Crise d’adolescence : A prendre avec des pincettes

Par Maimouna SOW

Bamako, 24 nov (AMAP) La puberté est la période d’adolescence durant lequel, le corps se modifie pour permettre la reproduction. Ces changements durent plusieurs années et influent sur l’ensemble de la personnalité, s’ils ne sont pas compris par les parents. Cela, assure le psychologue, crée des conflits parents-enfants. L’adolescent devient agressif et irrespectueux à l’école, par exemple.

Triste comme la pluie, B.16 ans, prépare son couchage sous le regard indifférent du flot humain qui écume ce soir de février 2025 « vox da ». Il s’apprête à passer sa 32è nuit ici sur des morceaux de cartons recouverts d’un haillon en guise de drap. La nonchalance avec laquelle il fait son « lit », trahit son amertume de cette vie de clodo à laquelle sa fugue l’expose. « Je me retrouve ici à cause de l’hostilité entre mon oncle et moi. Il me battait sans arrêt et, souvent, pour des raisons que j’ignore toujours », se lamente-t-il.

Il y a environ deux mois, ajoute l’adolescent, une dame m’a reconduit à la maison et en suppliant mon oncle de me pardonner mais, il a juré que même si le bon Dieu descendait sur terre, il ne me tolérerait pas. Dépité, le garçon déborde de rancœur et se résigne à vivre dans ce lieu dangereux qui est, pour lui, un havre de paix.

Rassurez-vous, ce gamin n’est pas un délinquant. Au contraire, il travaille honnêtement comme apprenti de Sotrama (Véhicule de transport en commun), ces pataches dans lesquelles les Bamakois se serrent, tous les jours, qui pour aller au bureau, qui pour aller au marché.

Issu d’une famille où sa mère est mariée à un autre, sevré de relation père-fils, Barou en est à sa troisième fugue en deux ans. Il affirme que sa grand-mère n’accepte pas qu’il soit dans la rue. Elle envoie des personnes le chercher souvent mais, le garçon ne se sent pas en sécurité avec son oncle. Il préfère prendre ses distances.

Pourtant, son vœu est de vivre dans un environnement normal, en famille, comme tous les enfants. Comme lui, beaucoup d’adolescents rejoignent la rue alors qu’ils ont de la famille dont les revenus leur éviteraient l’aventure.

A.A a suivi B., quand il était chef de division du Centre d’accueil et d’orientation (CEAO). Une structure qui, par manque de financement, a cessé d’exister. Mauvaise nouvelle pour la kyrielle d’adolescents qui boivent dans la grossière coupe de la vie de clochard.

Barou fait partie des neuf adolescents dont Ali suivait la réconciliation et le retour en famille en 2022. « Ce n’est pas un enfant raté, rassure-t-il, parlant de Barou. « Ce sont  juste les affres de l’adolescence qui ont pris le dessus sur lui », précise-t-il. « Le jeune homme vivait chez sa grand-mère avec son père et son oncle à Lafiabougou Bougoudani. J’ai été dans leur famille. L’oncle lui reproche de mauvaises fréquentations, son indiscipline, son manque de considération et un relâchement à l’école », dit le professionnel.

« Il se pavane dans les champs avec des amis peu recommandables. Il a été une fois surpris en train de prendre de l’alcool avec les enfants du quartier lors d’une fête de Noël », a rapporté l’agent de CEAO. Pour le spécialiste, la plupart de ceux qu’il accompagne ont l’imagination débordante. « Exemple, relate-il, quand j’ai demandé à l’enfant, (B.) ce qu’il veut faire de sa vie, il me répond qu’il a un plan pour éradiquer la faim au Mali. Il veut se lancer dans l’agriculture et la pisciculture. »

« Je l’ai écouté attentivement et lui ai expliqué que ce sont des rêves d’enfants, Je l’ai assuré qu’il mérite d’être accompagné même si c’est avec les mots. C’est, d’ailleurs, ce que j’ai expliqué à son oncle : il faut le comprendre, il est en période de puberté, et pense que ses idées et imaginations sont réalisables. D’un côté, sans ironiser ses propos, il faut le laisser tenter ses expériences car la vie va se charger de lui montrer ses limites. D’un autre côté, son oncle doit lui faire croire qu’il peut tout faire mais en parallèle avec les études qui sont prioritaires », a expliqué Ali.

Selon le spécialiste, beaucoup de parents pensent qu’il suffit d’assurer la nourriture, la santé, le transport, etc. à l’enfant, pour qu’il soit sage. « Il faut, soutient-il, beaucoup plus que cela. » « L’enfant a besoin d’être rassuré, compris, protégé. En plus, il faut de la communication. C’est ce qui fait défaut dans nos familles. Les parents ont des enfants mais n’ont pas le temps pour eux », regrette-t-il. Ajoutant que les parents pensent que leur rôle, c’est d’imposer les choses et par la suite réprimander.

« A l’adolescence, poursuit A., beaucoup se révoltent et deviennent parfois violents. C’est qui fait que l’enfant se sent mieux avec ses amis qu’avec ses parents. »

PERIODE DE TRANSITION – Cependant, l’adolescence est une période de transition entre l’enfance et la vie adulte. Elle nécessite une transformation sur tous les plans : physique, psychologique, intellectuel et social. Elle commence avec le début de la puberté, de 10 à 19 ans. La crise d’adolescence est faite de troubles, de sautes d’humeurs, d’attitudes de défiance, d’affirmation de soi, d’opposition aux parents, besoin d’intimité et d’excès de confiance en soi face aux adultes.

