
Le site des déplacés de Sokoura dans la Région de Mopti
Envoyés spéciaux
Cheick M. TRAORÉ
Oumar DIOP
Mopti, 06 juil (AMAP) La Région de Mopti, dans le Centre du Mali, peuplée de plus de deux millions d’habitants (recensement de 2009), apparaît, aujourd’hui, comme l’épicentre de la crise sécuritaire et humanitaire que connaît le pays. Différents groupes armés y sont actifs depuis 2012, endeuillant des familles au quotidien et provoquant le déplacement de dizaines de milliers de personnes.
À maints endroits de la région, les populations, qui sont restées sur place, ne peuvent pas se rendre au champ en toute quiétude. Ce qui laisse planer le risque de famine. Des individus armés enlèvent le bétail en masse quand ils ne massacrent pas de paisibles villageois. Heureusement, l’enchaînement meurtrier de civils a pris fin depuis quelque temps. Mais l’insécurité demeure le lot quotidien des populations de la 5è Région.
C’est dans cette région que le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, procédera au lancement officiel du Plan national de réponses à l’insécurité alimentaire (PNR 2012). Le chef de l’État donnera, ainsi, le coup d’envoi des distributions gratuites de vivres aux populations les plus vulnérables sur toute l’étendue du territoire national.
Approuvé le 30 avril dernier lors de la 17è session du Conseil national de sécurité alimentaire au titre de la campagne agricole 2020-2021, ce Plan constitue la réponse du gouvernement aux difficultés alimentaires des populations sévèrement éprouvées par la crise multidimensionnelle et les effets liés au changement climatique. D’un coût prévisionnel évalué à un peu plus de 23 milliards de Fcfa, il porte sur l’assistance alimentaire, le cash transfert, l’appui alimentaire au bétail, aux cantines scolaires, la lutte contre la malnutrition sous toutes ses formes, la reconstitution des stocks de sécurité.
Au plan alimentaire, ce sont au total 43.000 tonnes de céréales (riz, mil et sorgho) qui seront distribuées, à la faveur de cette campagne, à plus de 1,3 million de personnes en insécurité alimentaire modérée et sévère. Car la situation alimentaire notamment pendant cette période de soudure est marquée par l’accroissement des besoins alimentaires des populations rurales, constate le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA).
LUEUR D’ESPOIR – L’évaluation définitive, cette année, de la situation alimentaire et nutritionnelle par le Système d’alerte précoce du Cadre harmonisé indique que de juin à août-septembre 2021, plus de 5 millions de Maliens auront besoin d’une assistance alimentaire et nutritionnelle. Parmi ceux-ci, plus de 1,4 million seront en insécurité alimentaire très sévère et auront besoin d’une assistance alimentaire d’urgence. Dans les Régions de Tombouctou et Taoudéni (Nord), 150.000 personnes sont concernées, plus de 300.000 personnes à Gao, Kidal (Nord) et Ménaka (Nord-Est). La 5è Région compte 600.000 personnes vulnérables à l’insécurité alimentaire.
À Mopti, le temps était clément hier lundi, après des pluies peu abondantes la veille. Dans la cour de la direction régionale du développement social et de l’économie solidaire, une douzaine de femmes étaient assises à même le sol sous un hangar. La plupart portaient des enfants au dos. L’une d’elle jouait avec ses triplés. Ce sont des déplacées venus chercher des appuis.
« La Région de Mopti enregistre la moitié des déplacés du pays, soit 157.415 déplacés internes pour plus de 27.000 ménages », selon Boubacar Djambeïdou Diallo, chef de division défense et protection sociale à la direction régionale du développement social et de l’économie solidaire de Mopti. «Ils ont abandonné tout sur place. Certains sont arrivés avec seulement les habits qu’ils portaient. Ils n’ont ni terre ni d’autres sources de revenu », révèle-t-il.
Aujourd’hui, le premier besoin ici est alimentaire, souligne Boubacar Djambeïdou Diallo. «En la matière, l’État a mobilisé plus de 100 tonnes de vivres, les partenaires ont offert plus de 104 tonnes de janvier à maintenant. Mais ces soutiens arrivent tardivement. Ce qui expose les déplacés à l’insécurité alimentaire », déplore le technicien, précisant que des appuis en non vivres : kits de cuisine, nattes, moustiquaires, aliments bétail leur sont parvenus.
Dans ce contexte, il va de soi que le lancement de la campagne de distribution gratuite de vivres soit attendu et considéré comme une lueur d’espoir. Les déplacés, insiste notre interlocuteur, sont dans une situation d’extrême fragilité alimentaire et nutritionnelle.
DIFFICILE DE SE NOURRIR – Le site de déplacés de Sokoura, situé en face de l’Institut de formation des maîtres (IFM), est une immense cour clôturée par des briques en ciment. À l’entrée, une déplacée vend des condiments non loin des toilettes construites en dur. Fagots sur la tête, des dames se dirigent vers des tentes dressées par le Haut commissariat aux refugiés (HCR) et qui leur servent d’abris. Dans un bassin approvisionné par un château d’eau construit par l’Organisation internationale de la migration (OIM), des filles font la lessive. L’eau coule des robinets. Des enfants jouent un peu partout. Sous des hangars, des femmes préparent à manger et devisent entre elles. « Nous partageons nos peines et détresse », murmure l’une d’elles.
Oumou Gadiaka qui a été obligée de fuir son Bankass natal avec son mari et sa coépouse, nous conduit volontiers dans sa « maison » composée d’une véranda et d’une chambre à coucher. Elle y habite depuis trois ans avec ses quatre enfants. Le mari faisant la navette entre les deux épouses. «Le souci majeur ici est la subsistance quotidienne. Un projet appuie en vivres. Cette assistance est irrégulière », souffle la dame. Elle soutient financièrement son mari en faisant des petits métiers comme la coiffure. « Tresser une personne rapporte environ 250 à 500 Fcfa selon le modèle. Je peux tresser trois femmes par jour», précise notre interlocutrice.
Devant le siège du Conseil du village, le chef Oumar Barry et ses conseillers répondent aux questions d’une équipe d’enquêteurs gestionnaires du site, venus recueillir les besoins des déplacés. Certainement en prélude à l’arrivée du chef de l’État. Coiffé d’un turban, il précise que le site accueille 166 ménages (l’annexe y compris) pour 1.271 individus venus des Cercles de Bankass, Bandiagara et de Koro (Centre). «Se nourrir est la principale difficulté. Nous vivons des soutiens de l’État et de ses partenaires : 50 kg de riz, 50 kg de mil et plus de 5 litres d’huile. Cela suffit à peine pour un mois pour les ménages de cinq personnes et 25 jours pour ceux d’environ dix personnes. Ces appuis viennent tous les trois ou six mois. Le dernier remonte à six mois. Nous travaillons comme manœuvres pour surmonter ces moments», explique le chef traditionnel.
À défaut de trouver des lopins de terre où ils pourront cultiver, les déplacés mènent des activités génératrices de revenus comme l’embouche ovine. Un projet a, un moment, offert des chèvres et moutons à 200 personnes sur un total de 800 considérées comme actives. «Leur situation s’est nettement améliorée», se réjouit Oumar Barry. Cette alternative pourrait être une solution. De petits ruminants sont attachés devant plusieurs ménages. Certains jardinent aux pieds des murs de clôture du site. Un constat qui dénote leur volonté réelle de sortir de l’assistanat et de vivre à la sueur de leur front, comme ils le faisaient dans leurs villages.
CMT/OD/MD (AMAP)