
Ces jeunes gens, sans qualification, souvent des soutiens de famille à la recherche de leur pitance, courent après les jobs payés à la journée sur les chantiers
Par Fadi CISSÉ
Bamako, 12 janv (AMAP) Attroupés sous un grand arbre, leur attention se focalise sur la route qui mène de Kalaban Coura à l’Aéroport international président Modibo Keïta de Bamako-Sénou. Ce sont des ouvriers à la recherche d’un travail journalier. La majorité d’entre eux, munis de leurs sacs, sont des déplacés intérieurs des camps ouverts dans la périphérie de Bamako, la capitale malienne. Assis côte à côte, ils donnent l’impression de bien se connaître, mais comme le dit l’adage, «les apparences sont trompeuses».
Ils ont fui la violence des conflits dans leurs villages respectifs pour trouver refuge dans la Ville aux trois caïmans. Les épreuves traversées et la rencontre accidentelle dans la capitale ont, presque naturellement, créé entre eux des liens de parenté. Sous l’arbre qui fait office de zone d’attente pour ces déplacés, ils se découvrent aussi consommateurs, car leur présence régulière a attiré des vendeuses de nourritures, de café, de marchands de petites bricoles… Ce petit monde permet aux ouvriers de prendre le petit déjeuner avant d’affronter une longue journée de travail. Si l’occasion se présente…
La majorité de ces jeunes, qui espèrent être embauchés par un chef de chantier, est originaire de villages de Mopti, San, Douentza et autres localités des Régions dans le Centre du Mali, en proie à l’insécurité. Ils doivent se réveiller avant l’aurore pour venir faire la queue dans l’espoir de trouver un travail et gagner de l’argent pour se nourrir et faire vivre leur famille.
Dans un minibus Sotrama, nous avons croisé Bamoussa Traoré. Le quinquagénaire, vêtu d’un pantalon noir, d’un vieux T-shirt de la même teinte, glisse sous le banc un sac contenant ses outils de travail, puis salue les autres passagers. Il est déjà 8 heures en ce mois de décembre, mais la fraîcheur et le brouillard persistant donnent l’impression qu’il n’est que 6 heures du matin. Un coup d’œil à sa montre et Bamoussa crie au chauffeur d’accélérer pour lui éviter d’être plus en retard au travail. Il doit, en effet, se rendre sur le boulevard de Kalaban Coura pour recruter des jeunes « costaux » capables d’abattre le travail pénible que son âge ne lui permet plus d’exécuter seul.
À destination, Bamoussa Traoré est instantanément assailli de sollicitations. «Patron, avez-vous besoin d’un manœuvre ? Je suis là et je suis prêt à accomplir n’importe quelle tâche», entend-on dans le brouhaha.
ATTAQUES DE VILLAGE – Le vieux, lui, a pris son temps non pour écouter les jeunes, mais pour repérer celui, plutôt jeune et solide, qui ferait son affaire. Il a choisi Abdoulaye Yalkouyé, 17 ans. Le jeune homme et ce qui restait de sa famille ont quitté Sofara, après que ce village de la Région de Mopti a été attaqué par des terroristes.
Actuellement, Abdoulaye a trouvé refuge avec ses deux frères et sa sœur au camp de Sénou, attendant un hypothétique retour au bercail. «Chaque jour, je me réveille tôt le matin pour venir chercher du travail en cet endroit. Quand on a perdu nos parents dans l’attaque, j’ai pris mes frères et j’ai suivi les autres familles à Bamako. J’ai abandonné l’école en classe de 7è année pour m’occuper d’eux», raconte le jeune chef de famille.
Pour faire face à des responsabilités qu’il n’aurait jamais dû assumer à son âge, Abdoulaye accepte d’être payé à 3.000 Fcfa pour une dure journée de labeur, nourriture non comprise. «Si je refuse le travail, il y a des gens qui sont prêts à accepter l’offre. Souvent, on reste jusqu’à midi ici sans trouver de travail à faire», regrette le jeune orphelin qui, tout heureux, suit son «patron» du jour.
