Par Lassana NASSOKO
Bamako, 15 juillet (AMAP) Des sotramas (minibus pour le transport urbain entre les quartiers de Bamako, le centre-ville et sa périphérie) stationnés les uns après les autres, en file indienne. A bord, des passagers. Regards anxieux, certains semblent attendre avec impatience le départ du véhicule.
Les apprentis, eux, restent sourds aux appels des clients qui les supplient de démarrer. L’un d’entre eux est tout feu tout flamme. «Djelibougou, Doumanzana, Nafadji (Ndlr, des quartiers de Bamako) ?», hurle-t-il. Un autre tente de convaincre une dame arrêtée qui hésite entre monter dans le véhicule ou attendre un autre qui aurait amorcé le départ, pour éviter de subir le même sort que les passagers déjà à bord. «Ne baa (ma mère), entrez. La voiture est prête à partir», dit le jeune apprenti pour la faire décider.
A côté, des vendeurs de café servent des clients. Le parfum agréable de ce produit monte à la surface. Certains vendeurs de café sont debout près des kiosques. D’autres s’activent sous des parapluies. «Walawala», «sanpren», lit-on sur quelques pavillons. Ces écriteaux, venus du jargon des apprentis, signifient dynamisme, vigueur au quotidien. C’est là que les apprentis de sotrama se retrouvent pour acheter du café, des cigarettes et autres boissons alcoolisées.
Wara (Lion en langue bambara), est un vendeur qui s’est forgé une réputation dans le secteur. Un petit sac noir autour du cou, il surplombe une table où se trouvent, pêle-mêle, des paquets de cigarettes, des tasses de café, des sachets de vin. Sans compter des boîtes de comprimés «Sedaspir». D’autres cachets, «peu catholiques», sont dissimulés par crainte d’attirer les regards indiscrets.
Surpris par la présence de ces produits pharmaceutiques, nous décidons d’interroger Wara, un homme bien sibyllin. Dans ses explications confuses, on retient que ces médicaments « par terre » assimilables à des stupéfiants donnent au café des vertus plus tonifiantes, pour ne pas dire plus. Ce qui expliquerait la méfiance des amateurs, chaque fois qu’ils aperçoivent un visage peu familier rôder autour de leur échoppe. Un apprenti chauffeur, présent sur les lieux, semble importuné par notre présence et nos questions. Il a choisi d’attendre notre départ pour se procurer sa dose matinale. Par crainte de mécontenter la clientèle de notre hôte, nous nous éloignons d’eux pour nous diriger vers un autre vendeur.
IVRESSE – Installé à quelques mètres de l’autre commerçant, des clients l’assaillent. Par-ci, par-là, on l’apostrophe. Chacun voulant être servi d’abord. D’autres clients, assis sur des bancs, sirotent du café. «L’unité se vend à 50 ou 100 Fcfa. Le prix est fonction de la dose», explique le marchand. Dans le groupe, un jeune apprenti tend un billet de 500 Fcfa pour s’offrir du café noir mélangé à du vin. Interrogé, ce dernier reconnaît, sous couvert de l’anonymat, qu’il ne peut pas «marcher» sans ce breuvage. «Notre travail demande plus que de l’énergie. C’est très difficile. Ces doses sont souvent nécessaires pour appeler les clients avec ferveur et tenir bon tout au long de la journée», se justifie-t-il. Le café noir mélangé à du vin et à bien d’autres produits ne risquerait-il pas de troubler vos facultés mentales ? «Non ! Au contraire, moi je garde intacte ma lucidité et je réussis à vaincre le sommeil ou la torpeur», répond-il.
Approché, un autre apprenti abonde dans le même sens. «Tous les jours, nous parcourons Bamako entre 5 heures et 21 heures. Un apprenti ne doit pas être mou», confie-t-il. Mais, pour lui, le café et le thé suffisent largement pour rester en forme toute la journée. Il se dit convaincu que les drogues mènent tôt ou tard à la démence.
La lucidité dont fait montre ce dernier, tranche avec les clichés que l’on colle aux apprentis. Enfants turbulents, grossiers, jeunes anticonformistes et irrévérencieux. Les qualifications et les préjugés ne manquent pas à leur sujet.
L’apprenti B. semble accorder peu d’importance à ces commentaires sur eux et leurs comportements. «Nous ne faisons que notre travail. On n’est pas des délinquants. Ces excitants nous permettent d’être au top de notre niveau physique toute la journée», rétorque-t-il, en reconnaissant tout de même, qu’à la longue, cela fait souvent vaciller. «C’était lors d’un 31 décembre. On a roulé de jour comme de nuit. C’était du non-stop. J’ai pris du café, des comprimés, en plus de l’alcool. Le lendemain, je n’ai pas pu dormir. J’avais des hallucinations et de violents maux de tête. Je ne prendrai jamais de telles doses», témoigne-t-il.
Chez le chauffeur Sidi, le ton est amer contre les apprentis qui consomment ces produits stupéfiants ou similaires. «Moi, je ne tolère pas ces choses-là. Quand je vois mon apprenti fumer de la cigarette ou prendre du café noir mélangé à des excitants, je lui dis de chercher un autre patron», tranche le conducteur.
La police laisse-t-elle faire ? Parfois, des éléments s’infiltrent pour sévir contre ces vendeurs de café et de produits prohibés. « Une fois, nous confie Samba Bah, un policier en civil est venu et a arrêté quelqu’un qui avait même fait fortune dans cette activité ».
Contactée, une source médicale révèle que des apprentis sont parfois reçus dans un état critique au centre hospitalier. «Il y en a qui arrivent souvent délirants. D’autres avec des convulsions violentes. Et les cas les plus graves, ceux qui arrivent en coma, sont transférés au service approprié à l’Hôpital Gabriel Touré», confie notre source.
LN/MD (AMAP)