Bamako : Les parcs de pirogues polluent les berges du Djoliba (Fleuve Niger) 

On utilise du goudron brûlé pour réparer les embarcations destinées à l’exploitation et au transport du sable. Ce travail artisanal nuit à la santé des riverains

Par N’Famoro KEITA

Bamako, fév (AMAP) Les berges du fleuve Djoliba, sur son tronçon longeant le quartier de Sébénikoro dans la capitale malienne, Bamako, en plus d’être littéralement envahies par les habitations, abritent aussi un parc de pirogues de transport du sable. Une véritable industrie artisanale qui est une source de pollution du fleuve et de nuisance pour les riverains. Surtout en période de décrue, moment favorable pour réparer les embarcations de transport du sable pendant la moitié de l’année. Les piroguiers utilisent du goudron en brûlis pour combler les fissures et empêcher l’infiltration de l’eau. La fumée dégagée par des litres de goudron brûlé par jour crée une nuisance qui représente une menace pour la santé publique.

Des centaines d’épaves abandonnées dans le lit du fleuve, renferment toutes sortes de déchets qui polluent le cours d’eau et perturbent l’habitat de la faune aquatique. Cette situation est déplorée par Moussa Konta, un habitant du hameau de pêche, à une centaine de mètres de là. Selon le pêcheur, cet endroit du fleuve regorgeait de poissons. Mais aujourd’hui, à cause de cette activité, il est contraint de parcourir des kilomètres pour pêcher. Outre la pollution de l’eau, les riverains subissent quotidiennement celle de l’air, engendrée par l’activité de brûlis du goudron. De l’avis d’un médecin que nous avons approché, cette fumée a laquelle sont exposés les habitants de la zone, est hautement cancérigène.

Ce qui explique l’inquiétude de Toumani Sidibé dont la maison se trouve à un jet de pierre. Il dit avoir entrepris beaucoup de démarches auprès des autorités compétentes pour faire cesser l’activité. En vain ! Face à l’obstination des auteurs et l’inaction des pouvoirs publics, Toumani dit s’en remettre à Dieu, pour la santé de sa famille.

Amadou Mara, un autre riverain, fustige aussi la fuite de responsabilité de nos services publics chargés de la question, en l’occurrence la Direction nationale de l’assainissement du contrôle des pollutions et des nuisances (DNACPN). Ce service a pour missions, entre autres, de constater les infractions à la réglementation sur la protection de l’environnement.

« Mais, nous ne voyons aucune utilité à ce service qui, pourtant, dispose de tous les moyens de l’État », regrette le riverain. Ce septuagénaire se souvient qu’aux premières années de l’accession du Mali à l’indépendance, jusqu’au régime défunt de feu Moussa Traoré, cette structure, appelée à l’époque service d’hygiène, était crainte de tous les citoyens. En effet, c’était une véritable police de l’hygiène et de l’assainissement dans les quartiers.

« Tous les matins, leurs équipes faisaient le porte-à-porte pour constater l’état de propreté des cours, la gestion des déchets et des eaux usées par les familles », se remémore-t-il. « Ceux qui déversaient leurs ordures ménagères ou leurs eaux usées dans la rue étaient sanctionnés par une forte amende. Donc, on ne pouvait pas songer à un minimum d’insalubrité, a fortiori, la situation de catastrophe écologique à laquelle nous assistons aujourd’hui en cet endroit du fleuve », dit Amara Mara.

AUTRE LIEU, MÊME RÉALITÉ – A Djikoroni-para, des riverains du site de sable appelé « tchin tchin bô dankan » (Quai du Sable) vivent le calvaire. Le business du sable y est florissant, mais cette activité nécessite l’utilisation de pirogues qui sont généralement fabriquées ou réparées sur place. Et une fois hors service, ces pirogues restent sur les berges du fleuve. Ainsi, l’on aperçoit des épaves sur plusieurs mètres. Les menuisiers tentent de récupérer sur certaines pirogues abandonnées des planches réutilisables.

A notre passage, IB et Daouda s’acharnaient, arrache-clous en main, sur l’une d’entre elles. Ils laisseront dans leur sillage, en fin de journée, une bonne quantité de pointes rouillées. Celles-ci représentent un réel danger pour les pêcheurs, les maraîchers et les petits enfants qui rôdent par là.

Nafo Samaké, une maraichère, témoigne : « Il n’y a pas si longtemps, un enfant, venu chercher du bois pour sa maman, a été gravement blessé par une pointe. Le sang giclait de sa blessure».

Qu’ils soient de Sébénikoro ou de Djikoroni-Para, les riverains des sites de fabrication de pirogues estiment que les services compétents doivent agir, en appliquant la loi dans toute sa rigueur. Pour Amara Mara, ce n’est qu’en sévissant que les gens se corrigeront et rentreront dans les rangs, pour protéger l’environnement et améliorer le cadre de vie des paisibles citoyens.

Drissa Traoré, conseiller technique en charge des questions d’assainissement au ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement Durable, rappelle que quand les services de l’assainissement sont saisis par une plainte, ils doivent obligatoirement réagir, en envoyant une équipe de constat sur le terrain. « Si des externalités sont alors constatées et qui nuisent aux populations, les auteurs sont obligés d’apporter des mesures d’atténuation. Dans le cas contraire, les autorités compétentes sont tenues de faire cesser l’activité qui cause ces nuisances. Des brigades sont constituées à cet effet », explique-t-il

Compte tenu du nombre insuffisant de leurs effectifs, les services ne peuvent pas assurer convenablement leurs missions. C’est pourquoi, Drissa Traoré conseille « à tout citoyen qui est touché par une nuisance quelconque de saisir les services d’assainissement de sa localité. » « C’est ainsi que nous pourrons circonscrire le mal », estime-t-il.

NK/MD (AMAP)