
Les pépinières fleurissent dans la capitale et proposent toutes les variétés d’arbres fruitiers et non fruitiers.
Aboubacar TRAORE
Bamako, 07 juil (AMAP) À Bamako, les espaces publics se transforment de plus en plus en pépinières pour les jardiniers et fleuristes. Ces derniers vendent sur ces espaces des fleurs ou des pieds de plantes d’ornement ou fruitières. Si la présence de ces fleuristes et jardiniers arrange bon nombre de nos concitoyens qui font des achats pour leurs besoins multiples, certains se plaignent également de la prolifération de ces sites qui peuvent servir de repaires pour des individus malintentionnés pour commettre leurs forfaits. Cela, à cause de la végétation de ces sites qui rend difficile la visibilité.
Pourtant, l’installation de ces paysagistes est règlementée par des textes sauf que la loi n’est pas respectée par les utilisateurs. Ou plutôt, est ignorée par ces derniers et la clientèle.
Moussa Daou, chef de poste de la Direction urbaine du bon ordre et de la Protection de l’Environnement (Dupope) à la mairie de la Commune VI où le phénomène connait de l’ampleur, explique les conditions d’installation des jardiniers sur l’espace public. L’agent municipal indique que pour occuper un espace vert, le paysagiste doit adresser une demande d’occupation au maire de la commune concernée. Après réception de la demande, les services compétents de la mairie (Dupope), de l’Urbanisme, de l’Assainissement et des Eaux et Forêts effectuent une visite de terrain.
Une fois autorisé par le maire sur approbation des services techniques, le jardiner doit s’acquitter des frais d’installation qui s’élèvent à 100 000 Fcfa par espace. Et après installation, il doit payer régulièrement la taxe municipale de 18 000 Fcfa par an. Selon le dernier recensement, réalisé il y a trois ans, il existe une trentaine de pépiniéristes en Commune VI, dont près de la moitié occupe illégalement les sites. « Mais la mairie, étant un service social, se montre très souvent indulgente avec les fleuristes », explique Moussa Daou. Ajoutant qu’en plus de leur contribution à l’embellissement de la ville, les pépiniéristes participent également à l’hygiène et à la préservation de l’environnement contre certains phénomènes comme la transformation des espaces vides en dépotoirs d’ordures ou autre usage répréhensible. Selon notre interlocuteur, la mairie de la Commune VI travaille en étroite collaboration avec la coopérative des horticulteurs.
DÉFENSE DES INTÉRÊTS – Pour défendre leurs intérêts, les paysagistes se sont constitués en regroupement dénommé Union des sociétés coopératives des horticulteurs et pépiniéristes du District de Bamako (USCHPB). Créée en 2017, l’organisation compte environ 300 pépiniéristes repartis en coopératives entre les six Communes du District de Bamako. Selon son président, El Hadji Maïga, les fleuristes occupent les domaines publics (espaces verts) pour le besoin d’aération de la ville de Bamako. «Nous travaillons généralement sur la base de contrats avec les maries et la Direction nationale des Eaux et Forêts pour aménager les endroits et nous nous acquittons des taxes municipales», assure le fleuriste. « Les difficultés interviennent généralement lorsque des opérateurs économiques passent par les autorités pour acheter ces espaces et faire déguerpir les pépiniéristes qui opèrent sur les lieux depuis des années, voire des décennies », déplore M. Maïga. Il évoque le cas d’une dizaine de jardiniers de la Commune IV qui travaillaient sur des sites situés non loin du Palais des Sports Salamatou Maïga, à Djicoroni-Para et vers Woyowayanko.
El Hadji Maïga précise que ces fleuristes ont été déguerpis par voie d’huissiers par les nouveaux acquéreurs qui se sont présentés avec des titres fonciers. Face à cette situation, l’USCHPB a entamé des démarches auprès des autorités concernées, notamment le gouverneur du District de Bamako, le ministre en charge des Domaines et des Affaires foncières, le Premier ministre, ainsi que la direction générale de l’Agence de cessions immobilières (ACI). Cette dernière est disposée à proposer une régularisation des déguerpis.
Le premier responsable de l’USCHPB lance un cri du cœur à toutes les bonnes volontés pour aider les pépiniéristes de la capitale à mettre fin à ces deguerpissements qui ont déjà mis plusieurs chefs de famille au chômage. El Hadj Maïga estime que Bamako, de façon générale, et l’ACI 2000, en particulier, a aujourd’hui plus que jamais besoin de ces espaces verts pour l’épanouissement des populations, notamment la couche juvénile. Un avis que partage l’administrateur provisoire de l’ACI, Amadou Maïga, qui a rencontré les responsables de la faitière des paysagistes concernant notamment l’aménagement de la Bande verte en espace vert.
Après avoir expliqué que « certains espaces verts appartenant au domaine public de l’État ont fait l’objet de changement de vocation, à travers des ré-morcèlements suivis de ventes dans la zone ACI 2000 en 2015 », Amadou Maïga a révélé que la direction de l’ACI cherche des solutions pour reclasser les nouveaux acquéreurs des espaces concernés, afin de permettre aux pépiniéristes de continuer à aménager ces endroits qui constituent des équipements de confort pour le quartier. « Toute chose qui, souligne-t-il, confère à l’ACI toute la justification de son label ». Cependant, le responsable de l’Agence indique ne pas avoir connaissance de cas de deguerpissements récents de fleuristes dans la zone ACI 2000.
