
Le geste du debut de la « désocialisation »
Par Mariam F. DIABATÉ
Sikasso, 22 nov (AMAP) A Sikasso, tout comme dans des zones frontalières, le trafic et la consommation de stupéfiants ont tendance à se banaliser. Que ce soit dans la ville ou dans les localités de la région, les jeunes de 14 à 20 ans s’adonnent à la drogue. Conséquences : des cas de troubles psychiatriques et de « désocialisation », en un laps de temps.
Selon les différents acteurs du secteur que notre équipe de reportage a approchés, la situation est alarmante. « Youssouf Togo, la vingtaine, réside au quartier Mamassoni. Ce jeune garçon a abandonné l’école en 8ème année quand il a commencé à consommer des stupéfiants », témoigne la vieille Babintou, voisine de la famille Togo. On l’a conduit deux fois chez les spécialistes de santé mentale car il avait perdu la raison. « A chaque fois qu’il est guéri et qu’il revient à la maison, il replonge, les mauvaises fréquentations aidant. Puis, on le ramène encore au centre de santé », dit-elle.
Le cas du jumeau Lassine Koné est encore pire. Résidant à Wayerma II, un quartier de Sikasso, Lassine est dépendant des stupéfiants. Il passe toute la journée à trainer en ville. Il n’arrête pas lancer des propos incohérents aux passants. La situation financière de sa famille fait qu’elle n’arrive pas à procurer les soins adéquats au jeune homme.
Hamidou Diarra, avant sa mauvaise rencontre avec les stupéfiants, a été brillant dans les classes inférieures. Il vit les affres de la dépendance aux drogues. Selon ses anciens camarades de classe, c’est à l’université, à Bamako, qu’il n’a pas pu échapper à la tentation. La consommation du jeune Hamidou s’accroissait. En fin ce compte, il a abandonné ses études. Aujourd’hui, il est retourné à Sikasso. Régulièrement, ses parents le conduisent chez les spécialistes de santé mentale. Par finir, Hamidou Diarra s’est complètement métamorphosé. Il est devenu taciturne.
SAISIES EN BAISSE – « De novembre 2020 à août 2021, l’Office centrale des stupéfiants (OCS) de Sikasso a saisi plus d’une tonne de cannabis ou chanvre indien, dix comprimés de diazépam, plus de 277 grammes de produits pharmaceutiques contrefaits et 133 comprimés de tramadol » révèle le commandant de l’Antenne régionale de l’OCS, Moumini Bengaly, qui estime que les saisies des stupéfiants est en régression dans la région.

Saisie de chanvre indien (Photo d’archives)
Par contre, au cours des années 2018 et 2019, l’OCS a, respectivement, incinéré plus de 4,5 tonnes de chanvre indien, 1,5 kg de graine de cannabis et plus de 6 500 comprimés de tramadol.
En 2019, la structure a incinéré 7,8 grammes de cocaïne, 12 grammes de crack, 1 gramme de off, plus de 245 kg de cannabis, 389 boules de cannabis, 1,5 kg de graine de cannabis et plus de 300 comprimés de tramadol. « Sikasso est une zone carrefour, car c’est le point de rencontre des Burkinabés, des Ivoiriens et des Guinéens. C’est cela qui explique l’entrée des stupéfiants », explique-t-il. Selon lui, de tous les pays limitrophes, le Burkina Faso est celui d’où arrive au Mali la plus grande quantité de stupéfiant. « Presque chaque jour, les stupéfiants nous proviennent du Burkina Faso », insiste-t-il.
Dans le hit parade des types de stupéfiants consommés à Sikasso, M. Bengaly a cité le tramadol car celui-ci est facile à cacher et il n’a pas d’odeur, suit le cannabis.
Par ailleurs, le chef d’escadron estime que la mauvaise fréquentation, la solitude et le stress sont des raisons qui poussent les jeunes à la consommation de stupéfiants.
