Par Moussa M. DEMBELE
Bamako, 06 août (AMAP) Il est 19 h 30 environs. Bourama Coulibaly n’est pas encore arrivé chez lui. Pourtant, sa femme dit qu’il est en vacances depuis le mois de mai. Le professeur d’histoire et de géographie, qui sert dans une école privée de Tiéguena, dans la Commune de Kalaban-Coro, Cercle de Kati, a passé toute la journée sur un chantier de fabrication de briques.
Depuis plus d’un mois, il travaille dans ce domaine. « Pendant les vacances, je n’ai d’autres choix que de me lancer dans les travaux durs. Parce que la profession d’enseignant du secteur privé ne paie pas pendant cette période, alors que nous avons des familles à prendre en charge », se plaint ce père de 4 enfants, l’air épuisé.
Selon lui, les promoteurs de ces écoles ne se soucient pas des conditions de vie de leurs employés. Il estime que les écoles privées jouent un rôle primordial dans l’éducation dans le pays, en comblant le vide laissé par l’État qui, malheureusement, n’a de moyens pour inscrire tous les élèves et étudiants dans les établissements publics. Et ce cadre pense que les enseignants qui évoluent dans ce secteur, méritent une considération.
Pendant les grandes vacances, les écoles sont fermées. C’est une période de repos pour les acteurs de l’éducation. Beaucoup de maîtres ou professeurs d’enseignement mènent d’autres activités pendant ces trois mois de vacances pour faire face aux besoins de leur famille. Les promoteurs d’écoles privés ne payant pas de salaire en cette période creuse. Certains enseignants du secteur privé changent de métier. Ils se convertissent dans d’autres activités pour gagner leur pain quotidien. Car, pendant les vacances qui s’étendent sur trois mois, si la rentrée scolaire est maintenue en octobre, ces cadres du secteur privé ne reçoivent rien comme salaires. En général, les promoteurs d’écoles ne payent pas de salaire durant ces mois de repos qui ne sont pas pris en compte dans leurs budgets respectifs.
Pour pouvoir joindre les deux bouts, ces maîtres ou professeurs deviennent des vendeurs de circonstance, conducteurs de mototaxis, chauffeurs ou apprenti-chauffeurs, plombiers, soudeurs, réparateurs de motos ou de radios, dans une palette de petits métiers parmi tant d’autres.
Dans une localité, l’enseignant, qui est prêt à tout faire. se fait, ironiquement, attribuer le sobriquet sarcastique de « L’homme aux douze métiers ». Pour lui, peu importe l’activité : l’objectif est d’avoir une stabilité financière, afin de faire face aux besoins de la famille qui ne prennent pas de vacances.
Certains enseignants estiment que l’Etat peut faire « un geste » en direction de ceux du secteur privé, en prenant en charge une partie de leur salaire, si les conditions le lui permettent. Il y a un précédent : en 1991, le gouvernement de Transition a pris en charge les salaires des six premiers mois des vacataires du privé.
Au cours de nos conversations, un appel téléphonique interrompt la discussion. C’est un maçon qui sollicite Bourama Coulibaly pour une activité le lendemain. « Je ne veux plus travailler comme manœuvre cette année, C’est une exploitation. Non seulement, le travail n’est pas payant mais, les maçons ne nous respectent pas », s’est-il plaint
Après avoir raccroché, l’enseignant précise qu’il préfère aller mouler des briques, en signant un contrat avec un particulier, que d’évoluer près des maçons sur les chantiers. « Le salaire d’une journée varie de 2 500 à 3 000 Fcfa alors que la fabrication des briques me fait gagner 5 000 voir 10 000 Fcfa par jour », dit M. Coulibaly.
Cette année, le natif de San a un calendrier bien établi, pendant cette période sans salaire. En plus de la fabrication de briques, il veut aider son grand-frère à concrétiser un projet agricole portant sur le maraîchage, l’élevage et la pisciculture.
Après avoir obtenu son diplôme, en 2022, à l’Institut de formation des maîtres (IFM) de Tominian, l’enseignant en Histoire-Géographe a tenté le concours d’entrée dans la Fonction publique des Collectivités territoriales. Sans succès. Il suggère que « l’État change de politique afin d’intégrer plusieurs enseignants de formation dans la Fonction publique », surtout que le besoin s’y fait énormément sentir à tous les niveaux.
L’histoire de M. Coulibaly est celle des conditions de vie de plusieurs enseignants du secteur privé pendant les trois de repos.
Contrairement à son collègue, Lamine Togola, enseignant généraliste de formation, n’a pas d’activité précise pendant les vacances. Entre les chantiers et autres business, il gagne son pain quotidien. « Précisément, je n’ai pas une seule activité pendant ce moment. Parfois, je fais la main-d’œuvre, tantôt je mène de petites affaires ou business », soutient Togola.
