Par Oumar SANKARE
Bamako, 13 août (AMAP) Depuis plusieurs semaines, le prix du ciment grimpe en flèche sur l’ensemble du territoire malien. Dans les dépôts de la capitale comme dans les villes de l’intérieur, le sac de 50 kg s’achète désormais à 6 500 Fcfa, 125 000 Fcfa/ tonne, contre environ 110 000 Fcfa/ tonne il y a, à peine, deux mois.
« La tonne atteint parfois 135 000 Fcfa, une hausse qui met à mal chantiers, promoteurs et particuliers », explique Moussa Drabo, gérant d’une quincaillerie à Bacodjikoconi. « On ne peut plus travailler au rythme habituel, les clients repoussent leurs projets », confie Abdoulaye Coulibaly, maçon à Banankabougou, rencontré devant un chantier à l’arrêt.
Les acteurs du secteur mettent, d’abord, en cause la désorganisation du transport. L’interdiction des camions hors gabarit sur les routes nationales a rallongé les délais et augmenté les coûts de livraison. Un transporteur rencontré à l’Hippodrome estime que « le prix du fret a augmenté depuis la mesure » sans donner de montant précis.
« Le gouvernement malien a interdit la circulation des camions hors gabarit et en surcharge sur le réseau routier national à partir du 1er avril 2025 », selon un communiqué conjoint des ministères des Transports et des Infrastructures et de l’Économie et des Finances, publié le 7 mars 2025. Cette décision, validée par le Conseil des ministres, le 12 février 2025, vise à préserver les infrastructures routières des dégradations causées par ces véhicules. Une période de sensibilisation de trois mois a été accordée aux transporteurs, qui a pris fin le 31 mars 2025.
LOGISTIQUE, SECURITE ET PRODUCTION – À cela, s’ajoutent des incidents sur certaines unités industrielles. « Les importations de clinker — composant clé du ciment — connaissent également des perturbations », a dit Alou Bathily, président de l’Association des importateurs de ciment. Il ajoute : « les routes d’accès au port du Sénégal, notamment la route de Kayes, sont impraticables à cause de leur état défectueux. Si un camion devait faire 2 à 3 jours, aujourd’hui, c’est pratiquement 6 jours de route. »
Lors d’une rencontre entre les secteurs privé et public tenue à la Primature, Mossadeck Bally, président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) a expliqué au Premier ministre que « le manque d’électricité affecte certaines cimenteries. » « Les groupes électrogènes ne peuvent pas supporter une telle charge », a-t-il fait noter.
Un acteur du milieu, a confié à l’AMAP sous anonymat : « Il y a un circuit de vente parallèlement aux propriétaires de licences qui doivent nous servir directement. Il y a souvent 2 ou 3 intermédiaires entre ces derniers et nous et chacun ajoute 2 000 ou 2500f pour faire bénéfice. »
A Bamako et ses périphéries, le prix du ciment varie. Mohamed Sacko, gérant de quincaillerie à Ouezzindougou, achète la tonne de ciment local à 115 000 et le revend à 122 000 Fcfa. « C’est la croix et la bannière pour trouver le ciment local », déplore le jeune homme.
TOUTE LA FILIERE TOUCHEE – Pour les entrepreneurs du bâtiment, la situation devient critique. Mamadou Traoré, gérant d’une société de construction à Bamako, explique que « sur un chantier de 100 m², la hausse du ciment peut ajouter plusieurs centaines de milliers de francs Cfa au budget final ». Certains petits projets sont suspendus ou réduits.
Les revendeurs, eux, naviguent entre pénurie et hausse de prix. Au marché de Djikoroni, un commerçant montre ses stocks limités : « Je reçois deux camions par semaine au lieu de quatre et je dois augmenter le prix pour couvrir mes frais. »
Moussa Drabo, renchérit : « Il faut se lever à 6h pour chercher le ciment importer. Le ciment local étant devenu très difficile à trouver ». En juillet dernier, il y avait une rupture totale sur le marché.
DISPARITES REGIONALES – Si Bamako subit la hausse, certaines villes de l’intérieur paient encore plus cher. A Sikasso, le sac de ciment était vendu entre 7 000 et 7 500 Fcfa il y a quelques jours. Toutefois, aujourd’hui, le sac est vendu entre 5 750 et 6 000 Fcfa.
Les conséquences sont visibles : chantiers à l’arrêt, logements inachevés, artisans sans travail. Dans le quartier de la Gare à Koulikoro, Djibril Sacko, père de famille, témoigne : « J’avais prévu de construire deux pièces supplémentaires cette année. Avec ces prix, j’ai arrêté les travaux.
» En effet, le sac de ciment est vendu à 5 500, 5 750 et 6 000 Fcfa et le prix de la tonne varie entre115 000 et 120 000 Fcfa, 125 000 et 130 000 Fcfa dans certaines boutiques « sans facture », témoigne un client. « L’objectif est de ne pas laisser de traçabilité pour échapper aux services de contrôle de l’Etat ». Il faut noter qu’il y a rupture de ciment actuellement à Koulikoro. A Kayes les prix sont stables depuis un an : 82 500 à 87 500 FCFA la tonne et 4 250 FCFA le sac.
Les experts estiment que sans amélioration rapide du transport et de la production locale, les prix resteront élevés. « Le ciment est un produit lourd et coûteux à transporter. Toute perturbation dans la chaîne logistique se répercute immédiatement sur le prix final », analyse Oumar Diawara, économiste.
À moyen terme, certains plaident pour l’augmentation de la capacité de production nationale et la diversification des sources d’importation de clinker. Mais ces projets demandent des investissements et du temps.
Le ministère du Commerce et de l’Industrie n’a pas souhaité réagir « pour le moment » souhaitant attendre les résultats de l’évolution des dispositions prises avec les acteurs du milieu.
En attendant, Alou Bathily invite la population à plus de patience. « Des rencontres avec le ministère du Commerce et de l’Industrie ont eu lieu, des accords ont été trouvés et des solutions proposées. L’amélioration se sentira dans les jours à venir », a-t-il assuré.
Face à la flambée des prix, le ministère de l’Industrie et du Commerce a réuni, début juillet, les principaux producteurs et importateurs. Selon une source au ministère, l’objectif est de « sécuriser l’approvisionnement et stabiliser les prix ». Les autorités envisagent un renforcement des contrôles et un suivi hebdomadaire des prix. Une réunion d’évaluation est prévue pour le mois prochain.
Joint par téléphone, la cellule de communication de la Direction générale du commerce, de la consommation et de la concurrence (DGCC) a décliné tout commentaire : « Des actions sont en cours. Nous exposerons les résultats bientôt »
La DGCC a sanctionné plusieurs vendeurs de ciment qui vendent le produit au-delà du prix réglementaire. Un revendeur, sous anonymat, soutient que le prix fixé par l’Etat ne les arrange pas.
OS/MD (AMAP)