Par Oumar SANKARE
Bamako, 03 Déc (AMAP) Sur son lit d’hôpital, à Gabriel Touré, l’adolescente Fatoumata Témé avale difficilement une gorgée de bouillie que lui donne sa petite cousine âgée de 5 ans. Pendant ce temps, sa mère était aux toilettes. Sa fillette peine à trouver l’équilibre nécessaire pour boire. Âgée de 13 ans, elle se retrouve, aujourd’hui, avec les quatre membres amputés à la suite d’un accident qui aurait pu lui coûter la vie.
On s’en souvient. Le 17 juillet dernier, Fatoumata Témé a reçu une décharge électrique foudroyante, provoquée par une ligne à haute tension suspendue non loin du toit d’une maison où elle travaillait comme domestique. « Avec une barre de fer, j’ai voulu décrocher un habit de la ligne haute tension. Puis, plus rien. Je me suis réveillée à la maison », marmonne la domestique.
« Quand Fatoumata est arrivée ici, ses membres étaient déjà raides, Elle avait déjà passé quelques jours à la maison avant de venir à l’hôpital. Faute de soins appropriés à domicile, ses membres étaient déjà infectés. Après consultation de spécialistes, ici, au Mali, en France et aux Etats-Unis, la seule alternative pour sauver sa vie, c’était l’amputation des quatre membres », confesse Adam Telly, responsable du service social du CHU Gabriel Touré.
Après son hospitalisation, elle aura toujours besoin d’un accompagnement approprié, surtout moral, pour réapprendre à vivre, selon son infirmière Anne Yéyé. Qui ajoute que le seul rêve de la fillette est de pouvoir retourner à l’école.
La mésaventure de Fatoumata n’est malheureusement pas un cas isolé. D’autres accidents similaires ont été enregistrés à Bamako auparavant. Et la cause serait une urbanisation galopante, anarchique et incontrôlée. « Le taux d’urbanisation annuel du Mali, qui est de 4,9% par an, dépasse de loin le taux de croissance démographique global qui s’établit à 2,9% par an. Actuellement urbanisé à 41%, le pays devrait franchir la barre de 48% d’ici 2030 », analyse un rapport de la Banque mondiale intitulé : « Bamako : Un moteur de croissance et de prestation de services. Analyse du secteur urbain ».
LE PIRE – À Tiébani, un quartier périphérique de la capitale, les chantiers poussent comme des champignons. Des lignes à haute tension sur plusieurs kilomètres, surplombent certaines maisons déjà habitées ou en cours de construction. Mohamed Barry dit avoir déménagé dans le quartier, il y a quatre mois. « Je suis surpris de voir des familles entières résider si près des lignes haute tension. Quand je fais la marche, le petit soir, et que je vois des enfants et des groupes de jeunes sous les lignes, je ne peux m’empêcher d’imaginer le pire», s’inquiète-t-il. Il y a moins d’un mois, un poteau électrique a provoqué un incendie vite maîtrisé. Seule désagrément : une dizaine de maisons sont restées dans le noir. « Je n’ose pas imaginer les dégâts que pourraient provoquer les lignes à haute tension », renchérit Mohamed Barry.
A quelques encablures de là, se trouve un garage de mécanique automobile, en dessous de la ligne haute tension. Siriki Diarra, un apprenti mécanicien, affirme être conscient du danger. Mais n’ayant pas d’autres choix, il est obligé de’ travailler là, faute de trouver un emploi ailleurs. Une opinion partagée par ses collègues. Au moins, cinq garages automobiles sont alignés.
Plus loin, un petit jardin maraîcher appartenant à Assa Doumbia. La quinquagénaire, aussi, se dit consciente du danger mais n’a pas d’autre alternative pour survivre. « A deux reprises, j’ai dû abandonner mes cultures. Les propriétaires ont repris leur terrain. Ici, au moins le terrain n’appartient à personne. J’espère qu’on ne viendra pas me faire déguerpir un jour », dit-elle.
Non loin de là, la ligne à haute tension passe au-dessus d’une maison. Un groupe de jeunes discute à côté. « Nous connaissons les risques encourus. Il nous arrive d’en parler avec le chef de famille, un pharmacien. Il dit disposer d’une autorisation de construire », répond le groupe.
RÈGLEMENTATION – Le directeur national de l’urbanisme et de l’habitat, Almaimoune Ag Almoustaphe, est formel : « La marge latérale à observer le long des lignes à haute tension est de 25 à 50 mètres suivant l’intensité, conformément au décret n° 113 du 09 mars 2005 fixant les règles spécifiques applicables en matière d’urbanisme », précise Almaimoune Ag Almoustaphe. Selon lui, outre les risques de graves dangers d’électrocution et d’incendie auxquels s’exposent ceux qui vivent près des lignes à haute tension, « il est démontré qu’une longue exposition aux ondes électromagnétiques est cancérigène ».
Autre lieu, autre scène. Nous sommes à Sirakoro, dans la Commune rurale de Kalaban-coro. Une station-service est construite sous une ligne à haute tension. Interpellés, des pompistes, plus occupés à servir leurs clients qu’à se soucier d’électrocution, soutiennent qu’ils ne font que leur boulot. « C’est ça ou le chômage », acquiescent d’un signe de tête, d’autres.
Il est 16 h. Un groupe de jeunes s’affairent sur un terrain vague. Ils se préparent à jouer un match de football sous la ligne à haute tension. Leila Camara, une étudiante en colère peste contre les imprudents : « Cela m’énerve tellement de les voir jouer ici, sans se préoccuper des risques encourus ».
Tout au long de la route, sur plusieurs kilomètres, lavages auto-motos, kiosques, boutiques, fleuristes, restauratrices et autres abris sont installés sous les lignes à haute tension. Quitteront-ils les lieux pour leur propre vie ? Ils soutiennent qu’à moins d’être expulsés, ils sont à demeure. Ils disent ne pas se plaindre et les activités marchent. En outre, Boubacar Coulibaly, gérant d’un lavage-auto, affirme avoir une autorisation de s’installer et s’acquitte régulièrement de ses taxes.
Pour Ahmed Kanté, enseignant à la retraite, tout ceci est de la faute des autorités. « Tout le monde voit ce qui se passe ici à Sirakoro. De hauts responsables nationaux vivent ici : gouverneurs, ministres, directeurs de grandes institutions, chacun passe son chemin. Certains riverains ont interpellé la mairie. En vain », se plaint le retraité.
Les conséquences sont pourtant réelles et connues de tout le monde. En la matière, Dr Ibrahim Haïdara ajoute qu’en plus du cancer, la probabilité de maladies neurodégénératives (comme l’Alzheimer) est très élevée chez les personnes habitant à proximité de lignes à haute tension ou qui sont exposées dans le cadre de leur profession.
Qu’en pense Energie du Mali (EDM), la société nationale ? Toutes nos tentatives pour avoir d’amples informations sont restées vaines.
OS/MD (AMAP)