« Pendant cette période, je rame, financièrement parlant. La plupart de mes collègues finissent par s’endetter. Si certains ont d’autres métiers, moi, personnellement, je n’en ai pas. Donc, nous sommes obligés de fréquenter les chantiers de construction pour pouvoir subvenir aux besoins de nos familles. D’autres vont dans les usines ou encore se lancent dans le secteur du transport en commun » renchérit-il.
Oumar Diallo enseigne, également, l’Histoire et la Géographie dans une école privée à Kabala, la zone universitaire. Nanti d’une Licence en Lettres modernes, le jeune enseignant a, à l’instar de certains de ses collègues, tenté le concours d’entrée dans la Fonction publique mais, la chance ne lui a pas encore souri. Il n’échappe pas à la condition des enseignants du privé, à cause de son statut.
« Pendant les vacances scolaires, ma situation en tant qu’enseignant du secteur privé devient très précaire. Comme beaucoup de mes collègues, je ne perçois aucun salaire durant cette période, puisque mon contrat ne couvre que les mois d’enseignement, c’est-à-dire ceux de l’année scolaire », fait savoir le jeune enseignant.
Pour joindre les deux bouts, il est impératif pour M. Diallo de se lancer dans d’autres activités génératrices de revenus. « Je suis obligé de chercher des petits travaux ou d’organiser des cours de soutien, parfois même dans des conditions très précaires », fait-il noter.
« Pourtant, ces vacances pourraient être une occasion de repos ou de formation, mais le manque de moyens m’empêche, souvent, de profiter de ces moments pour chasser le stress, le spleen, la fatigue », regrette-t-il.
Ce natif de la Région de Koutiala se désole : « Ce qui me déçoit le plus, c’est l’attitude de certains promoteurs d’école. J’ai le sentiment qu’ils ne se soucient pas vraiment de nos conditions de vie. »
- Diallo poursuit, en affirmant que ces promoteurs d’écoles privées profitent de l’engagement de leurs employés pendant l’année, mais une fois les classes fermées, ils les laissent à eux-mêmes, sans aide, ni considération. « Je pense qu’un bon promoteur devrait comprendre que le bien-être des enseignants est essentiel pour assurer une éducation de qualité », assure-t-il.
Quant à Moïse Sagara, Professeur de lettres à l’École normale supérieure de Bamako (ENsup), il intervient dans un lycée privé à Zantiguila, sur la route de Ségou, dans la Commune de Zan Coulibaly.
Si d’autres exercent des activités génératrices de revenues à Bamako, M. Sagara préfère, de son côté, rejoindre ses parents au village pour les aider dans les travaux champêtres. « Pendant les vacances, je vais au village auprès de mes parents pour le travail de la terre. En plus, je pratique l’élevage mixte, c’est-à-dire un peu de tout (la volaille, les caprins, ovins et la pisciculture) pendant les trois mois des vacances », a-t-il souligné.
Exceptionnellement, Yaya Sidibé est payé pendant les 12 mois de l’année. « Les enseignants du privé connaissent beaucoup de difficultés, comme la non affiliation à la sécurité sociale (pas d’allocation de l’Institut national de prévoyance sociale (INPS), pas d’Assurance maladie obligatoire (AMO). « Beaucoup d’enseignants sont confrontés à ce problème de salaire, mais quelques-uns, chanceux ont des contrats qui couvrent les trois mois de vacances. J’en fais partie. Même là, c’est très difficile : le salaire est très peu et plus grave, ces derniers temps, il connait un retard de paiement sur les mois accumulés.
Dramane Traoré est un sortant de l’Ecole normale de l’enseignement technique et professionnel de Bamako (ENETP). Ce titulaire de Master2 dispense des cours dans des écoles privées. Il affirme ne rien faire pendant les trois de vacances scolaires pour gagner de l’argent.
Par ailleurs, M. Traoré souligne : « la majorité des écoles où j’enseigne sont à jour de paiement. Par contre, d’autres sont en retard dans le paiement. Comparativement à l’année dernière, j’ai reçu le minimum (un salaire de 6 mois) dans toutes mes écoles. Sinon l’année dernière, j’ai vécu la pire expérience en a matière, car deux écoles ne m’ont pratiquement rien donné, même un kopeck, comme salaire durant l’année écoulée.
« J’avais plus de 400 000 Fcfa d’arriérés l’année dernière et je n’ai pu percevoir que trois mois de salaires d’une de ces deux écoles. Nous sommes souvent confrontés à une situation de non paiement pendant les deux derniers mois de l’année », dit-il, amer.
M M D