
Certaines femmes ont décidé d’assumer sa pilosité, en affichant ouvertement leur barbe.
Par Djènèba BAGAYOKO
Bamako, 13 sept (AMAP) Un homme avec la barbe n’étonne point personne, mais une femme barbue ne laisse personne indifférent. En réalité, une femme avec la barbe est le fruit d’un phénomène hormonal appelé «l’hirsutisme». Si certaines dames assument leur pilosité faciale, d’autres en souffrent et implorent la compréhension des personnes qui les stigmatisent et les méprisent, en les abreuvant de propos moqueurs et rageurs.
Les médecins expliquent le phénomène comme la résultante d’une production élevée de testostérone chez la femme. Cette production excessive peut être d’origine génétique ou due à la prise excessive d’hormones ou de certains médicaments.
Selon le médecin Adama Diarra, du Centre de santé de référence de la Commune III du District de Bamako (CSREF), l’hirsutisme autrement dit hyperpilosité provoque la poussée et la présence de poils sur le menton des femmes, « un phénomène relativement courant qui touche entre 5 et 15% des femmes au Mali. »
« L’hirsutisme se caractérise par des poils épais et drus chez la femme sur des zones où les poils sont normalement minimes ou inexistants. À savoir, le visage, le cou, la poitrine, le dos, les épaules et le ventre», explique le spécialiste. Il précise, par ailleurs, que l’hirsutisme apparaît le plus souvent lors de la puberté mais peut, également, survenir plus tard dans la vie d’une femme.
Ce développement des poils peut être plus ou moins visible. Les cas d’hirsutisme sévère sont rares. «En règle générale, l’hirsutisme est provoqué par une production excessive d’hormones masculines (les hormones dites androgènes, telle que la testostérone», précise le Dr Diarra. Et de poursuivre que cela peut arriver durant la ménopause.
Certaines femmes constatent l’apparition de poils sur leur corps (notamment sur le menton et au niveau de la moustache) durant cette période. Le toubib estime, également, que l’utilisation d’un contraceptif hormonal peut également avoir cet effet indésirable.
Par ailleurs, poursuit le spécialiste, l’obésité augmente le risque d’hirsutisme, « car elle renforce la résistance à l’insuline, ce qui entraîne un excès de production d’hormones androgènes chez les femmes obèses. »
Le médecin Adama Diarra précise que lorsque l’hirsutisme atteint un stade avancé, ce phénomène appelé aussi «hyperandrogénie», peut provoquer d’autres signes de masculinisation du corps féminin. Dans ce cas de figure apparaissent des troubles cutanés (acné et production excessive de sébum), des troubles des règles et de l’ovulation, la calvitie, le développement de la musculature et d’une voix grave, l’atrophie du clitoris… On parle alors de virilisme.
En cas d’hirsutisme, un bilan hormonal est généralement recommandé. L’hirsutisme est souvent héréditaire et les antécédents familiaux sont l’une des premières pistes vers lesquelles se tourne le diagnostic médical. « Plus généralement, nous conseillons à ces femmes de venir aux centres de santé en vue de faire des examens et essayer de voir si nous pouvons trouver une solution à leur problème », conclut le médecin.
SITUATION INCONFORTABLE – Voir une femme porter une barbe est une chose surprenante, inhabituelle, qui pousse la société à avoir un regard différent de celui qu’on a sur les femmes sans barbe. Généralement, ces femmes à barbe sont souvent victimes de moqueries, de stigmatisation et de préjugés. Leur visage qui s’apparente à celui d’un homme fait que beaucoup de personnes leur attribuent une mentalité d’hommes. «Les femmes à barbe sont de nature dures de caractère, teigneuses et, parfois violentes, comme les hommes», caricature Adjo Dembélé, une ménagère.
Elle renchérit e: «Ces femmes sont souvent traitées de méchantes. C’est pourquoi, dans nos villages, les femmes à barbe sont traitées, pour la plupart, comme des sorcières car il est inadmissible qu’une femme porte la barbe comme un homme.»
