Par Mohamed TOURE
Bamako, 11 mai (AMAP) Au grand marché de Bamako, ils sont plusieurs dizaines de jeunes à s’être spécialisés dans le déchargement des véhicules d’approvisionnement en légumes frais. Souvent méconnus du grand public, ces gaillards ont opté pour un métier, porteurs de colis du marché des légumes, nécessitant, à la fois, une grande force physique et une agilité hors norme.
Le soleil, en cette matinée de vendredi, darde ses rayons éblouissants sur la chaussée du « Boulevard des Martyrs ». La voie, comme d’habitude, grouille de monde, partant ou venant du marché. Le ballet des « Sotrama » parait interminable. Ces voitures, reconnaissables à leur couleur verte et leur état d’épave, transportent des passagers entassés les uns sur les autres. Dans cette ambiance si bruyante, mixée de vigoureux coups klaxons, ces fourgonnettes s’entremêlent dans un magma. Les bruits de moteurs Diesel et les cris des rabatteurs et des apprentis appelant les clients donnent le tournis.
De l’autre côté de la voie, des jeunes sont adossés à un mur, scrutant le paysage. La bonne affaire peut surgir de nulle part. Ils sont installés sur des caissons leur servant à la fois de siège et de dortoir. A chacun son milieu. Bien que cela parait invraisemblable, certains de ces jeunes se sont endormis et ne semblent nullement être indisposés ni par le bruit, encore moins l’odeur d’urine piquante qui se dégage du caniveau d’à côté. Bienvenue chez les « déchargeurs » des voitures d’approvisionnement en légumes du grand marché de Bamako.
ARGENT DE POCHE – « Notre travail, c’est de décharger les véhicules qui viennent au marché. Présentement, nous attendons l’arrivée du chargement de 11 heures », confie Oumar Bah, adolescent de 17 ans et élève de la 9ème année fondamentale. En cette période de suspension des cours, le gamin s’adonne à cette activité lui permettant de gagner un peu d’argent de poche. Après tout, il n’y a pas de sot métier.
A proximité du jeune Oumar est assis son ami Modibo Diarra du même âge. Les deux garçons se chahutent et discutent de football. Le débat semble passionnant. Contrairement à son ami, Modibo n’est jamais allé à l’école et fait le docker depuis près d’un an maintenant. « Quand j’ai quitté mon village (Banamba), j’ai cherché du travail un moment sans succès. Finalement, j’ai opté pour celui-ci », explique le jeune, un léger sourire sur le visage laissant apparaître ses dents en mal d’entretien.
A quelques mètres du groupe d’Oumar et Modibo, au coin de la rue, une autre bande de jeunes. Une bonne trentaine, plus bruyants et d’âge plus mûr. Ceux-ci apparaissent, à première vue, comme « l’Unité d’élite » du déchargement des véhicules de légumes. Leur habillement atypique ne laisse aucun doute sur leur occupation de déménageurs de l’extrême : souvent en débardeur, pantalon ou en tee-shirt déteint par l’épreuve du temps. Presque tous portent le même type de chaussures, ces souliers en caoutchouc appelés « Yôrô » en bambara. Que l’on ne se méprenne pas sur ces chaussures : leur apparence banale et bon marché cache fort bien leur caractère pratique pour les déplacements et les courses.
Pour faire le travail de ces jeunes, il faut avoir les appuis solides. L’endurance est nécessaire. Il n’est pas rare de les voir gaillardement transporter sur la tête un grand panier rempli de tomates. On peut aussi les voir tituber sous le poids d’un sac rempli de choux sur la tête nue. Ils sont tout aussi capables de certaines acrobaties dont ils ont le secret lorsqu’ils déplacent les colis de grand volume. Ils sont du genre à s’agripper à une voiture en marche ou de parvenir à se faufiler par la fenêtre d’une voiture en vitesse. Tout un art !
« Nous déchargeons les véhicules provenant des villages des environs de Bamako. Tout ce qui est légume venant au marché (tomates, choux, aubergine, poivrons, concombres…) ce sont nous qui le déchargeons », explique Siaka Konaté, un des meneurs de la bande. Il se tient au milieu du rassemblement de ses camarades. Grand, de teint noir, il domine par sa musculature imposante. Pour commander dans un tel milieu, il faut avoir les moyens de sa politique. La plupart de ses amis le respectent. Il a dû se forcer de tels muscles au fil des années passées à soulever et transporter des paniers et des sacs de légumes.
METIER PENIBLE – Siaka et ses amis travaillent toute la journée. « Certains, explique-t-il, viennent dès l’aube pour décharger et transporter les premiers arrivages de produits frais au marché ». Pour lui, son métier est particulièrement pénible, exigeant un engagement physique exceptionnel. Les altercations sont aussi fréquentes avec les usagers du marché. Le travail demande aussi une délicatesse et une certaine diplomatie, car le risque, comme à la guerre, n’existe pas.
« Nous travaillons avec les vendeuses de légumes. Les femmes sont intransigeantes en affaire. Si par mégarde on renverse la marchandise d’une femme, même si c’est la meilleure cliente, elle ne se gênerait pas à exiger d’être rembourser », s’indigne le jeune homme qui soutient aussi que le métier paye de moins en moins bien. « Nous commençons à être trop nombreux à faire le travail, environ une quarantaine. Avant, en nombre réduit, on gagnait mieux», explique-t-il. Le payement des travailleurs se fait en fin de journée, quand les femmes terminent de vendre au marché. « Nous sommes payés en fonction des charges transportées. Pour un panier transporté on gagne 100 F cfa et 50 F cfa pour un sac », détaille-t-il.
Leur faux air de jeunes errants au look décadent peut donner une certaine image de ces jeunes. Toutefois, au sein du groupe règne une certaine discipline. Oui, il y a des règles à respecter. Il existe même une « mini caisse d’assurance tout risque » en cas de rififi. « Nous avons une organisation. Chaque vendredi, nous cotisons, chacun, 200 Fcfa pour notre caisse. En cas de maladie d’un membre ou si un membre à un problème avec sa cliente nous puisons dans la caisse », explique Siaka Konaté.
Soudain, en pleine conversation, certains du groupe se mettent à crier : « premier », « deuxième », « troisième ». Seuls les initiés décodent le message. Il s’agit d’une tradition. Ici, la règle veut qu’à la vue d’une voiture, les premiers à l’apercevoir se déclarent, en criant rapidement dans l’ordre. C’est ceux-ci qui feront le boulot. « Souvent, ironise Siaka Konaté, les gens pensent que nous crions sans raison, ils nous prennent pour des fous».
MT/MD (AMAP)