UN MÉTIER QUI NOURRIT SON HOMME – Les pépinières géantes sont reconnaissables de loin par leur végétation développée et on en trouve presque sur tous les grands axes de Bamako. Des abords de la route menant à l’Aéroport international président Modibo Keïta-Sénou, en passant par les alentours des échangeurs des ponts des Martyrs et du Roi Fahd, jusqu’au rond-point Kwamé Nkrumah en face du cimetière d’Hamdallaye, il y a de véritables petites forêts partout. On y trouve des fleurs et des arbres d’une variété impressionnante. Sur les sites en face de la Pyramide du Souvenir et de la Maison des Jeunes de Bamako, sont installés plusieurs groupes de paysagistes.
Vieux Traoré partage un espace d’environ un demi hectare avec cinq autres jardiniers. Sur place, ces derniers ensemencent les graines. Ils apportent les soins nécessaires au plein épanouissement des plantes et connaissent toutes les espèces végétales. Le travail des pépiniéristes consiste, également, à nourrir les plantes en les irriguant, en mettant parfois de l’engrain et en les protégeant contre les maladies et les mauvaises herbes.
Ce natif de Kolokani, qui a appris le jardinage sur le tas, vit de ce métier depuis une vingtaine d’années. Selon lui, le jardin qu’il occupe existe depuis plusieurs années, «bien avant la construction de la Pyramide du souvenir et de l’échangeur du pont des Martyrs», rappelle-t-il. Chez Vieux Traoré, on trouve des arbres fruitiers (manguiers, orangers et des variétés de citronniers, de mandariniers, de Tangelo, de pamplemousse…) et aussi des arbres non fruitiers, notamment les espèces forestières (Karité, Néré, Baobab, Zaban, eucalyptus…). Ces espèces sont vendues entre 500 à 1 000 Fcfa le pied.
Ousmane Diarra, un autre occupant du site, affirme que pendant l’hivernage, les affaires sont florissantes. Selon lui, les arbres les plus sollicités sont les manguiers et les orangers. «Nous pouvons vendre plusieurs dizaines de pieds d’arbres par jour», témoigne le jardinier. Si le pied d’oranger est cédé, selon le genre, entre 750 et 5 000 Fcfa, les manguiers oscillent entre 500 et 25 000 Fcfa. À ces arbres, s’ajoute le cocotier géant dont le tronc se vent jusqu’à 50.000 Fcfa. En plus de la vente sur place, les pépiniéristes sont également sollicités par certains clients pour les travaux de greffes d’arbres à domicile et dans les champs.
Les occupants de ces deux sites affirment ne rien payer aux autorités municipales depuis un certain moment et qu’ils sont menacés de deguerpissement par la mairie. C’est tout le contraire pour Bakary Fomba dont le jardin est situé derrière le Palais de la Culture Amadou Hampâté Ba, à la descente du pont des Martyrs. Le pépiniériste s’y est installé en 2010 et paie une taxe municipale annuelle de 18 000 Fcfa. «Je paie régulièrement mes impôts et je dispose d’un Numéro d’identification fiscale (NIF) », souligne le paysagiste qui est membre de la Coopérative des horticulteurs de la Commune V.
Selon lui, l’espace vide situé en face du Palais de la Culture Amadou Hampâté Ba appartient à un riche opérateur économique de la place qui a fait déguerpir le jardinier, feu Oumar N’Diaye. La décision a provoqué la colère de la jeunesse de Badalabougou qui, depuis s’oppose à la construction de tout ouvrage sur le site.
Sur la rive droite du fleuve Niger en Commune VI, le constat est similaire. Du carrefour de l’auto-gare de Sogoniko jusqu’aux abords de la Tour d’Afrique sur l’avenue OUA, on trouve plusieurs jardiniers installés entre la chaussée et le grand collecteur. Mais, contrairement aux occupants devant la Maison des Jeunes de Bamako, les fleuristes de Faladiè ne gênent pas la visibilité des usagers de la voie publique.
Ingénieur agronome diplômé de l’Institut polytechnique rural de formation et de recherche appliquée (IPR/IFRA) de Katibougou Oumar Coulibaly, la cinquantaine révolue est le gérant du Groupement d’intérêt économique (GIE) la Verdure. Le paysagiste est aussi promoteur de plusieurs espaces verts dont celui situé sous la passerelle piétons de l’auto-gare de Sogoniko et qui s’étend sur plusieurs mètres. Horticulteur par vocation, il fait chaque année une contribution de 1 000 plantes lors de chaque campagne nationale de reboisement, en partenariat avec la Direction régionale des Eaux et forêts de Bamako.
Cet engagement en faveur de la protection de l’environnement a valu à Oumar Coulibaly d’être décoré de la Médaille du mérite agricole lors des festivités du Cinquantenaire de l’indépendance du Mali, en 2010. Marié et père de sept enfants, le paysagiste vit de ce métier depuis 20 ans. Il invite les autorités à protéger davantage les espaces verts du domaine public contre les prédateurs fonciers qui rôdent autour.
AT/DM (AMAP)