Mariage à Bamako : La fièvre des uniformes

Beaucoup de dames qui participent à ces cérémonies mondaines le font par peur des regards et des railleries des autres

Par Maimouna SOW

Bamako, 04 juin (AMAP) Un dimanche de mariage dans une famille à Bamako, on peut facilement ne pas reconnaître sa femme, sa fille ou sa sœur quand elles auront fini de mettre leurs habits de fête. Elles sont toutes belles, élégantes et fascinantes. Elles sont habillées de leurs plus belles tenues. Elles portent des uniformes, des bijoux, un sac à main neuf, des chaussures de luxe. Les visages ont reçu des touches de maquillage qui rendent éblouissantes.

Quand un mariage est annoncé, ou qu’une grossesse est proche du terme, le seul souci de la majorité des femmes,est de préparer les festivités de la future cérémonie. La priorité va au choix des uniformes, plusieurs mois à l’avance. La tendance actuelle est de prévoir deux, trois, quatre, voire plus, pour une seule cérémonie. Pour magnifier ce jour, dans le meilleur des cas, les économies de plusieurs mois sont données aux vendeurs d’habits, aux couturiers. Les rendez-vous sont pris dans les salons de coiffure. Les meilleurs ensembles de griottes et de harangueurs sont invités.

Le mois de juillet prochain, Tata a un mariage. Elle a déjà informé ses amies de tontine. Aussitôt, l’uniforme est choisie : c’est le basin riche. Il doit être porté dans l’après-midi, quand on va chanter les louanges de Tata, la marraine de la cérémonie. Le matin, les membres de la tontine seront tenues de se mettre sur leur 31. Elles porteront une autre tenue brillante.

Les copines de Tata forment une association. Ce qui rend l’organisation plus harmonieuse. Mme Kamissoko Mah Camara, est la cheffe. Elle tient à ce que tout le monde s’habille pour faire honneur à un de leurs membres. L’uniforme est choisie deux mois à l’avance. Pour magnifier la cérémonie, il faut s’acquitter de la contribution du « kukoni » à hauteur de 50.000 Fcfa. Ce n’est pas tout ! Il faut aussi donner de l’argent à la marraine, quand la griotte chantera ses louanges.

AVANTAGE – Les participantes versent une somme d’argent à la hauteur de la bonne relation qu’elles entretiennent avec la marraine. Toutes ces bonnes actions prouvent aux autres invités que l’on est « des grandes dames ! De gros bonnets.» Etre gros bonnet, au top de sa beauté ou au devant de la scène, a un prix. Les engagements sont strictement respectés au selon un Code d’honneur. Ce lien est appelé ‘Fadeya’.

Depuis cinq ans, la tontine de Tata existe. Les membres font l’impossible pour être à la hauteur. Ces groupements sont un avantage. A tour de rôle, chacune bénéficiera de la même somme et des honneurs au bon moment. C’est aussi une façon de tisser de belles amitiés et de faire des économies. Mais pour y arriver, il faut être brave, combattante, très intelligente.

« Les tontines rendent braves, elles permettent de réaliser pas mal de projets. Quand je me suis mariée, mon trousseau de mariage avait une valeur de près de trois millions de Fcfa. Les femmes sont venues de partout pour m’honorer le jour du mariage. Sans les tontines, cela ne serait pas possible. Ce que tu fais pour les autres, elles le feront pour toi », dit Mme Diakité Aïchata Sidibé,

L’avis de B.T, infirmière dans une clinique de la place, est différent. Lors du mariage de sa nièce, en décembre dernier, cette marraine a choisi quatre uniformes trois mois à l’avance. B.T a épuisé ses économies pour les préparatifs. Mais cela n’a pas suffi pour faire face aux dépenses. Il fallait trouver de l’argent ailleurs. Comment faire ? Elle a dû toucher à l’argent que son patron lui confie, chaque mois, pour le partenaire de la clinique. Le jour du mariage, elle a été sublime. Elle a porté chacune des uniformes, payé les cotisations, pris place au milieu de la scène pour être chantée par la griotte, en tant que marraine.

