Par Anta CISSE
Bamako, 31 oct (AMAP) Il est mardi 28 octobre à 10h15 quand je quitte la maison avec mon frère Makan, déterminés à trouver du carburant. La mission s’annonçait simple. Elle durera finalement près de vingt-quatre heures.
Dans l’une des stations service de Baco djicoroni Golf, la file s’étend à perte de vue. Des voitures immobiles, des visages aux traits tirés et cette lente avancée, mètre par mètre, puis deux par deux, avant de s’arrêter à nouveau. Les plus impatients n’hésitent pas à se faufiler devant, provoquant parfois des tensions vite apaisées par un mot, un sourire ou un arrangement improvisé. Entre résignation et solidarité, chacun trouvait sa manière de patienter.
Vers 13h, les « demi-dieux », comme on surnomme les gérants et les pompistes, annoncent la fin du service, Il n y’a plus de carburant. La station ferme. Soupirs, colère, découragement. Trois heures plus tard, les pompes rouvrent, mais pour peu de temps à 19h, nouveau rideau car les gens, fatigués de les voir remplir des centaines de bidons sous leurs yeux, ont commencé à riposter de peur que l’essence ne finisse avant leur tour. Il est clair que beaucoup passeront la nuit sur place. Ces bidons de 20l seront revendus à 80 000 ou 100 000 FCFA.
La nuit tombe, et la station devient un petit village. Certains allument du charbon pour le thé, d’autres sortent du lait ou des biscuits. Quelques-uns dorment dans leur voiture, d’autres sous moustiquaire à même le sol, guettant le moindre mouvement à l’avant de la file. Les feux arrière des voitures deviennent des lueurs d’espoirs, ça avance, un peu, lentement, mais ça avance quand même.
Comme on le dirait si bien, l’hospitalité malienne s’est manifestée : des tapis de prière et des bouilloires pour les ablutions sont partagés entre qui voulait prier. Les familles environnantes, elles, laissaient leurs portes ouvertes pour les besoins naturels, un geste simple mais profondément humain.
C’est d’ailleurs là, entre deux klaxons et trois bâillements, que j’ai accueilli mon nouvel an et mon anniversaire du 29 octobre. Pas dans une salle de fête, mais dans une voiture, à la recherche d’essence.
Vers minuit et demi, tout le monde a compris : impossible de rentrer sans essence au risque de repartir à zéro et passer par pertes et profits l’effort fourni jusque-là. Les liens se créent, la confiance s’installe. On se relaie, on garde la place des autres. Avec mon jeune frère, nous gérons deux véhicules, une pratique devenue courante face à la rareté du carburant. Il rentre vers 23h pour se reposer et revenir plus tard. Épuisée, je décide à mon tour de rentrer, confiant nos deux voitures à un voisin rencontré sur place, pour ne pas perdre place et notre chance d’avancer quand l’occasion se présenterait.
À 6h, retour à la station service, prête pour le travail, habillée pour le bureau, essence ou pas, il faudra y aller. Le gérant avait promis une reprise à 6h. Ils le feront mais uniquement pour servir les porteurs d’uniformes qui ont rempli 40 bidons de 20 litres derrières leur pick-up et le gérant a aussi fait de même avec le même nombre devant nous autres curieux, hébétés et impuissants qui faisaient les va et vient à la pompe. Et ce n’est qu’à 8h44 que les pompes se remettent en marche après avoir attendu les forces de l’ordre pour remettre l’ordre, dégager ceux qui tenaient des bidons afin de faciliter la distribution (ceux-ci se sont regroupés devant la boutique « Bonjour » déterminés à avoir leurs bidons remplis. Cachés dans la boutique, ils venaient même réclamer aux pompistes qui leur demandait d’attendre au risque de voir la foule s’énerver à nouveau et de leur demander de quitter l’enceinte de la station.
Enfin, le mercredi 29 octobre à 9h44, près de vingt-quatre heures d’attente, le précieux liquide coule dans les réservoirs. Mais impossible de faire le plein. La direction de la station rationne à 10 000 francs CFA par véhicule, pour « donner un peu plus à chacun ». Une règle frustrante, mais compréhensible dans le contexte.
Ce jour-là, plus que du carburant, on aura trouvé un peu d’humanité.
AC/MD (AMAP)


