Par Mohamed D. DIAWARA
Bamako, 27 avr (AMAP) Faladié, en Commune VI du District de Bamako, en ce mois de Ramadan, le soleil darde ses rayons brûlants sur les hommes. À proximité d’une voie bitumée, quelques personnes non voyantes cherchent, à l’aide d’une canne, leur chemin. Certaines se rendent à l’Institut national des aveugles du Mali (Inam). Dans la cour de cet établissement, un calme plat règne. Rosalie Kangama, est l’une des 17 élèves non voyantes du lycée Louis Braille de l’Inam. En raison de difficultés d’accès à la documentation scolaire en braille, la jeune fille de 21 ans est venue poursuivre ses études à Bamako.
Auparavant, elle était à Ségou, dans le Centre du Mali, à quelque 220 km de la capitale. Cette année, elle est en classe de Terminale langues et lettres. «Là-bas, il faut attendre que les documents viennent à Bamako pour la transcription. Pendant mes années au second cycle, je me rapprochais des camarades voyants. Ils lisaient les documents pour que je comprenne. Cela pouvait durer des semaines», se rappelle Rosalie. Et de se réjouir de l’accès aux documents en anglais et allemand à Bamako. « Mais, regrette Rosalie, l’accès à la documentation en littérature est très difficile ». « Un non voyant sans document, dit-elle, doit suivre avec grande attention les explications du professeur ». «Mes parents m’aident à prendre en charge les frais de transcription des documents. Mais, il y a beaucoup de livres relevant de la littérature qui sont inaccessibles», estime la jeune fille. Avant d’ajouter qu’elle a peur qu’à l’université, ses études soient fortement perturbées.
Le proviseur de cette école secondaire inclusive, Abdoulaye Samaké, indique que les difficultés des non voyantes à accéder à la documentation impactent sérieusement leurs résultats scolaires. Il propose que le papier braille soit financé pour la transcription de tous les documents enseignés en braille.
Nacouré Koné est l’une des 113 élèves non-voyants du 1er cycle de l’Inam. Internée depuis sa petite enfance, elle ne rentre chez ses parents à Djicoroni Coura (Commune du Mandé) que les week-ends. En classe inclusive de 5è année, léger foulard sur la tête, cette ainée de sa famille lit un texte en passant son doigt sur un papier braille. L’adolescente de 13 ans aux yeux blanchis par la cécité, salue les efforts consentis par ses enseignants pour que les élèves accèdent aux livres. « Grâce à cette documentation, on lit et parle le français», confie Nacouré Koné d’une voix sereine. Ajoutant que ses connaissances seront davantage renforcées si elle avait la possibilité d’accéder à plus de documents scolaires. Mme Coulibaly Fily Sangaré, l’institutrice de Nacouré Koné, explique qu’il faut investir énormément dans la transcription des documents et aussi la formation en informatique. « Si les bouquins sont transcrits ou en version électronique, assure-t-elle, les filles peuvent autant exceller dans les disciplines que leurs camarades voyantes ».
La directrice en charge de cet établissement primaire, Mme Sacko Maïmouna Coulibaly, explique que pour avoir les documents en braille, les enseignants déposent, chaque vendredi, les textes ordinaires ou textes en noir au centre de reprographie de transcription en braille de l’Union malienne des aveugles du Mali (Umav). Et d’indiquer que l’abondance de documents à transcrire ne permet pas au reprographe de les mettre à disposition à temps.
La pédagogue déplore cet état de fait qui oblige les élèves à attendre deux à trois jours pour avoir leurs leçons. Cette situation n’est que la face visible de l’iceberg des difficultés liées à l’accès à la documentation scolaire en braille. Il y a, aussi, l’absence de guides du maitre en braille (livres servant à la préparation des leçons) pour les enseignants déficients visuels. David Coulibaly, enseignant voyant à l’Inam, explique que ces guides attendent toujours d’être transcrits. « Et cela, déduit-il, affecte le bon déroulement des cours ».
INSUFFISANCE D’IMPRIMANTES BRAILLE – Le président de l’Umav, Hadji Barry, également membre du Conseil national de Transition (CNT), précise que le Mali compte deux centres de reprographie de transcription de l’écriture ordinaire en braille, situés respectivement à Bamako et Gao (Nord). Ces reprographies ont été offertes par la ville d’Angers, (ville française jumelée avec Bamako) et l’ONG Sightsaver. « Dans le cadre de la vulgarisation, explique-t-il, l’Umav est parvenue à transcrire beaucoup de livres scolaires en format adapté grâce à l’accompagnement de Sightsaver ».
Hadji Barry invite l’État à doter les bibliothèques en documents braille pour faciliter leur accès. « Lors des examens, regrette-t-il, l’Umav est le seul établissement où les sujets des examens sont transcrits ». Il estime que l’État doit disposer de plusieurs machines de reprographie et d’agents formés à leur utilisation en vue de permettre aux élèves non-voyants de commencer les épreuves en même temps que les élèves voyants.
