Musique : Retour au bercail de l’artiste compositeur, Sory Bamba

Après plusieurs décennies au service de l’art et de la musique du Mali, Sory Bamba s’est, définitivement, installé dans sa ville natale, Mopti, dans le Centre du pays

Par Dramane COULIBALY

Mopti, 19 mai (AMAP) Berceau de grandes civilisations de l’Afrique de l’Ouest, le Mali regorge d’immenses richesses culturelles dont les artistes musiciens, comme Sory Bamba, Salif Keïta, Toumani Diabaté et beaucoup d’autres, depuis 1960, année d’indépendance, sont des ambassadeurs de part le monde.

Après plusieurs décennies au service de l’art et de la musique du Mali ainsi que de promotion des riches et variées facettes de la culture malienne, Sory Bamba, appelé « le Maître » par les jeunes musiciens, est de retour au pays depuis 2019 et s’est, définitivement, installé dans sa ville natale, Mopti, dans le Centre du Mali.

Une des figures emblématiques de la musique malienne, Sory Bamba, est née en 1938 à Mopti, aux confluents des fleuves Niger et Bani, dans le Delta intérieur. A son jeune âge, après être confronté à l’interdiction des parents qui ne voulaient pas le voir faire de la musique, considérée comme réservée aux griots, Sory commença son destin de musicien en jouant de la flûte traditionnelle. Il devient, au fil du temps, multi-instrumentiste, chanteur, auteur compositeur, arrangeur. 

Interrogé par l’AMAP, sur son parcours de musicien, le doyen dit avoir commencé par créer, avec un groupe d’amis, une fanfare avec la flûte et des instruments à percussion. En 1957, il forma un « groupe de Goumbé » un style de folklore de la Côte d’Ivoire et devient le leader de l’Orchestre régional de Mopti, fondé en 1966. A la faveur de la nomination de Diby Silas Diarra, comme gouverneur de la Région de Mopti, l’orchestre bénéficia d’instruments, Sory Bamba et ses amis comme Sory Traoré dit Sitek, Kissima Traoré, Loré Dédéou et d’autres, sont plus tard rejoint par la formation locale, le « Bani Jazz ».

De 1966 à 1974, la formation régionale, sous la direction de Sory Bamba, chef d’orchestre, s’est focalisé sur l’exploitation des rythmes et mélodies du terroir et des styles traditionnels du pays, avec un accent particulier sur la musique Dogon, toute chose qui lui a valu le grand succès enregistré de partout dans le monde.

A la fin de l’année 1974, Sory Bamba s’envola pour la Côte d’ivoire où il a rencontré des artistes comme Manfila Kanté, Mory Kanté avec qui il produit, entre autres, ‘Kèlèmagni’, ‘Sérré’, ‘Kéléya’, ‘Soufiana’ et ‘Makoura’.

« Mon départ pour la Côte d’Ivoire se justifiait par le désir de saisir des opportunités que ce pays offrait aux artistes pour leur promotion et celle de sa culture avec des studios d’enregistrement, des maisons de disque, des producteurs et des arrangeurs », a expliqué le doyen Sory Bamba. Selon lui, son séjour en terre ivoirienne a, aussi, été l’occasion de découvrir beaucoup d’autres talents africains et internationaux comme Manfila Kanté, qui l’a accompagné jusqu’à Mopti, sa ville natale.

« De retour au pays, la moisson d’expériences de ce voyage m’a ouvert les jeux et oriente vers la recherche d’autres talents et artistes musiciens, comme Koko Dembélé et autres, pour renforcer l’existant. A la suite d’un travail de recherche approfondie, l’Orchestre régional a réussi un chef-d’œuvre, un hommage aux masques Dogon intitulé « Kanagayé » (le Kanaga), le plus prestigieux de la contrée », se souvient Sory Bamba.

A partir du succès de cet opus, l’Orchestre régional de Mopti fut alors rebaptisé, en 1976, Orchestre Kanaga de Mopti. Sous l’impulsion du vertueux chef d’orchestre, Sory Bamba et le Kanaga de Mopti enregistrent, successivement, avec  au bout un grand succès, ‘Kaméléba’ (Le faux galan), ‘Kulukutu’, ‘Yayoroba’, un hymne aux femmes rondes et d’autres titres, non des moindres, comme : ‘Mayel’ (Sory Bamba du Mali) réalisé en 1979 sur une sonorité qui s’apparente au Jazz, influencée par la musique Dogon.

Pendant ce temps le mythique  Kanaga se hisse au rang d’Orchestre national, après avoir remporté le Premier prix de la Biennale artistique du Mali trois fois consécutives : 1978, 1980 et 1982, un an après le départ de Sory.

En 1981, Sory Bamba fasciné par la culture, se lance dans une nouvelle aventure, celle de faire la promotion de la culture Dogon qui le conduit en Côte d’Ivoire, puis en France où il s’installe. 

