Drogue du zombie : La menace sur la jeunesse se profile

Ce stupéfiant de synthèse a pour effets d’inhiber la faculté motrice du consommateur, l’obligeant à des postures désarticulées et des démarches étranges.

Par Jessica K. DEMBÉLÉ

Bamako, 18 juil (AMAP) Depuis quelques temps, des vidéos étranges sont sur les réseaux sociaux montrant des personnes dans des postures désarticulées et des démarches bizarres de morts-vivants dignes d’un film d’horreur hollywoodien. Deux mots sont présents sur les hashtags en bas de ces vidéos : drogue du zombie. C’est une drogue de synthèse, c’est-à-dire fabriquée à partir de molécules chimiques produites clandestinement en laboratoire. Se présentant sous la forme d’un liquide injectable et incolore, elle est de la même famille que la Métamphétamine, l’Ecstasy et la Kétamine qui se différencient des drogues dites naturelles, comme le cannabis et la cocaïne.

En menant nos recherches sur cette drogue, nous avons découvert qu’elle est issue du mélange de la Xylazine avec du Fentanyl. La Xylazine est un sédatif utilisé par les vétérinaires, depuis 50 ans, en guise d’antidouleurs pour les animaux, comme les chevaux ou les lions. Le Fentanyl, quant à lui, est une drogue analgésique, «50 à 100 fois plus puissantes que l’Héroïne et la Morphine», selon une enquête de la chaîne TF1 Info.

Combinées, ces deux substances contribuent au ralentissement du rythme cardiaque et de la respiration à des niveaux dangereux. Après l’avoir injecté, le consommateur perd, durant des heures, toute faculté motrice. Et lorsqu’il arrive à bouger, sa démarche ressemble à celui d’un mort-vivant. Ces effets lui ont valu le tristement célèbre nom de drogue du zombie.

L’application TikTok compte au total près d’un million de vues sur les vidéos de la drogue zombie. Les plus visionnées montrent des personnes déambulant dans les rues de Philadelphie, aux Etats-Unis, comme s’ils dormaient debout. La drogue semble faire des ravages dans ce pays : « 26% des morts par overdose sont provoquées par cette drogue de synthèse », révèle le journal 20 Minutes. Elle a donc été signalée aux Etats unis comme «menace émergeante».

«C’est la première fois, dans l’histoire de notre nation, qu’une substance est désignée comme menace émergente», a déclaré lors d’une conférence de presse, le Dr Rahul Gupta, directeur du bureau chargé de la lutte contre la drogue à la Maison Blanche, aux Etats-Unis. Cette menace préoccupe fortement le gouvernement américain, l’amenant à débloquer des fonds, dans le budget 2024, afin de lutter contre le danger.

Malgré l’expansion préoccupante de cette drogue, elle ne semble pas inquiéter nos services de lutte anti-drogues. L’Office central des stupéfiants au Mali (OCS) reconnait qu’elle fait certes des ravages en Colombie, aux Etats-Unis et dans certains pays Magrébins, mais qu’il «n’a fait face à aucun cas au Mali».

Le 27 mai 2023, dans une émission radiophonique, le commissaire divisionnaire, Mamadou Samba Coulibaly, chef d’antenne de la rive gauche de l’OCS, précisait que l’héroïne peut aussi provoquer chez ses consommateurs des comportements assimilables à ceux dus à la drogue du zombie. « Ainsi, soutient-il, les gens pensent que les images qui circulent sur la toile sont celles des consommateurs de la drogue zombie. »

DOPAGE – Pourtant, au cours de notre enquête, nous avons rencontré un individu qui a prouvé l’existence de la présence de cette drogue sur notre territoire. Il explique qu’il y a des années, quand il était sur un site d’orpaillage, il a commencé à prendre des substances, comme le Tramadol, pour se doper. Et ils étaient beaucoup à en prendre.

« Un jour, on m’a proposé cette drogue. On m’a dit qu’elle est meilleure et plus puissante. Quand je l’ai injecté et que je suis descendu dans la mine pour creuser, j’ai été bloqué. Je ne sentais plus mes membres et je n’arrivais plus à bouger», a-t-il confié.

L’homme ajoute qu’il a fini par s’endormir. Et quand il s’est réveillé, il était seul et il a fini par remonter à la surface. «Après cette expérience effrayante, je n’y ai plus jamais touché ni à aucune autre drogue», raconte notre interlocuteur.

Un autre jeune, résidant d’un quartier de la Commune II, est formel : «Il y a bel et bien la drogue du zombie au Mali. Et je sais qu’elle est différente de l’héroïne que j’ai consommée plusieurs fois».

Malgré les vidéos effrayantes présentes sur les réseaux, nos jeunes prennent cette menace à la légère. Comme un challenge, ils réalisent des vidéos sur Tik Tok, où ils imitent les consommateurs de la substance, leur manière de bouger ou de s’arrêter. C’est devenue tendance.

Pire, ils se filment sur le titre «26 Mars» du chanteur, Adji One. Le clip, publié il y a un peu plus d’un mois, fait plus d’un million de visionnage sur YouTube. Le chanteur parle d’un médicament qui «bloque» les gens, faisant référence à cette drogue de synthèse. Une musique très appréciée par les jeunes, donnant encore plus de légèreté au danger que représente la drogue zombie.

Le sociologue, Dr Lamine Sandy Haidara, trouve que ces jeunes jouent à un jeu dangereux. Pour lui, ce jeu de rôle auquel nous assistons peut-être reproduit dans la vie réelle, à cause de la curiosité, et les jeunes vont vouloir tenter la consommation de cette drogue zombie.

«Plus les images deviennent virales, les représentations sociales et la construction mentale de la pratique vont plonger les jeunes dans le cercle vicieux de la toxicomanie», affirme le sociologue. Il ajoute que par la suite ces images sur les réseaux sociaux vont pousser les jeunes maliens à tenter sa consommation, histoire de dire qu’ils ont été les premiers à tenter le coup. «La banalisation, la plaisanterie voire la tendance ne doivent pas être négligées, l’avenir de notre pays risque de prendre un coup préjudiciable à notre développement», informe le Dr Haïdara.

Pour lutter contre ce fléau, le sociologue conseille la prévention, l’encadrement des jeunes ainsi que leur surveillance. Tout parent doit particulièrement garder un œil sur les fréquentations de ses enfants. S’y ajoutent l’accompagnement, la prise en charge socio-sanitaire et socioéconomique des usagers de la drogue et de leur entourage ainsi que l’application des textes antidrogues.

Malgré des cellules mises en place par l’Etat comme l’OCS, où des opérations spéciales sont menées contre l’éradication de la distribution et la consommation des drogues, la présence de celles-ci reste toujours forte. Les junkies ne se cachent même plus. L’existence de «Ghettos» est un secret de polichinelle. Les effets de la consommation de la drogue sont, de plus en plus, visibles sur la jeunesse. Le sociologue Dr Haïdara explique que les jeunes s’adonnent à cette pratique « pour gérer leur stress, le poids de la pauvreté et du chômage. »

JKD/MD (AMAP)