Notre interlocuteur indique que le Mali compte 565 élèves et étudiants non-voyants parmi lesquels plus de 190 filles. La plupart d’entre eux sont obligés de faire recours à leurs camarades voyants pour enregistrer les textes sur leur téléphones ou les transcrire en braille. Selon le président de l’Umav, le ministère de l’Éducation nationale doit accorder une subvention à l’Inam pour faire face à la documentation des non voyants. Il signale que la Direction nationale de l’enseignement préscolaire et spécial (DNEPS) met des enseignants et du matériel didactique spécialisés (les feuilles braille, les tablettes et les poinçons) à leur disposition. Selon Hadji Barry, l’éducation pour tous passe par l’éducation des enfants handicapés. « C’est pourquoi, estime-t-il, des efforts doivent être faits en termes de documentation en braille ».
Pour mesurer l’importance de l’accès des filles non voyantes à la documentation scolaire, nous avons réalisé du 22 au 26 avril dernier une enquête à travers l’outil de collecte de données « SurveyMonkey ». Les participants, au nombre de 81 dont 27% de femmes, sont des personnes handicapées, celles travaillant avec les personnes handicapées, des acteurs humanitaires et non humanitaires ainsi que des journalistes.
Cette enquête a été réalisée avec l’appui technique du Bureau de coordination des affaires humanitaires au Mali (OCHA), du Cluster éducation Mali, d’Humanité inclusion et de la Conseillère principale en genre dans l’action humanitaire inter agences-GenCap Mali, Anne-Judith Ndombasi. Selon 94% des personnes intervenues, l’insuffisance ou le manque d’accès des filles non voyantes à la documentation scolaire en braille entrave leur droit à l’éducation. Le phénomène peut mettre en péril la qualité de scolarisation reçue par les non voyantes, causer l’abandon prématuré de l’école, la réduction des opportunités de progresser vers les niveaux d’enseignement secondaires et supérieurs y compris la baisse de niveau d’instruction ou de culture générale.
Sur les 81 personnes sondées, 71 sont unanimes que cette insuffisance d’opportunités d’apprentissage adaptées à leurs besoins les exposent à une forme de violence basée sur le genre (VBG). Cette situation pourrait engendrer l’exclusion totale, l’augmentation des inégalités sociales, le sentiment d’infériorité, la grande dépendance aux autres en lecture et l’atteinte à l’autonomisation socioéconomique de ces filles.
En ce qui concerne les avantages de la documentation scolaire en braille, l’enquête a recensé, entre autres, l’amélioration des perspectives d’emploi, la réduction des inégalités, l’intégration des filles non voyantes au sein de leurs paires, la réussite scolaire, la diminution de l’abandon scolaire.
Par ailleurs, les participants recommandent la promotion de l’éducation inclusive, la mise à disposition de ressources numériques, le plaidoyer auprès des autorités scolaires au Mali en faveur de l’accès, des offres éducatives adaptées aux besoins des filles non voyantes et une insertion réussie dans le milieu scolaire et communautaire.
APPEL AUX BONNES VOLONTÉS – Pour la réussite de cette action, le reprographe de l’Umav, Mahamadou Kouyaté, affirme qu’il faut, au minimum, cinq imprimantes braille appelées aussi embosseuses. «On n’a que deux imprimantes fonctionnelles», se désole-t-il, avant de faire savoir qu’il est chargé de faire la transcription des documents du premier cycle, second cycle, lycée, de l’université et ceux des ONG. « Pendant les périodes des examens, dit le technicien, il travaille de 7 heures 45 à environ 2 heures du matin ».
M. Kouyaté souhaite que les bonnes volontés s’impliquent pour faciliter l’accessibilité des déficients visuels à l’ensemble des documents utilisés. « Cela, poursuit-il, requiert l’équipement des centres en instruments de braille et en ordinateurs ».
De son côté, Youssouf Diakité, non-voyant et expert en informatique pour non-voyants est convaincu qu’il y a un moyen pour faciliter l’accès des filles non voyantes à la documentation scolaire. Selon lui, il faut les initier à des ordinateurs contenant des logiciels parlants. « Ces applications, explique-t-il, permettent aux non-voyants d’être renseignés sur l’écriture de l’écran ». «Si l’élève détient le document en version électronique, la machine peut le lire pour lui», explique l’expert en informatique. Il propose de créer une bibliothèque virtuelle et rendre accessible les ordinateurs et les logiciels spécialisés pour faciliter l’accès des personnes non voyantes à la documentation.
La directrice de la DNEPS, Mme Coulibaly Maria Sangaré, révèle que sa structure, en collaboration avec des partenaires, est sur un programme de relecture du document sur l’éducation inclusive. « Ces réflexions, explique-t-elle, permettront de prendre en charge la documentation en braille ». Selon Mme Coulibaly, l’adoption, le 1er septembre 2021, du décret fixant les modalités d’application de la loi relative aux droits des personnes vivant avec un handicap favorise l’aboutissement de ce programme.
MDD/MD (AMAP)