Richard Kamaté, pompiste dans une station d’essence au Quartier du Fleuve dit être moins attiré par les femmes à barbe. «Le premier aspect qui attire les hommes, plus précisément moi, c’est la beauté qui inclut la douceur au toucher de la peau du visage au pied qui doit être lisse débarrassé de tout obstacle. Je ne peux pas partager mon lit avec une femme barbue. Deux barbes dans un même lit, ce n’est pas possible», confie-t-il.
Assanatou Camara, secrétaire de direction, est du même avis. Elle déclare avoir du dégoût : «Ces femmes sont différentes de nous autres. Je me demande comment elles font pour vivre avec leur homme. J’ai de la pitié pour elles. »
« J’ai l’habitude de voir certaines au salon de coiffure pour les épilations et elles déboursent beaucoup d’argent pour se soigner et être coquettes. Mais quelques semaines après, tu les reverras avec leurs barbes encore. Je leur conseille de consulter un médecin le plus tôt afin de détruire la racine de leurs poils», conseille la jeune dame.
L’ampleur de ces préjugés est telle que les femmes à barbe se sentent dans une situation d’inconfort. De fait, il est souvent impossible pour une femme barbu de passer inaperçue dans la rue. Des regards sont posés sur elles de différentes manières leur causant frustrations, humiliations, vexations…
«Nous souffrons dans notre être», témoigne Arama Sanogo, une femme à barbe. «C’est depuis mes vingt ans que ma barbe a commencé à pousser. J’ai vécu l’enfer car j’ai été un sujet de moquerie de mes amis d’écoles et proches. J’étais surnommée la fille barbue. Et ce sobriquet m’est resté collé jusqu’aujourd’hui», raconte-t-elle.
Avec le temps et la maturité d’esprit aidant, Arama Sanogo a pu surmonter ce regard d’enfer et se sent bien dans sa peau aujourd’hui.
BRISER LE TABOU – Comme Arama Sanogo, Aïcha Kanté, a fait le buzz sur les réseaux sociaux en mars dernier, en affichant ouvertement sa barbe. Elle est l’une des rares femmes au Mali qui a accepté de garder sa barbe pour faire face aux préjugés.
Malgré ses efforts visant à surmonter les quolibets et les railleries, elle demeure la cible de plaisanteries de mauvais goût. Cependant, elle n’en démord pas. Loin s’en faut. La demoiselle Kanté (29 ans) est une jeune femme normale qui essaie de vivre sa vie en faisant abstraction du regard des autres sur elle. Cette jeune commerçante est hirsute.
«À l’adolescence, j’ai constaté que ma barbe poussait comme celle des hommes. Au début, je me rasais régulièrement pour qu’elle ne pousse pas parce que cela est très mal vu dans notre société. Une femme avec la barbe est perçue dans notre société comme une malédiction. Avant d’accepter de vivre avec la barbe, j’ai été la cible de moqueries de mauvais goût dans ma vie quotidienne», dénonce la jeune dame. Avant de se dire dépitée que certaines personnes pensent toujours qu’elle fait exprès « pour attirer les regards des gens sur (elle) et d’autres pensent qu’(elle) est un homme qui essaie de se transformer en femme. »
«Peu de personnes comprennent le calvaire que je vis. D’autres me réconfortent en disant que c’est un fait de Dieu si je porte la barbe», dit-elle.
Pourquoi a-t-elle décidé de garder sa barbe comme les hommes ? «Après réflexions, j’ai décidé de garder cette barbe parce que je me plaisais avec ce visage et les membres de ma famille m’ont accompagné dans ce sens. Ils m’aiment comme je suis », répond Aicha
« Il y a beaucoup de femmes barbues qui ont peur de la garder à cause du regard de la société. Et elles souffrent de ce problème parce qu’elles n’arrivent pas à avoir un époux. Les hommes ont très peur des femmes barbues. Aujourd’hui, mon combat est de faire en sorte que les femmes barbues puissent être acceptées dans la société», plaide la jeune femme barbue décomplexée.
Elle invite la population à ne pas l »es stigmatiser et à les accepter comme des êtres normaux même si leur apparence faciale impose une autre image ! »
DB/MD (AMAP)