B.T a distribué des billets de banque aux différents groupes de griots. Une semaine après la célébration, le jour où la mariée devait rejoindre définitivement son mari, que l’on appelle ‘’minassiri’’, l’infirmière a donné une somme d’argent à la mariée, pour qu’elle s’achète un présent comme veut la tradition.

Des jours, après les festivités, notre interlocutrice est revenue sur terre. Il a fallu réparer les dégâts avant que le chef ne se rende compte qu’elle a détourné l’argent de l’entreprise. Trouver l’argent pour combler le trou. Mais où ? Et comment faire ? A l’heure actuelle, elle se couche la nuit, sans trouver le sommeil. Pourtant, B.T est une jeune femme intègre.

Depuis plus de 4 ans elle travaille dans la même structure, dignement. Elle bénéficie de la confiance de tous. Une réputation qu’elle risque de perdre. Elle est issue d’une grande famille où la concurrence, le ‘’fadeya’’ est rude. Chacune doit être à la hauteur de l’événement social sont elle est la marraine. Après le mariage ou le baptême, beaucoup ont avoué être allées à contre-courant de leur principe. Certaines ont ouvertement regretté. L’après-mariage a été dur, tout le monde vit la galère.

Il faut reconnaître, aussi, qu’on est tombé dans l’excès. L’excès, c’est le mot que la plus âgée de la famille veut bannir de leur vocabulaire. Elle a prévenu que plus jamais, aucun mariage ne sera célébré de cette façon. Dorénavant, il faut se contenter d’un seul uniforme, et se passer de jouer aux stars. Sans doute, les uniformes rendent la cérémonie très agréable. Elles honorent la mariée, surtout s’il s’agit de basin «Geztner», ou de tissu brodé. Malheureusement, cette affaire d’uniforme, de tontine, de contribution et de cotisation ‘’kunkoni’’ est devenue un problème, une épine dans le pied des femmes.

Le paradoxe est que les femmes ne cherchent pas à savoir comment s’en sortir. Au contraire, elles entretiennent cette habitude qui, au lieu de resserrer les liens entre les familles, contribue plutôt à les dégrader. Quand les histoires d’uniforme commencent au sein même des familles, les plus pauvres se restreignent mais ne se résignent pas. Ces femmes font l’impossible pour ne pas être indexées, comme les dernières de la classe dans leur milieu. C’est pour cette raison que beaucoup sont soucieuses aujourd’hui. Certaines n’arrivent pas à rester tranquilles dans leurs foyers. Elles sont devenues des commerçantes, des business women, des truandes et même des infidèles pour faire face.

Une vidéo, très virale sur les réseaux sociaux, relate la mésaventure d’une jeune mère de trois enfants. Elle a pris soin de cacher son visage. Elle a avoué avoir commis l’adultère pour assurer l’uniforme à elle et à ses enfants. Elle confie : «c’est une chose que je n’avais jamais faite auparavant. Mais je savais que, si je n’avais pas l’uniforme le jour du mariage, je ne pouvais pas supporter les murmures et les regards sur moi. Les autres femmes de la maison avaient acheté l’uniforme, même pour leurs servantes.» Dans son regret, cette dame a lancé un appel aux prêcheurs pour qu’ils sensibilisent les femmes à abandonner la pratique des uniformes. Tristement, cette vidéo reflète la réalité dans la société malienne.

Adam, en sait quelque chose. « Quand ma voisine a accouché, elle m’a informée. Le jour du baptême, je n’étais pas sur place. Quelque temps après, mon amie m’a fait des reproches. Elle a dit que les gens se sacrifient pour moi, et que je suis incapable de rendre le même service. Elle a dit des mots durs parce que je n’ai pas assisté au baptême de son bébé. Je lui ai envoyé un cadeau de la même valeur que celui qu’elle m’avait offert pour le baptême de mon fils.», raconte Adam.

