Par Bandé Moussa SISSOKO
Kayes, 12 juin (AMAP) «Cet homme recherche des informations sur le couvre tête pour femme, foulard ou « counabiri » en bamanakan. Veut-il en acheter pour sa nouvelle mariée » ? Ces propos tenus par Mme Koné Fatoumata Camara, lorsque sa fille lui a annoncé notre arrivée dans sa maison, trahissent l’objet de notre visite dans la famille Koné, à Lafiabougou-Nord, un quartier populaire de la ville de Kayes, dans l’Ouest du Mali.
En effet, le « kayeska fini » ou tissu kayésien attire de plus en plus les femmes de notre pays, surtout celles de Bamako, la capitale. Ce pagne traditionnel sert à couvrir la tête de la nouvelle mariée pour la différencier des autres filles. Ce tissu fait la fierté de la Région de Kayes, depuis belle lurette et est source de revenus pour plusieurs femmes. On utilise ce tissu en coton pour couvrir la tête et le visage de la femme, nouvellement mariée, qui s’apprête à rejoindre son foyer conjugal, après avoir passé une journée chez ses parents. Il est fait en bandes de cotonnade raccommodées et teintées à l’indigo. La ville de Kayes est, en effet, réputée pour la grande variété de pagnes de qualité qui sont, souvent, les plus beaux du pays.
Pour la fabrication de ce tissu, il faut un pagne ou bande d’étoffe qu’on achète chez le tisserand, puis des fils et aiguilles en vente à la Compagnie malienne des textiles (COMATEX). « Souvent, le tisserand fait le premier pas en commandant du fil et de l’aiguille à la COMATEX. Quant à nous, les femmes, nous rassemblons ces fils à l’aide d’une aiguille pour avoir 6 bandes d’étoffe « kono woro (en langue malinké). Nous y dessinons des figures géométriques variées à l’aide des fils blancs ou bleus pour rendre le produit plus attractif et joli. Il y a plusieurs modèles de tissus dont le ‘lifi’ et le ‘thioboli’ », a indiqué Mme Koné.
La quinquagénaire explique que pour confectionner ce tissu, les femmes achètent un fil spécial dont le rouleau ou le paquet coûte 3.000 Fcfa. Ensuite, le tisserand transforme ce fil en pagnes ou bandes d’étoffe. La largeur du pagne lors du racolage peut varier (6 à 7 bandes racolées), en fonction de la taille du client. « Après le tisserand, nous remettons le pagne à la teinturière. Je débourse une somme oscillant entre 1100 et 1250 Fcfa pour un pagne de 2 mètres ou plus », poursuit notre interlocutrice.
La troisième phase du processus de fabrication du pagne consiste pour ces dames à enlever les fils un à un, puis à tremper le pagne dans l’eau en vue de le dépouiller des impuretés. Le dernier travail incombe aux ’empeseurs’ qui rendent le ou les tissus plus fins et lisses à raison de 150 Fcfa l’unité.
Après cette dernière étape, le produit fini est livré au client moyennant des prix variant entre 12.000, 12.500 et 15.000 Fcfa.
A propos de l’utilisation du couvre tête, Mme Koné Fatoumata Camara explique : « A sa sortie de la chambre nuptiale le 7è jour, la nouvelle mariée porte ce pagne pour se rendre chez elle, tôt le matin, dans le but d’y passer la journée. Avant de regagner son domicile conjugal, sa mère lui couvre la tête avec le pagne».
La nouvelle mariée porte le même tissu, lorsque ses belles-sœurs veulent la conduire dans la belle-famille et les proches pour les visites coutumières. Après la cérémonie de mariage, la nouvelle mariée peut garder le tissu ou l’offrir à une autre personne comme cadeau ». Le « kayes ka fini » peut être transformé en vêtement. « Le port du couvre tête est obligatoire dans notre société, surtout traditionnelle. C’est pour faire la différence entre la nouvelle mariée et la fille célibataire. Le pagne la rend encore plus coquette », commente-elle.
Mme Koné n’exerce plus cette activité. « J’ai passé le témoin à ma belle-fille, depuis trois ans », explique-t-elle. « Nous avons des problèmes pendant l’hivernage car, ceux qui confectionnent les pagnes (les tisserands) retournent dans leurs villages pour travailler dans les champs. De ce fait, nos activités sont au ralenti pendant cette période », affirme-t-elle.
DEPOSITAIRES D’UNE TRADITION – Niéba Konaté jouit d’une grande réputation comme teinturière. Elle exerce son métier dans la grande maison conjugale du quartier Liberté. « J’ai débuté ma carrière dans la famille en 1997. J’ai trouvé qu’ici, les femmes pratiquaient déjà la teinture. Nous sommes quatre femmes à faire ce travail. Certaines (nos enfants) viennent de Lafiabougou pour nous aider », assure-t-elle.
« Fatoumata Diakité et Sitan Soukho étaient les premières à mener cette activité dans notre famille. Ces dames, qui ne vivent plus, ont transmis leur savoir à leurs enfants qui sont, aujourd’hui, âgés de 80 à 100 ans », révèle notre interlocutrice. « Nous vivons de cette activité. Souvent, je gagne 3 500 Fcfa de bénéfice, par jour, quand les affaires marchent.
