Par Amadou CISSÉ
Bamako, 23 juin (AMAP) Barbe blanche, mâchoire épaisse, Mamadi garde un œil vigilant sur son fond de commerce. Quelques cinq béliers sont reliés par une seule corde qu’il tire énergiquement sur le trottoir. Si Mamadi met ses béliers sur le marché, c’est que la fête de Tabaski est proche.
Selon le calendrier, elle a lieu le 10 juillet. Autant dire dans quelques jours, pour faire simple. Cette fête musulmane intervient deux mois et 10 jours après la fin du Ramadan. Ici, on l’appelle, également. la grande fête. Pour l’occasion, chaque famille musulmane est invitée, selon sa bourse, à immoler au moins un bélier, un bouc ou d’autres animaux admis pour le sacrifice d’Abraham.
Les enfants s’excitent et se projettent déjà dans la fête au cours de laquelle la viande est consommée sans modération. C’est certainement pourquoi, les mômes la considèrent comme la plus grande fête de la culture musulmane. Si les touts-petits salivent déjà abondamment pour la viande, les grandes personnes sont moins enthousiastes. L’idée des charges afférentes est une source d’angoisse pour les moins nantis.
« Écoutez, vous avez les habits de fête, le prix de condiments du jour « J » et, surtout, le fameux mouton. Sans oublier d’autres charges dans la grande famille », se plaint André Diallo qui a une famille d’une dizaine de « Bouts de bois de Dieu ». Pour lui, fête rime avec angoisse. En bon musulman, il garde la foi et s’en remet au destin. « Dieu, dit-il, voit le moindre moineau qui tombe du ciel ».
Dans la capitale malienne, sur le trottoir longeant le vieux quartier de Badialan, passant par le Groupement mobile de Sécurité (GMS), qui vient relier le monument de l’indépendance, Mamadi encadre avec dextérité son bétail. « Ils coûtent de 100.000 à 200.000 Fcfa. Le prix varie en fonction du choix du client », confie le vendeur. « Mais, on peut toujours trouver un arrangement sur le prix. Il faut commencer par montrer le bélier choisi », ajoute-t-il, dans un sourire très charmeur.
Si les bêtes du cinquantenaire sont relativement chères, c’est parce qu’il les a lui-même élevés. À la différence de beaucoup qui n’achètent les béliers qu’à l’approche de la fête pour faire des profits illico. « Moi, dit-il, je prends soins de mes animaux pendant plus de six mois avant de les vendre une fois la fête à l’horizon ».
Lafiabougou est célèbre, en partie, grâce au grand marché à bétail qu’il abrite. Bovins, caprins et mêmes des chevaux se disputent un espace restreint. Les pieds sont trempés dans les crottins d’animaux. Mauvais moment, bon endroit, le mercredi était une journée pluvieuse. Le ciel ne semble faire qu’à sa tête. Il a plu toute la journée. Le soir, les béliers ont froid, les têtes désolées.
Le jeune berger Abdoulaye bondit du fond d’un hangar. Il donne des coups de pied aux béliers qui se lèvent aussitôt. « Patron, fais ton choix », lance-t-il dans un accent du Nord du Mali. Il est arrivé de Mopti (Centre) pour vendre son bétail et retourner auprès des siens avec quelque fortune. Les moutons qui ne payent pas de mine sont cédés à moins de 100.000 Fcfa. En revanche, ceux qui raflent la vedette sont négociés à partir de 250.000 Fcfa.
Le marché verra son pic la veille de la fête. Les amateurs de la dernière minute vont débarquer avec un faible budget dans l’espoir de tomber sur un bon coup. Cette catégorie de personnes prennent un risque. En misant sur la mévente, ils espèrent une chute des prix à la dernière minute. « Ils ne sont pas tous comme cela : certains craignent le vol et d’autres n’ont pas l’espace nécessaire pour garder la bête », nuance un client en quête d’un bélier de tabaski, 52.500 Fcfa en poche.
De l’avis du jeune berger, son budget doit être revu à la hausse s’il tient à faire plaisir aux membres de sa famille. Mais, à sa décharge, la conjoncture n’est guère favorable aux dépenses onéreuses. Choqué par le commentaire du berger, notre acheteur remonte sur la moto et se dirige chez un concurrent un peu plus loin. Toujours dans l’espoir de repartir à la maison avec un bélier, modeste soit-il.
AC/MD (AMAP)