Quand une femme a une cérémonie de baptême ou mariage, ses proches, qui participent activement et, surtout, financièrement à l’événement, voient que leurs relations se sont améliorées de façon positive avec elle.

NOUVEAUTE A BAMAKO ! La nouveauté, aujourd’hui, dans la capitale malienne, est que l’uniforme, quel que soit son coût ne peut être portée deux fois dans des mariages différents ! Si certaines dames le font, c’est sûrement lors d’un mariage peu important. Sinon ! D’autres se feront le plaisir de te le faire remarquer, lors de la seconde cérémonie. Les participantes de certaines tontines comme les « Diamants noirs », « Femmes de classe », les « Fayidas », « les Dames VIP » savent parfaitement de quoi l’on parle.

Un élément du groupe VIP, Fatim Coulibaly, raconte : « dans notre organisation, tu n’oseras pas porter une uniforme deux fois. Sinon, elles te feront la remarque », « N’est-ce pas le même basin que tu as porté pour le mariage d’une telle ? Alors pourquoi l’as-tu encore porté aujourd’hui? », est la question qui tue « Et, elles prennent les photos des deux mariages. Elles les mettent ensemble à travers une application. Et elles les publient sur les réseaux sociaux pour mieux se moquer. », dit Fatim.

Nafisatou Touré, membre du groupe, « Diamant Noir » répond à la question : « Toutes, ont-elles les moyens de leur politique ? » « Non », répond cette fonctionnaire. Le poids est lourd pour elles, car elles participent à d’autres tontines qui ont des conditions similaires. Si vous n’avez pas le moyen de votre politique, pourquoi ne pas faire la politique de vos moyens ?

Le jour où les conditions de membres de la tontine ont été validées, elles ont toutes été consultées et personne n’a émis un avis défavorable. Dans notre société, n’est pas marraine qui le veut mais qui le peut. Dans la plupart des cas, tu es choisie, parce que tu es riche ou ton mari l’est.

L’HONNEUR NE SE REFUSE PAS – Kadidiatou Tounkara est secrétaire de direction dans un service étatique. Elle est coquette. Elle est devenue très claire grâce aux pommades. Elle a eu l’honneur d’être désignée marraine du mariage d’un ami de la famille. La célébration est prévue pour le mois d’août prochain. Depuis, Kadi est soucieuse. Elle cherche à joindre les deux bouts. « Ces gens pensent que j’ai des millions. Ils m’imposent trois uniformes, deux basins, un pagne. Je dois organiser un ‘’sumu’’. Dieu seul sait dans quelle situation financière je me trouve actuellement », regrette Kadi.

Sa malchance date du jour du mariage de sa petite sœur, il y a deux mois. Le futur marié et ses sœurs étaient présents. « Quand ils ont vu les différentes tenues que j’ai portées et les actes posés, ils ont cru que j’étais riche. Mon apparence a influencé leur décision. Ils m’ont désignée comme marraine », se lamente-t-elle. « Depuis lors, on ne me facilite rien, pour toutes les dépenses, on m’appelle. La dernière fois c’était pour le bonnet et les chaussures du marié. Et ce qui me tue, c’est quand on me cite les choses à acheter, en disant on va te rembourser. Mais ils ne remboursent jamais », fulmine-t-elle.

Ce sentiment est largement partagé par Mme Samassékou Mariétou. Elle admet que quand tu aimes te faire belle, tout le monde veut t’inviter à sa cérémonie. Elle fait référence aux propos d’une dame qui l’a invitée à un mariage où elle a été désignée demoiselle d’honneur. « Je ne te demande pas de l’argent. Je veux juste que tu sois vue à mes côtés le jour du mariage de mon frère », a-t-elle insisté.

Le mal des Maliennes, c’est être ‘’grande dame ou gros bonnet’’. La plupart, d’entre elles sont des gros bonnets « stagiaires ». Ce n’est pas compliqué de l’être. Il suffit de porter de belles tenues, un joli foulard, de faire un tour de maquillage. Après tout, l’essentiel c’est de savoir ne pas passer inaperçu dans la société.

MS (AMAP)