Faire le marché : La croix et la bannière pour ménagères

Par Fadi CISSE    

Bamako, 04 sept (AMAP) Jeudi, il est presque 6 heures du matin. Une fine pluie arrose le quartier Samanko II, dans la Commune du Mandé. Je suis la première personne à me réveiller dans la famille Touré. Je fais ma toilette, ma prière de l’aube, direction la cuisine pour préparer le petit-déjeuner.

Je pose une marmite sur une bouteille de gaz. À peine mis en marche, le feu baisse progressivement jusqu’à disparaître. Heureusement, on avait du bois de chauffe en réserve dans la cuisine.

En principe, trois à quatre tas suffisent pour faire la bouillie, le petit-déjeuner de ce matin. Mais, attention ! Il ne faut pas vite se réjouir. En cette saison des pluies, les fagots de bois sont humides. Hélas ! Je dois surmonter cette difficulté. Le feu mettra une vingtaine de minutes avant de prendre. Au prix de gros efforts physiques, j’y arrive, avec ou sans éventail. La fumée qui s’en est suivie, a provoqué chez la cuisinière un écoulement nasal et des larmoiements. Une heure après, la bouillie est prête et servie aux membres de la famille.

Quelques temps plus tard, je prends ma douche pour ne plus sentir la fumée avant de me rendre au marché du quartier qui semble être le moins cher. J’enfile une belle robe africaine, chausse des ballerines, après m’être parfumée, je prends le chemin avec ma petite sœur Aïda, âgée de 14 ans.

On sort la moto sans oublier notre ami, en cette période, notre imperméable. En ce moment, il était déjà 8 h et un quart. Ce marché situé à une dizaine de minutes de notre domicile s’appelle « Sougoudjan », en français (le marché éloigné ou au lointain). Il accueille hommes et femmes.

Sur place, il est déjà plein de monde, comme « les dents d’une bouche. » Au rythme de de tam-tam, des vendeurs de friperies chantent et dansent pour accrocher les clients, comme au grand marché de Bamako (Suguba). Les cris des vendeurs ambulants submergent les lieux, en cette période de vacances. Plusieurs enfants aident leurs parents commerçants en tenant des plateaux  en équilibre sur leur tête, parcourant les coins et recoins du marché afin d’écouler leur marchandise.

En ce matin, panier en mains, j’avais, en tout et pour tout, 4 000 Fcfa comme prix de condiment, pour une famille de douze personnes, sans compter les imprévus, solidarité et hospitalité obligent. Cette nourriture servira, aussi, pour le dîner. Mais (re) attention !!! Comme complément, j’ai caché 1 000 Fcfa derrière la pochette de mon téléphone, en cas de besoin, vue la cherté du marché.

Cap pour l’achat des condiments pour la sauce d’oignons à la viande, communément appelé en Bambara (Nandji Sogoman). D’abord, on arrive chez le vendeur de viande Yakou où le prix du kilogramme de viande, avec os, est notoirement connu de tout le monde : 3 500 Fcfa. Il me sert un demi kilo et pour 500 Fcfa à part, en tout 2 250 Fcfa. Un peu plus loin, nous nous dirigeons chez la vendeuse d’oignons. « Combien fait le kilo ? Elle répond, 550 Fcfa pour les plus petits et 600 Fcfa pour les gros. Je négocie.  Chère belle maman, réduisez un peu le prix, s’il vous plaît. J’ai besoin d’un kilo de gros oignons. », dis-je.

Après d’âpres et longs échanges, la vendeuse Aïssatou accepte de me céder l’oignon à 550 Fcfa, « compatissante et solidaire », de la cause des femmes sur le fait que l’argent que donnent les chefs de famille n’est jamais suffisant. Satisfaites de notre achat, Aïda et moi, nous nous dirigeons vers les vendeuses de légumes frais.

A la maison, il faut absolument quelques légumes dans la sauce car les convives en raffolent, exceptée l’aubergine africaine. Une longue file s‘est formée devant l‘étable de la vendeuse Maïmouna aidée par ses filles. Elle est la meilleure du marché et connue pour la qualité de ses légumes et, aussi, leur prix abordable. Après quelques bousculades, on a pu se frayer une place. La table est remplie de toutes sortes et de toutes les couleurs de légumes. La vendeuse nous remet une assiette où mettre les condiments.

Du chou, de la tomate, du piment, de la courge, de l’aubergine, du gombo frais, des céleris et persils, du poivron etc. Le tout nous a couté 1 000 Fcfa. Ce n’est pas encore fini. Il nous reste les condiments secs. Là, également, on se fait une place chez Adja qui semble être la moins chère du marché. Ici, on achète de la tomate concentrée à raison de 350 Fcfa, du soumbala, de la poudre de poivre, du poisson sec, des épices d’assaisonnement, de la poudre de gombo, de l’ail, du laurier de l’huile, de l’oignon sec etc.

Cela m’a couté 1 200 Fcfa. Et de 4 000 Fcfa, je suis à 5 000 Fcfa, Sans surprise ! Et sans l’argent du charbon de bois pour cuire la sauce ainsi que le bois de chauffe pour préparer le riz. Ceux qui sont à la maison sont tous humides.

De retour à la maison, il est déjà 10 heures passées de quelques minutes. Je me change, cherchant quelques pièces dans la chambre pour aller acheter du charbon et du bois pour aussitôt commencer à cuisiner.

Malheureusement, la chance n’est pas de mon côté ce jour. Que faire ! Le chef de famille a déjà donné son prix de condiment qui est déjà fixé. Après expliqué la situation à la maman, elle me donne 500 Fcfa pour acheter 300 Fcfa de charbon et 200 Fcfa de bois. « Il faut vous débrouiller avec cela, coûte que coûte. Pendant des années, je me suis toujours débrouillée ainsi pour vous faire à manger. Ton père pense que ce qu’il donne est toujours suffisant. Il ignore la cherté du marché et ce qu’on ajoute à l’argent de popote pour manger une bonne sauce », éructe-t-elle.

Chaque femme au foyer investit au-delà du prix de popote, dans l’ignorance des hommes. Et celles qui n’ont pas de quoi ajouter, sont dénigrées dans la famille, selon elle.  Souvent, il arrive que sa nourriture soit boudée par les membres de la famille. « Bien évidemment, la sauce ne peut être agréable à manger car l’argent qu’elle a perçu n’est pas assez pour faire de la bonne sauce », argumente la doyenne.

Faut-il alors lancer un appel à tous ces chefs de famille, afin qu’ils prennent conscience des difficultés que vivent les ménagères pour les satisfaire ? Si chacun fait, ne serait-ce, qu’un simple geste financier, sous forme de rallonge du prix de popote, les femmes auront moins de peine à joindre les deux bouts pour faire la cuisine.

FD/MD (AMAP)