
Des manifestants, ressortissants du Burkina Faso qui brandissent le drapeau de leur pays
Par Oumar SANKARE
Bamako, 16 janv (AMAP) C’est sous un ciel bleu azur, dégagé qu’a répondu, à l’appel lancé par le Président de la Transition, Assimi Goita, des milliers de personnes. A 13h déjà, la très célèbre Place de l’Indépendance était noire de monde. Un endroit emblématique où le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) a tenu ces manifestations pour réclamer la démission de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita, un an auparavant.
Cette manifestation a pour but de dénoncer les sanctions « illégales » et « illégitimes » de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) avaient annoncé les organisateurs, mercredi dernier, à la Bourse du Travail.
Du nord au sud, d’est en ouest du monument de l’Indépendance, une foule surexcitée accourait, au son incessant des vuvuzelas qui fusait de partout. L’ambiance électrique, joviale, avec des manifestants de tous âges, des tout-petits aux personnes du 3e âge et de toutes les couches sociales ont répondu présent. Sur certaines pancartes, on lisait : « L’embargo est un champ libératoire pour nous les Maliens, assumons donc », « Stop au génocide de la France au Mali et dans le Sahel », « On demande aux autorités de quitter la CEDEAO et l’UEMOA », « A bas l’Union européenne, la France, la CEDEAO, l’UEMOA » …
Les drapeaux maliens et russes sont brandis de tous les côtés. Certains jeunes hommes et femmes ont peint sur leur joue et front les couleurs nationales. Des ressortissants de certains pays membres de la CEDEAO, résidant au Mali, portaient leur. Il s’agit du Sénégal, du Niger, de la Cote d’Ivoire, du Togo, du Bénin entre autres.
SOLIDARITE SOUS REGIONALE – Aminata Sarr, 26 ans, vêtue du maillot de l’équipe nationale de football, fait flotter le drapeau sénégalais. L’étudiante en médecine vétérinaire est accompagnée d’une dizaine de ses compatriotes. Ils sont commerçants, transporteurs, étudiants, dentistes et vivent tous au Mali, depuis plusieurs années. « Nous sommes sortis aujourd’hui pour soutenir le Mali dans cette épreuve. Ces sanctions injustes prises contre les maliens, nous affectent tous d’une manière ou d’une autre » soutient Aminata Sarr. Bien avant les années 1960, leurs grands-parents vivent entre le Mali et le Sénégal. Il se trouve aujourd’hui que certains des leurs sont bloqués à Bamako. « En plus des pertes économiques, ces sanctions séparent des familles », déplore Abdoulaye Diouf. Pour ce bijoutier de 35 ans, la CEDEAO n’a plus de raison d’être quand elle se lève contre les peuples. « Aujourd’hui, nous ne pouvons plus ni envoyer
de l’argent à ceux qui dépendent de nous au pays, à cause des sanctions ni nous déplacer. Des Nigérians en route pour la Gambie sont, aujourd’hui, bloqués à l’autogare. Ils ne connaissent rien du Mali, ni parents ni amis ici. Muhamadu Buhari sait qu’ils sanctionnent des milliers de Nigérians aussi ? » se demande-t-il.
Non loin d’eux, un groupe de Nigérians et d’Ivoiriens sympathisent avec les jeunes manifestants maliens. Tous brandissent les drapeaux de leur pays respectif. On prend des photos pour immortaliser le moment. Rahim Adjaou, la soixantaine, est un commerçant nigérian qui vit au Mali. « La CEDEAO a échoué sur de nombreux plans dont la libre circulation des personnes et des biens. C’est un cauchemar de se déplacer dans la zone. Cette situation actuelle, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En plus de son inutilité, elle est devenue une arme d’oppression contre les populations de sa zone », tempête Rahim Adjoua.
Quant à Alexandre Assouan, un transporteur ivoirien, il estime que la crise est allée trop loin. « En sortant manifester, on espère que les leaders nous écouteront tous, pas seulement les Maliens » conclut-il.
Abdoulaye Tounkara, docteur en sciences économiques et son ami Djibril Traoré, ingénieur de construction, affichent fièrement sur le bonnet, un billet de « 5000 » et « 1 000 Francs maliens », des billets de la banque de la 1ere République du Mali, du temps de Modibo Keita. Pour eux, ces sanctions « doivent être une raison de plus pour couper les ponts avec le Franc CFA et lancer notre propre monnaie ».
Par ailleurs, le professeur des universités juge que sans indépendance monétaire et économique, on ne peut tout simplement pas parler d’indépendance. « L’arme la plus redoutable de la France contre ces anciennes colonies, aujourd’hui, c’est le F CFA » ajoute Djibril Traoré.
SOUTIEN DES FEMMES – Chacun, dans la foule, a son opinion et ses raisons de manifester. Pour la sexagénaire, Badiallo Diakité, il s’agit de patriotisme. Fatiguées, éreintées, assises à même le sol, Badiallo et sept autres femmes, têtes couvertes par un voile, à l’effigie du guide religieux Bouyé Haidara, sont toutes des grands-mères. « Nous répondons à l’appel de notre guide Bouyé. Nous manifestons contre l’injustice et l’oppression. Nous nous battons pour nos enfants et nos petits-enfants », soutiennent-elle.
Dramé Mariam Diallo, de l’Association femme leadership et développement durable (AFLED) et ses membres ont également manifesté. Nous sommes sorties pour faire passer notre message. Il s’agit de dire « Non aux sanctions inhumaines qui affectent les femmes et les jeunes ».
Et à Hindou Maiga, présidente du Groupement des femmes déplacées du Nord de renchérir : « depuis bientôt cinq ans, beaucoup d’entre nous vivent, avec nos enfants, dans des conditions précaires voire inhumaines, dans les camps de réfugiés, du fait de la situation sécuritaire. Nous voulons la paix et non des sanctions qui vont nous rendre la vie encore plus dure ».
Issa Diarra, une personne vivant avec un handicap, dans son fauteuil roulant soutient : « Nous allons nous tenir droits pour défendre notre honneur. On en a assez de tendre la sébile et recevoir l’aumône. C’est un vent nouveau qui souffle. Gare à tous ceux qui s’y opposeront ». Et un groupe de lycéens, de lancer : « La CEDEAO a réussi, aujourd’hui, à unir les Maliens sans le vouloir, c’est le sursaut dont nous avions besoin. Nous nous battrons jusqu’à la fin ».
Vers 15h 30, l’arrivée du cortège du premier ministre Choguel Kokalla Maiga accompagné de certains ministres électrise la foule. On crie, on chante, on danse pour marquer « l’indéfectible soutien du peuple aux dirigeants contre l’impérialisme ».
Un imposant service d’ordre d’agents de la garde nationale, de la gendarmerie, de la police et de la protection civile ont assuré la sécurité tout au long de la manifestation.
Outre Bamako, les manifestations se sont tenues dans d’autres localités dont Kadiolo, Bougouni, Ménaka, Toumbouctou, Ansongo, Sikasso, Kita, Sikasso, Kayes, Koro, Mopti, Ségou….
OS (AMAP)