Les tisserands confectionnent des tissus qu’ils nous apportent pour la teinture à raison de 1 500 Fcfa par pagne. Et puis, nos espoirs reposent principalement sur le Sénégal où nos produits s’écoulent facilement », a commenté Mme Konaté. Il nous confie mettre en teinture 60 à 100 pagnes par jour, lorsque la commande est forte. « Nous payons la teinture qui provient d’Allemagne. Nous importons de la potasse de la Chine. Nous achetons nos produits chez un teinturier installé à Bamako. Nous payons le baril de poudre de potasse à 225.000 Fcfa. Le kilo de la teinture traditionnelle nous revient à 250 Fcfa », dit-elle.
« Nous sommes confrontés à un problème de marché. C’est un travail saisonnier. D’octobre à juillet, la teinture marche. Pendant l’hivernage, nous menons d’autres activités comme le commerce de boissons locales », souligne-t-elle. Les gens n’aiment pas, tellement, pas la teinture traditionnelle. C’est la clientèle au Sénégal qui nous encourage dans la production à travers sa forte demande », affirme la vieille Niéba Konaté.
Kadiatou Camara, l’une de ses assistantes se réjoui de cette activité : « Nous remercions Dieu. Nous gagnons tout dans cette activité. La vieille s’occupe bien de nous ». En effet, Niéba Konaté est assistée dans sa tâche par 4 à 5 filles. Si l’employée est seule, elle lui donne 2 000 Fcfa par jour comme rémunération.
De son côté, son mari Modibo Camara souhaite que le gouvernement et ses partenaires soutiennent cette activité. « On veut de l’aide pour pérenniser cette activité traditionnelle qui nous permet de faire face à nos dépenses familiales (achat de nourriture, de vêtements, de médicaments et l’éducation de nos enfants). Mon épouse a hérité cette activité de nos mères. Chez nous, elle se transmet de mère en fille », a-t-il précisé.
Niéba Konaté nous a, aussi, parlé d’une collègue de la même génération qu’elle qui, selon elle, jouit d’une bonne réputation dans l’exportation des pagnes traditionnels. Mme Ly Oumou Haïdara vit à Kayes N’Di. « J’ai hérité de nos mamans. Nous cardons, tissons et cousons. Au début, je confectionnais 5 pagnes. Après la phase de la teinture, on racole les pagnes. On prend une lame pour enlever le fil ou le « sègue » du pagne, avant de l’apporter chez ‘l’empeseur’. II nous est arrivé de chercher nous-mêmes des habits à coudre pour gagner notre vie », détaille Mme Ly Oumou Haïdara que nous avons rencontrée chez elle.
Elle dépense souvent 8 000 Fcfa pour l’exportation d’une paire (2 pagnes) de tissu traditionnel vers le Sénégal.
« Je n’exerce plus cette activité comme avant, à cause de mes ennuis de santé. Aujourd’hui, je fais recours à mes fils pour l’exportation de mes marchandises. J’ai 20 employées pour la confection du pagne traditionnel», a-t-elle indiqué.
UNE BONNE AFFAIRE – Cette teinturière de renom vit bien de son travail. « Grâce au revenu de cette activité, j’ai pu envoyer trois de mes fils en France et en Espagne. C’est le benjamin de mes enfants qui assure le relais. Il peut exporter trois colis par voyage. J’ai aussi effectué le pèlerinage à La Mecque au moins trois fois », indique cette musulmane vivant dans une grande famille maraboutique.
Elle nous apprend que ses enfants peuvent exporter 700, 800 voire 900 pagnes par voyage, selon la disponibilité du stock. Le bénéfice par paire est de 1 000 Fcfa. « J’ai un client à Tambacounda (Est du Sénégal). Le marché est très promoteur dans cette ville sénégalaise. Le pagne traditionnel est prisé par les peulhs de cette localité qui l’utilisent pour constituer le trousseau de mariage de leurs filles. A cause de mes bons rapports avec mes clients de cette ville, j’écoule mes pagnes à raison de 9 250 Fcfa la paire. Mes affaires marchent de décembre à février, période durant laquelle le travail est intense », conclue-t-elle.
Âgée de 62 ans, dans un couple polygame, en est à sa 46è année de mariage. Elle fait partie des rescapées du sinistre qui a coûté la vie à des milliers de pèlerins à la Mecque en 2015.
Pour Gnouma Samassa, certaines confectionneuses ont abandonné cette activité. « C’est un travail qui affecte les yeux, surtout quand on travaille la nuit. On a de la peine à voir le trou de l’aiguille pour y faire passer le fil. Je suis diabétique aussi », déplore notre interlocutrice du quartier Plateau. Et elle révèle que le pagne traditionnel est aussi connu sous le nom de « Fouta fini (tissu peulh)», car il vient de Bakel, une ville du Sénégal où vit une forte communauté peulh.
Beaucoup de clientes apprécient le pagne traditionnel pour des raisons d’ordre coutumier et religieux. Même si certaines se plaignent du coût élevé de ce pagne.
« Le port du couvre tête est recommandé pour une femme mariée. Après le mariage, on peut conserver le même tissu pour le mariage de sa petite sœur ou d’une autre fille de la famille. La nouvelle mariée peut, également, s’en servir pour porter a califourchon son premier enfant. Ce qui est un bon signe », pense Mme Sambou Kéïta, une cliente.
« A cause du manque de moyens, certaines femmes préfèrent dépenser 2 000 Fcfa pour acheter un basin à la place de ce tissu traditionnelle qui est souvent cédé à 10 000 Fcfa. Certains font un mixage de ces deux tissus pour avoir un pagne ou un habillement complet », explique-t-elle.
Les confectionneuses du « kayes ka fini » évoluent surtout dans le secteur informel. Elles espèrent un accompagnement des pouvoirs publics, voire des partenaires.
BMS/MD (AMAP)