C’est, aussi, une période de créativité, de rêverie et d’expériences. Ce passage de la vie de l’enfant n’est très pour les parents qui veulent s’imposer. En effet, beaucoup de parents passent mal ce moment. Ils sont indignés, impuissants et voient leur autorité contestée et bafouée.

Pour certains parents, comme Malado Kanté, cette crise laisse de bien mauvais souvenirs. Elle l’a pris de plein fouet avec le cas de sa fille. D’après cette maman, son enfant de 16 ans, est devenue « si bizarre », qu’elle l’avait crue envoutée. « Elle fréquentait une personne qui avait l’âge de son père. Quand on lui a interdit de le voir, elle passait plus de temps avec lui. Elle a été punie de toutes les manières possibles mais en vain », raconte Malado.

« J’ai eu peur qu’elle fugue avec lui. Et, cerise sur le gâteau : elle a osé réunir toute la famille un jour et chargé son père, de dire à mes épouses de ne pas se mêler de sa vie, car ce qu’elle fait ne regarde personne », a poursuivi la mère interloquée, avant d’ajouter que « ce fut un moment de perdition et d’inquiétude qui a résulté d’une grossesse. »

Les parents sont parfois confus. Certains punissent, d’autres abandonnent comme ce magistrat qui se plaint de son fils ainé. « Il fait l’école buissonnière. Je me suis rendu à son école pour constater qu’il n’assiste pas à ses cours, ne va pas, non plus, à ses séances d’entrainement, alors qu’il est passionné de foot. En plus, il traite son entraineur de profiteur. Il est agressif à l’école et ne respecte pas les enseignants », narre le père.

« Vraiment, moi, j’ai fait tout ce que j’ai pu. J’ai décidé de ne pas le frapper ni le gronder, car il est assez grand. Comme il est d’une inconscience inouïe, je m’en lave les mains.», se désole notre interlocuteur. Selon cet homme, son fils est dans toutes les conditions d’une bonne éducation, « mais il fait tout, sauf ce qu’on attend de lui. »  Il ajoute que le garçon ne l’écoute pas. Pire, il est gonflé orgueil quand on lui parle. « De plus, il ne m’adresse la parole que s’il a besoin d’argent. Il salue toujours les gens à contrecœur » s’indigne le juge. Il ne comprend pas ce changement soudain de comportement, de son fils qui était si sage et comptait parmi les meilleurs élèves de sa classe.

Que s’est-il passé pour que C.T, (fils du juge), 18 ans, soit à son deuxième échec au baccalauréat ? Il avait repris la 11e et, aujourd’hui, il sèche les cours !

D’après les explications du garçon, lui-même, reprendre une classe lui donne des avantages sur les autres. Il explique : « Je sèche seulement quelques cours du soir parce que je sais déjà ce que l’enseignant va expliquer. J’ai vu tout ça l’année passée », prétend-il.

La crise d’adolescence peut-elle avoir des conséquences sur la scolarité de l’enfant ? Le psychologue Abdrahamane Coulibaly, répond « oui ». Les idées et le raisonnement de certains adolescents, a cet âge, peuvent affecter leurs études, s’ils ne sont pas compris par les parents. Comme parade, il faut fixer des limites claires, l’écouter tout en restant ferme, respecter son intimité, accepter d’avoir le mauvais rôle, lui montrer votre amour, se dire que c’est un passage, l’aider à trouver son équilibre et rester patient et cohérent avec lui.

Il a souligné que les parents peuvent, par moment, s’inquiéter de l’agressivité, voire de la violence des paroles de leurs enfants.  « Faites-lui simplement savoir que vous êtes là s’il a besoin de parler et qu’il n’y a pas de sujet tabou, car une bonne communication est souvent la clé de la crise », conseille le psychologue.

DELICATE APPROCHE : Le psychologue a aussi analysé que les conséquences peuvent être graves pour l’adolescent, parce que la mauvaise gestion de ces crises crée des problèmes chez l’adolescent, qui deviendront profonds par la suite, complexes et parfois pathologiques. Il soutient que la crise peut s’exprimer à travers différents symptômes tels qu’angoisse, anxiété, phobie, dépression, addiction, comportements asociaux ou trouble du comportement.

Pour le spécialiste, il est important de trouver un style parental équilibré propice à une communication saine, au respect et à la stabilité. « Les adolescents ont besoin d’autorité dans leur vie pour leur assurer stabilité et sécurité, mais ils ont, aussi, besoin de quelqu’un à qui parler et se confier.

I »l y a trois principales raisons aux fugues d’adolescents : manque de communication avec les parents, inaptitude à faire face à leurs problèmes personnels; maltraitance par  des parents ou des proches », a-t-il développé.

Pour gérer la crise d’adolescence, il conseille aux parents de dédramatiser le passage à l’adolescence, d’accepter de faire face aux changements qu’implique la puberté « car votre enfant se pose plein de questions sur lui-même » Un parent doit accepter de contextualiser les choses mais, aussi et surtout, d’être clair sur la question des interdits parce qu’il arrive, très souvent, que l’enfant défie l’autorité du parent parfois même avec violence. Il peut se rebeller, ne pas cesser de vous faire des reproches.

En outre, il faut savoir que la présence des grands-parents en famille a un effet positif sur le mental des enfants. Cette présence assure une sécurité à l’enfant et serait l’une des raisons de développement du cerveau. Le fait de dire des contes ou lire des histoires à l’enfant, le rend capable de maitriser ses pulsions et lui donne le goût de la lecture. Et, enfin, il faut valoriser la communication, « car plus il y a d’échange entre parent et enfant, plus le cerveau de ce dernier se développe et il en sort intelligent et sage.

MS/MD (AMAP)