La drogue ne concerne pas que la ville. Les stupéfiants sont consommés dans les cercles et même dans les villages de la région. A cet effet, Moumini Bengaly a affirmé que sa structure a tout récemment saisi, à travers la douane et les Forces armées maliennes (FAMa) de Sikasso, 115 briques de cannabis à Yorosso et plus de 30 sacs de cent kilo du même type de drogue à Tièrè.
Se prononçant sur les techniques de dissimilation des stupéfiants, M. Bengaly explique que les dealers et les consommateurs ont mille et une astuces pour cacher la drogue. Ils la dissimulent dans les pneus de voiture, le volant, le tableau de bord et les feux rouges des véhicules. D’autres se servent de poupées, de boîtes de sardine, de mannequins (en plastique) ou de marionnettes. Certains se servent des corps de personnes décédées et de faux cercueils. Les boucles d’oreilles et les seins (par voie chirurgicale) sont fortement utilisés par les femmes.
En termes de stratégies pour contrer le trafic et la consommation dans la région, le chef de l’OCS de Sikasso affirme que ses services reçoivent des informations, en temps réel, sur les consommateurs de stupéfiants dans les cercles et les villages de la région. « Au cours de l’année 2020, nous avons effectué cinquante voyages et interpellé soixante-neuf dealers dont trois ressortissants nigérians, trois Burkinabés, trois Guinéens et soixante Maliens », a annoncé M. Bengaly.
« De novembre 2020 à ce jour, nous avons effectué seize voyages et interpellés dix-neuf individus dont un Burkinabé, un Ivoirien, un Nigérian et quinze Maliens ».
TROUBLES MENTAUX – Le médecin colonel Nayara Sanou est un praticien en santé mentale à Sikasso. Du haut de son expérience de quarante-deux ans, le spécialiste affirme que le phénomène prend de l’ampleur dans la région. Le Dr Sanou révèle qu’il existe bien des liens entre la santé mentale et la consommation de stupéfiants. A cet effet, il a indiqué nombre de ses patients consomment du cannabis afin d’oublier leurs soucis ou encore accéder à un « confort ». « Or, poursuit-il, cette drogue contient du tétrahydrocannabinol qui crée le trouble de comportement chez la personne ». « Le consommateur se croit à l’aise. Il a l’insomnie. Il ne craint rien et il donne libre cours à ses actes » dont les injures et l’agressivité, nous explique Dr Sanou. Selon lui, le chômage, les mauvaises fréquentations expliquent, en partie, la consommation de drogue.
S’exprimant sur ses patients qui consommaient des stupéfiants, à leur arrivée dans son cabinet de soins psychiatriques, le spécialiste en santé mentale a affirmé que sur dix à quinze consultations, en une semaine, il peut avoir deux toxicomanes ou consommateurs de stupéfiants. De septembre 2020 à août 2021, le Dr Sanou indique avoir reçu pas moins de 69 à 80 toxicomanes.
Le traitement de ces patients passe par les étapes de la chimiothérapie médicale, de la sensibilisation du malade, de la psychothérapie et le fait d’empêcher le malade de fréquenter les lieux de vente de la drogue.
Par ailleurs, le spécialiste en santé mentale invite les média à informer les populations sur les méfaits de la consommation des stupéfiants. Toute chose qui permettra de réduire le nombre de consommateur. A ce niveau, notre interlocuteur invite l’Etat à s’impliquer davantage afin d’éradiquer le phénomène, notamment par des actions en direction des producteurs et vendeurs de la drogue.
Au tribunal de Sikasso, le procureur Maky Sidibé rappelle que la consommation de stupéfiants est interdit par l’article 99 de la loi n°01-078 du 18 juillet 2001 portant sur le contrôle des drogues et précurseurs interdits.
Il révèle que la juridiction de Sikasso a enregistré, l’année dernière, quarante-quatre personnes détenues pour consommation et détention de stupéfiants.
MFD (AMAP)