Considéré comme le plus grand promoteur du patrimoine culturel Dogon, il organise des tournées en Europe, avec des groupes de danseurs et musiciens venant du plateau Dogon et enseigne des cours de percussion et de danse au Café de la Gare à Paris. 

Pendant son séjour en France, parallèlement à l’enseignement, il enregistre trois albums : ‘Sigui’ en 1989 dédié à Djéli Baba Sissoko, ‘Mali-ballon’ (en l’honneur de l’équipe nationale de football, Les Aigles) en 2001 et ‘Dogon Blue’ en 2010. Ces consécrations lui ouvrent la voie d’une vaste tournée au Japon, Espagne, France et Allemagne.

Ce monument de la musique malienne a signé son retour définitif au bercail en 2019 et vit ses 84 hivernages, en bonne santé,  chez lui, au quartier populaire de Gangal, à Mopti.

« J’ai fait ce que j’ai pu. Derrière cela, je regrette ne pas avoir atteint un idéal : celui de créer une musique propre uniquement au Mali, comme le Sénégal l’a fait avec le Mbalax. Je demande aux jeunes générations de travailler à cela’, dit le doyen Bamba.

Ses collaborateurs, les administrateurs de la culture et ses admirateurs sont fiers de l’homme et apprécient sa contribution au rayonnement du riche patrimoine culturel malien. Mamadou Kébé, compagnon de tous les temps qui fut le responsable en charge du matériel de Sory, depuis la fanfare jusqu’à l’Orchestre Kanaga, dit de lui que c’est « un homme téméraire, humble, modeste et gros travailleur ». « Il a créé le Kanaga et grâce à son courage l’a conduit à son apogée et à la consécration qui lui ont permis de sillonner le pays et au-delà, dans des pays voisins et d’Europe’, poursuit Kébé. Selon lui, Sory Bamba « reste, pour nous une fierté régionale et nationale, dans le cadre du développement et de la promotion de la culture ».

Pour le directeur régional de la Culture de Mopti, Adama Traoré, Sory Bamba « est incontestablement une icône de la musique malienne qui a su sceller un mariage fécond entre le traditionnel et le moderne, en imposant, d’une manière adaptée, les rythmes Dogon aux instruments modernes ». M. Traoré soutient que le nom du Kanaga et Sory Bamba sont « synonymes » et intimement liés. « Quand on entend les chefs-d’œuvre ‘Yayoroba’, ‘Kulukutu’, on voit Sory et vice-versa.  Il a donné ses lettres de noblesse à la musique d’orchestre moderne du Kanaga de Mopti qu’il dirigea pendant douze ans », estime le directeur régional de la Culture de Mopti. 

« A son époque, la formation musicale fut plusieurs fois lauréats lors de grandes compétitions culturelles du Mali et de l’extérieur, notamment les Biennales artistiques : 2ème en 1970 ; 3ème en 1972 ; 2ème en 1976 et, successivement, 1er en 1978 et 1982’, rappelle notre interlocuteur.

Le Kanaga fut, aussi, lauréat du Festival de Musique Moderne de la Zone II organisé à Dakar (Sénégal) et réunissant le pays hôte, le Mali, la Guinée, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Mauritanie et la Sierra Leone, avec une participation record aux différentes festivals.

Faisant allusion à sa fibre culturelle, nourrie à la sève du patrimoine de la Région de Mopti, essentiellement Dogon, Peul, Bozo, Bobo) M. Traoré a souligne que l’infatigable Sory Bamba a fait valoir et vendre, tout au long de ses voyages à travers le monde, entre autres en Côte d’Ivoire, en France, au Japon, en Allemagne, a culture et l’image de Mopti et du Mali. Selon lui, Sory Bamba a tout donné au Mali, « Cela mérite d’être reconnu et magnifié à tout égard », dit le technicien de la culture. 

Dans ce registre, le directeur salue et est reconnaissant aux autorités régionales de Mopti, de leur initiative de donner le nom du doyen à la plus grande salle de spectacle de Mopti, construit en 2010, dans le sillage de l’organisation de la biennale, ainsi baptisée ‘Salle Sory Bamba’ pour l’immortaliser.

Dans le cadre de la 14ème édition des Journées citoyennes instituée dans la Région de Mopti, depuis plus d’une année, le gouverneur, le colonel-major Abass Dembélé, a rendu visite mardi 10 mai dernier à l’icône pour lui témoigner la reconnaissance du peuple malien. 

C’est alors que le gouverneur a appris « avec amertume » que l’artiste n’a reçu, jusque-là, aucune distinction honorifique digne de son oeuvre et de son rang. Le gouverneur Dembélé a assuré que des dispositions seront prises pour corriger cet oubli.

Il est heureux de constater que sur les six enfants de Sory Bamba, au moins un, Issa Bamba, est sur les pas du père et fait des prestations encourageantes.

 DC/MD (AMAP)