Par Anta CISSE
Bamako, 07 juil (AMAP) Dans un village malien, un conte ancien relate comment la lune, émue par les pleurs d’un enfant maltraité par sa marâtre, le recueillit pour le protéger. Cette légende, transmise de génération en génération, résonne encore aujourd’hui dans les familles recomposées, où tensions et liens affectifs se mêlent.
Dans la capitale malienne, Bamako, les familles recomposées redessinent ainsi les contours de la parentalité et de l’amour. Entre traditions, défis émotionnels et quête d’équilibre, ces foyers révèlent des réalités complexes où le cœur doit parfois primer sur le sang. À Sénou, Cheick Diabaté, chauffeur de taxi, vit avec sa nouvelle épouse et ses deux enfants issus d’une précédente union. « Ce n’est pas toujours facile, mais je les considère comme les miens », confie-t-il. Surnommé « le bon mari » dans son quartier, il s’efforce de maintenir l’harmonie entre son rôle d’époux et celui de père adoptif.
D’autres vivent des situations plus complexes. Un homme, préférant l’anonymat, partage son désarroi : « J’aimais ma femme avant son premier mariage, mais ses parents m’avaient rejeté pour raison de caste. Aujourd’hui, je l’ai épousée, mais je n’arrive pas à accepter son fils. Il me rappelle son ex-mari et notre couple en souffre. » L’adage bambara, Tiè tè tiè de fè (« l’homme n’aime pas l’enfant d’un autre »), semble refléter son dilemme.
Kadiatou Coulibaly, jeune femme d’une vingtaine d’années, fait face à un rejet similaire. Mariée à un veuf, père de deux enfants, elle est confrontée à l’hostilité de l’aîné, âgé de 15 ans. « Il m’appelle ‘la femme de mon papa’, jamais ‘tata’. J’essaie d’être patiente, mais c’est dur », avoue-t-elle.
Sabou Sidibé, enseignante, raconte une expérience différente. Son mari, résidant à l’étranger, ne passe qu’un mois par an à Bamako. Lorsqu’il a demandé que son fils de 11 ans n’entre pas dans le salon pendant qu’il s’y reposait, elle l’a fermement recadré : « Le salon est pour tous. Je suis à la fois le père et la mère de mon enfant. » Depuis, les tensions ont cessé.
Les aînés ne sont pas épargnés. Une femme de 60 ans a quitté le domicile conjugal, incapable de cohabiter avec les épouses des fils de son mari. De même, Abdoulaye Keita, lycéen de 17 ans ayant perdu sa mère, confie : « Ma belle-mère favorise ses enfants. Je fais semblant de ne rien voir, mais ça fait mal. »
À l’inverse, Aïssata Ly, 17 ans, voue une admiration sans borne à son beau-père. « Il m’a envoyée à l’école alors que mon père m’avait oubliée. C’est mon héros, et je prie pour pouvoir lui rendre, un jour, ce qu’il m’a donné », dit-elle, l’émotion palpable.
Dr Morifing Doumbia, sociologue, explique que les familles recomposées, façonnées par les divorces, remariages ou veuvages, sont devenues courantes au Mali. « Le lien biologique ne suffit plus. Ce qui compte, c’est la qualité des liens affectifs », souligne-t-il. Les femmes, souvent au cœur de ces dynamiques, jouent des rôles multiples : mères, belles-mères, médiatrices. Les enfants, eux, doivent s’adapter à de nouveaux parents, demi-frères ou de nouvelles règles. « Cela demande du temps, de l’écoute et un amour sincère, qui transcende le sang », conclut-il.
Bâ Awa Dembélé, traditionnaliste de Ségou, rappelle une règle bamanan : « Une nouvelle épouse doit faire preuve de retenue et n’a pas de droits directs sur les enfants d’une autre, sauf mandat clair. » Le non-respect de cette règle, selon elle, alimente les tensions.
Face à ces défis, la société malienne doit repenser la famille recomposée. En cultivant la patience, le respect et l’amour, ces foyers peuvent devenir des espaces où chacun trouve sa place, prouvant que la famille se construit avant tout par le cœur.
AC/MD (AMAP)


