les cours d’eau débordent et la situation hydrologique du Mali inquiète

Par Babba B. COULIBALY

Bamako, 8 oct (AMAP) La saison des pluies de cette année est particulièrement dévastatrice aussi bien au Mali que dans la sous-région. À ce jour, la cote d’alerte de 1967 est est atteinte et même dépassée sur différentes portions des cours d’eau du Mali. On déplore 64 cas de pertes en vies humaines et 148 blessés dans les inondations à travers le Mali. Il y a 187 767 sinistrés dont certains sont logés dans des écoles.

C’est donc désormais une évidence : les cours d’eau débordent et la situation hydrologique du Mali inquiète. De Banankoro, sur le fleuve Niger, à Gourbassi  (Ouest) sur le Falémé, en passant par Kéniéroba et Sélingué sur le Sankarani, Koulikoro, Ségou, Ké-Macina (Centre), Diré et Ansongo (Nord) sur le Niger, l’alerte critique aux crues est déjà lancée depuis des semaines. La montée des eaux est spéculaire de Bamako, la capitale à Sofara (Centre) en passant par Beleny Kegny à San, Banankoro, Ké-Macina et Mopti (Centre).

Selon un communiqué du Centre de coordination et de gestion des crises, les précipitations enregistrées dans la Bande sahélienne et localement au nord des pays du golfe de Guinée (Niger, le Burkina Faso, le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Nigeria et la Guinée Conakry) ont été supérieures de 120 à 200% aux moyennes de ces cinq dernières années. La situation hydrologique le long des fleuves Niger et Bani est marquée par la poursuite de la montée des niveaux d’eau. Une situation qui provoque déjà des débordements des eaux du cours normal par endroits. Les seuils d’alerte sont dépassés notamment à Bamako. Plusieurs zones de la capitale sont mises en vigilance rouge, indique le Centre de coordination et de gestion des crises. Il s’agit de Kalaban Coro, sur toute la partie de la station de pompage de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP), Djicoroni para, de Badalabougou (sur toute la zone située entre le palais de la culture et l’ancienne ambassade du Sénégal), de la Cité du Niger surtout la zone de l’hôtel Mandé, de Sotuba zone industrielle, de la Corniche du cinquantenaire (aux alentours de la brigade fluviale).

Autres localités concernées : Koulikoro (partie avale de la brigade fluviale, le village de Diarrabougou), Ségou (village de Sekoro et quartier Somono), San (Bélény Kegni. Goukoro), Djénné (Sy, Touara, Soala), Mopti ville (zone périphérique de la confluence Ban/Niger), Diré, Tombouctou (Koryoumé), Banankoro, Ké-macina et Diafarabé.

A cet égard, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, secrétaire permanent du Comité interministériel de gestion des crises et des catastrophes, invite « les populations à l’évacuation des zones riveraines car la montée continue et les apports d’eau sont très importants. »

Pour mieux appréhender la situation actuelle, l’analyse des spécialistes de l’hydraulique comme le Dr Abdrahamane Sylla, spécialiste en hydrologie et observateur des cours d’eau, assure que les risques de débordement et d’inondations sont réels. « La montée des eaux continue avec une cadence très importante, ce qui présage des risques d’inondations dans les semaines à venir », alerte-t-il.

Selon lui, la situation hydrologique particulière de cette année a été prédite par les services météorologiques annonçant que cette année, l’hivernage sera marqué par une pluviométrie exceptionnelle. « Ainsi, à ce jour, explique-t-il, la cote d’alerte est dépassée de 20 cm à Bamako. « Ce dépassement va continuer. Il faut noter que Banankoro (Kangaba) constitue la première station d’observation du fleuve Niger à son entrée sur le territoire malien à partir de la Guinée. À ce jour, le niveau de montée d’eau à Banankoro est estimé à 744 cm contre 508 cm en 2023, 691 cm en 2018 et 712 cm en 1967. Le seuil d’alerte étant fixé à 750 cm », explique notre interlocuteur.

De la réunion du Comité interministériel de gestion de crises et catastrophes, tenue le 19 septembre dernier au Centre de coordination et gestion des crises (CECOGEC), il ressort un cumul de 377 cas d’inondations depuis le début de l’hivernage, 6 cas de vents violents, 8 cas de foudre, 30 209 cas d’effondrements et 32 822 cas de maisons à risque d’effondrement ou endommagées. Cette situation a engendré 187 767 personnes sinistrées, soit 53 417 hommes, 58 676 femmes et 75 674 enfants. On déplore 64 cas de pertes en vies humaines et 148 blessés.

SEUIL D’ALERTE – Il ressort du bulletin d’information des services hydrauliques qu’à Kénieroba, à la confluence Sankarani/Niger, le niveau d’eau actuel est estimé à 608 cm contre 428 cm en 2023, 647 cm en 2018 et 650 cm en 1967, alors que le seuil d’alerte est de 650 cm. Quant au barrage de Sélingué, toujours sur le Sankarani, le niveau d’eau est estimé aujourd’hui à 346,48 m contre 346,50 m requis. À Bamako, sur le Niger, le niveau d’eau est estimé à 390 cm contre 393 cm en 2018 et 390 cm en 1967, le seuil étant de 380 cm, soit un dépassement de 10 cm.

À Kayes sur le fleuve Sénégal, le niveau de l’eau est de 752 cm contre 379 cm en 2023, 587 cm en 2022 et 976 en 1967, alors que le seuil est fixé à 859 cm. À Gourbassi sur la Falémé, le niveau d’eau est aujourd’hui de 650 cm contre 377 cm en 2023, 444 cm en 2022 et 538 cm en 1967.

Dr Sylla indique que cette situation présage divers types d’inondations, notamment les celles par la formation de crues torrentielles suite aux fortes pluies, les inondations par le ruissellement urbaine et agricole mais aussi les inondations par les montées d’eau ou celles liées à la crue du fleuve.

Notre interlocuteur signale aussi les apports d’eau qui viennent toujours de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, de façon générale des pays voisins. Pour cause, les fleuves sont interconnectés entre les pays.

Parlant des lâchers d’eau qui ont commencé, il y a un mois, au niveau de différents barrages, notre interlocuteur explique que le processus se fait à travers un mécanisme bien maîtrisé par les services hydrologiques. « Ici, le mécanisme est adossé à des calculs scientifiques appropriés. Lorsqu’on lâche au niveau de Sélingué, ces services ont des équipements adéquats à Bamako, Koulikoro et ailleurs qui permettent en permanence de suivre le niveau de l’eau. Ils savent exactement, sur le long du fleuve, quel est l’impact du volume lâché et apprécient son évolution en fonction de son impact et de leurs attentes », révèle-t-il.

« Les lâchers, c’est pour sauver le barrage. Il y a une cote maximale que l’eau ne doit pas dépasser qui est de 349 m et, actuellement, nous sommes à la cote 346 m dans le barrage de Sélingué. La montée d’eau est de 25 cm par jour, en une semaine le barrage est plein donc d’où la nécessité de procéder à ses lâchers », explique l’expert.

Le spécialiste ajoute que les lâchées d’eau sont surtout très bénéfiques pour les usagers du fleuve, notamment les pêcheurs. Cela permet aux poissons de quitter l’amont du fleuve pour venir à l’aval du barrage.

BBC/MD (AMAP)