Ceux qui ont de la chance ou ont donné largement satisfaction peuvent être systématiquement contactés par un responsable de chantier qui leur fait désormais confiance. Ils n’ont pas besoin de venir faire le pied de grue à Kalaban Coura. Les plus désespérés choisissent de passer la nuit à la belle étoile dans l’espoir de bénéficier de la première offre du matin. Mais, la chance ne leur sourit pas toujours comme Seïbou Poudiougou qui peut en témoigner amèrement. Le natif de Koro, dans la Région de Bandiagara (Centre), a passé la nuit en plein air, sans couverture pour se protéger du grand vent d’harmattan de décembre.
Ce matin, il est déjà 11 heures et aucune offre ne lui a été faite jusque-là. Tout espoir s’est envolé pour le reste de la journée. «Des jours comme ça, lorsque je ne trouve pas de travail, je vais en chercher au marché rail-da. Je transporte les bagages des clients des Sotrama avant de guetter un poste de gardiennage dans un quartier de la zone. Nous sommes deux personnes à nous relayer pour cela, tous venus du même village pour se retrouver au camp de Faladiè», révèle le jeune dogon.
Banditisme – Des journaliers viennent 7 jours sur 7 chercher du travail à Kalaban Coura ou sur un autre site très fréquenté à Yirimadio, en Commune VI de Bamako, non loin du rond-point (Wara ka Sirafara) où, de passage on les aperçoit regroupés. Samedi matin, beaucoup d’entre eux sont assis sur des briques, plaisantant en bons copains. Fatigués d’attendre, quelques-uns se sont allongés à même le sol. Arouna Tapily reste debout au bord de la route bitumée dans l’espoir d’être embauché, car il doit impérativement se faire de l’argent pour régler l’ordonnance de sa femme malade.
Il est déjà 10 heures et aucun chef de chantier ne s’est présenté. Le natif de Diallassagou sait que ses chances s’amenuisent de ce côté-là et s’apprête à se lancer dans un aléatoire porte-à-porte afin de trouver un petit job qui le dépannera. Il souhaite que la paix revienne vite pour qu’il puisse retourner au bercail avec sa famille, car, dit-il, «Bamako est très dur pour y vivre surtout pour nous les villageois.»
Kaniba Koné, elle, ne vient pas sur le site de Yirimadio pour chercher du travail : cet endroit est son lieu de travail. Depuis plusieurs années déjà, elle y a installé un foyer pour faire cuire et vendre des galettes. La quadragénaire, qui passe des heures chaque jour devant son petit commerce, connaît parfaitement le site et ses occupants d’hier et d’aujourd’hui. « Depuis des années, bien avant l’arrivée des déplacés, rapporte-t-elle, des groupes de jeunes fréquentent ce lieu pour consommer des stupéfiants et se livrer au banditisme ». «La majorité d’entre eux disent qu’ils cherchent du travail alors que ce n’est pas le cas. Ils planifient même des vols contre des inconnus. Il ne se passe pas deux semaines sans que la police ne vienne ici», assure la vendeuse qui souhaite de tout cœur que le Mali retrouve sa quiétude afin que les jeunes rentrent chez eux.
Un agent du commissariat de police de la zone explique que leurs interventions sur ce site visent généralement de prétendus apprentis chauffeurs à la recherche de travail. Notre interlocuteur, qui a tenu à garder l’anonymat, indique que la moitié de ces ouvriers forme des « grins » pour consommer du café noir contenant des aphrodisiaques ou des stupéfiants. Quand ils se retrouvent dans un état second, bonjour les dégâts.
Interrogé sur la question, le Dr Mohamed Abdoullah Haïdara, sociologue à l’École normale supérieure (ENSup), propose d’élaborer un programme officiel d’insertion des déplacés ou de les aider à regagner leurs terroirs après la résolution de la crise.
De son point de vue, c’est le manque de formation qui expose les journaliers aux bas salaires et à l’exploitation et les empêche de «pouvoir joindre les deux bouts».
FC/MD (AMAP)