce paiement spontané attire les turfistes qui sont présents à tout moment et, ce, tous les jours. « On effectue les paiements, quelques minutes après les rapports finaux de chaque course, du matin au soir. Nos clients sont des personnes des deux sexes (des majeures) et de différentes catégories des couches sociales. Certains parieurs passent toute la journée ici. Ils jouent jusqu’au soir…Nous, on aime ça », dit Mme Touré. Elle ajoute que seuls les guichetiers ont leur jour de repos.
Les difficultés ont trait aux agissements de certains parieurs. « Des fois, certains joueurs attendent la dernière minute. Si le guichetier ou la guichetière fait un erreur, bonjour les grossièretés, les injures…sans même chercher à comprendre nos agents », se plaint la chef d’agence.
DES FORTUNES DIVERSES – Les turfistes en parlent. C’est les deux extrémités. Depuis leur introduction par le PMU, il y a plus de dix ans, les courses en direct au Mali ont fait des heureux parmi certains acharnés des salles de jeux. D’autres, au contraire, ont été ruinés. Aujourd’hui, on compte plus d’une vingtaine de PCD beaucoup de quartiers de la capitale, Bamako.
Les parieurs, notamment les malheureux en jeu, parlent mais dans l’anonymat. « J’ai commencé à jouer dans les points de courses en direct, il y a à peine 5 ans. Je suis de ceux dont la vue a été changée par les PCD. Grâce aux courses en direct, j’ai eu un chez-moi. Je me suis procuré un lot d’habitation avant de le construire en étages », dit Abdoulaye Coulibaly, policier de son état. Il affirme avoir remporté des millions de francs CFA à deux reprises. « J’ai gagné 18 millions dans un premier, avant de ramasser 5 millions de francs CFA. Personne ne peut me déconseiller de miser aux courses en direct », ajoute notre policier au guichet, en train d’empocher son gain du jour, obtenu au désordre du quinté+.
Dans la salle, les gros parieurs se prélassent, sous la climatisation, à l’abri des petits imprudents. En ces des lieux, on a deux habitués célèbres. Un grand comédien très connu du public malien et un officier supérieur de l’Armée malienne. Tous deux se font de l’argent dans les courses en direct à telle enseigne qu’ils n’en font pas un problème, les jours sans.
Ousmane Bah, nom d’emprunt du comédien, soutient avoir réalisé sa vie à travers les PCD. « J’ai construit ma maison dans ça », se vante-t-il. « Vous voyez, j’ai un trio, tous les jumelés et un désordre », nous dit-il, exhibant ses tickets gagnants. Si l’officier supérieur n’a pas voulu le dire, selon des indiscrétions, il aurait utilisé ses gains pour acheter un champ hors de Bamako et fait de l’élevage.
Un migrant déclare ne plus envisager d’aller en France. Selon ses témoignages, il a gagné 200 millions dans la course en direct. « Yougo » à l’en croire, possède trois maisons, toutes en étages.
Vers la sortie de la cour du PCD, nous avons rencontré un militaire du rang. Il nous montre sa voiture allemande, tout en citant d’autres réalisations rien qu’avec ses gains. « J’ai gagné 16 millions, avant d’empocher 9 millions de Fcfa. Ce sont mes gros lots, sinon je gagne, aussi, des sommes qui n’atteignent pas le million », dit le caporal Cissé.
Par contre, aux dires de Amadou Sissoko, les courses en direct ont fait beaucoup de victimes. A l’en croire, il y a plus de perdants que de gagnants. M, Sissoko nous narre son calvaire, son addiction : « Quand je revenais de Koro, après avoir travaillé dans un projet, mon compte en banque était garni. J’étais bien payé. Depuis que je suis revenu à Bamako et avec ma découverte des courses en directe, mon compte a été gelé, un moment, à cause de course de chevaux. Jusque-là où nous sommes, je n’ai pas pu récupérer ce que j’ai investi dans les paris. Quand j’évalue, c’est dans les millions de Fcfa ».
« Je peux miser, par jour, 50.000 Fcfa. S’il faut évaluer cette somme, dans le mois, c’est de l’argent. Je peux perdre 200.000 Fcfa certains jours », regrette le malchanceux, en nous tendant ses tickets non gagnants du jour d’une valeur de 30.000 Fcfa.
Toutefois, Amadou se fait une raison. « Maintenant, j’ai compris que ce n’est pas l’argent qui fait gagner, c’est plutôt la chance. Malgré tout, je continue à jouer, avec l’espoir de gagner un jour des millions. Chacun joue dans l’espoir de gagner », dit-il fataliste.
SOLIDARITE DE PARIEURS – « Souvent, il y a la solidarité dans les Points de course en direct. Celui qui vient de partir a gagné et il m’a donné 2.000 Fcfa », nous fait savoir un interlocuteur. Selon ses témoignages, certains gagnants partagent leur mise pour augmenter leur chance. « Hier, moi j’ai partagé, à peu près 25.000 Fcfa lorsque j’ai gagné un trio de 70.000 Fcfa. Chacun demande sa part. Il y a une petite solidarité entre les parieurs. Parce que, souvent, on partage les numéros de chevaux. On s’entraide quand on gagne », dit Moussa, cigarette à la main.
Des rats des salles de courses en direct existent aussi. Ces derniers viennent chercher leur pitance quotidienne, sans pour autant dépenser un franc. « Je suis ici chaque jour, du matin au soir. Je ne paie que mon transport pour rejoindre la salle de jeu », dit Ousmane. Sa stratégie lui est propre. Tous les parieurs le connaissent. « Je ne propose que des bons chevaux aux joueurs. Quand ceux-ci gagnent, ils me donnent quelque chose. Souvent, je peux retourner à la maison avec plus de 10.000 FCFA. Et je nourri ma famille de cette façon. La course en direct, c’est mon service. Je vis de ça », se réjoui-t-il.
Les turfistes, dans leur majorité, rêvent d’un Syndicat des parieurs au PMU-Mali. « Parfois, il y a des réclamations mais on ne sait pas où mettre la tête. Il peut avoir des confusions dans les tickets, surtout les jours de quinté+ où il y a du monde. Il peut y avoir des cas de vol de ticket autant chez les guichetiers que les parieurs. Malheureusement, aucune organisation ne peut nous défendre. C’est une triste réalité», se plaint Baba Diarra.
OD/MD (AMAP)