Pépiniéristes :  C’est le client qui manque le plus !

Par Moussa M. DEMBELE

Bamako, 22 août (AMAP) Au Mali, l’hivernage est traditionnellement une période propice à la plantation d’arbres. Il n’y a pas si longtemps, les pépiniéristes en profitaient pour faire leur chiffre d’affaires. La donne a changé ces dernières années. La clientèle se fait rare pendant la saison des pluies.

Situé à Faladié, en Commune VI du district de Bamako, sur l’avenue de l’OUA (UA), la voie principale reliant le centre-ville à la Tour de l’Afrique, un petit jardin de pépinières ressemble à une forêt verdoyante. Les plantes luxuriantes attirent le regard et l’atmosphère y est agréable.

Il est 14h36, un lundi du mois d’août 2025. Une moto tricycle est garée à l’entrée du jardin. Deux jeunes, accompagnés du propriétaire, Bourama Coulibaly, chargent l’engin avec des plants de henné africain. C’est le seul client de la matinée ! « C’est un client fidèle qui achète des plants chaque hivernage. D’habitude, il prend jusqu’à 4 000 pieds mais, aujourd’hui, il a acheté seulement1 000 », explique M. Coulibaly, sans s’étendre sur le sujet.

Dans le jardin, les plants sont soigneusement alignés sous des arbres ou à ciel ouvert, répartis entre différents pépiniéristes. On y trouve des manguiers, des orangers, des goyaviers, des pots de fleurs et bien d’autres espèces. Mais l’activité est au ralenti. Certains s’occupent à remplir des pots avec de la terre enrichie au fumier, tandis que d’autres, sous des hangars, lisent des journaux de pari hippique ou discutent de l’actualité, de la politique à la culture, souvent sans arguments convaincants.

Un homme d’un certain âge, confortablement installé sur une chaise, refuse de répondre à nos questions. « Vous avez de l’argent ? On ne parlera plus à ceux qui viennent exploiter nos propos pour en faire du commerce. Vous dites que vous êtes journalistes, mais en réalité, vous êtes des enquêteurs pour des projets », lance-t-il avec méfiance.

Un autre pépiniériste, sous couvert d’anonymat, explique : « Cet homme n’est pas un producteur formel. Il profite de l’arrivée des clients pour proposer ses services, d’où sa crainte de perdre sa place. »

Ce jardin, un espace géré par l’État, est dédié à la production et à la vente de plantes. Habituellement, l’hivernage attire propriétaires de champs, particuliers et ONG. Cependant, depuis quatre ans, les ventes chutent, selon les producteurs. Ils attribuent cette baisse à la conjoncture économique du pays. « L’hivernage, c’est notre haute saison. Nous produisons pour répondre à la demande mais, ces dernières années, la différence entre saison sèche et pluvieuse est quasi inexistante », déplore Aboubacar Sidiki Compaoré, pépiniériste et musicien. « En dehors de la musique, j’ai choisi ce métier, car il peut rapporter plus que l’art », ajoute-t-il.

Bakary Diarra, originaire de Kolokani, dans la région de Koulikoro, partage ce constat : « Pas de ventes. Nous sommes en août mais les clients ne viennent pas. L’hivernage est notre seule période pour booster notre chiffre d’affaires. La situation économique touche tous les secteurs. »

Pour dynamiser leur activité, les pépiniéristes des six communes de Bamako ont créé une coopérative. Facourou Keita, 56 ans, président de la coopérative de la Commune VI, travaille dans ce secteur depuis plus de trente ans. « J’ai tout connu dans la production et la vente de plantes. C’est un métier que j’aime. Protéger l’environnement en plantant des arbres est une passion », confie-t-il, vêtu d’un t-shirt vert et d’un pantalon noir.

Assis face à trois de ses cinq ouvriers – les deux autres étant partis aux champs faute de clients –, il déplore le manque de formations pour les pépiniéristes. « Nos efforts ne portent pas leurs fruits. L’État devrait valoriser ce secteur, car le développement d’un pays passe aussi par l’environnement », insiste-t-il, appelant à des programmes de renforcement des capacités.

En deux heures sur place, un seul client, M’Famoussa Diawara, est venu acheter 20 plants de manguiers, d’orangers et de goyaviers. « Les prix sont plus élevés cette année par rapport aux années précédentes », note-t-il. Il suggère que l’État régule les prix et subventionne certaines plantes pour les rendre plus accessibles.

Cette rareté de la clientèle chez les pépiniéristes, en cette période d’hivernage, peut s’expliquer par diverses raisons. En tout cas, c’est ce que nous dit Markatié Daou, journaliste, qui s’intéresse aux questions de la protection de l’environnement. « Cette année les pluies ont pris du retard ou elles tombent de façon irrégulière.

La deuxième raison : la situation économique du pays qui a une répercussion sur les ménages », avance-t-il. Il ajoute que « beaucoup d’ONG, qui finançaient les campagnes de reboisement, sont en situation de crise financière ou ont quitté le Mali. La situation sécuritaire joue, également, sur la campagne. Certains sites à reboiser sont infestés d’éléments armés. »

Quant à Papa Namory Traoré, ingénieur en environnement et santé publique, il estime que la plupart des agriculteurs n’achètent plus les pépinières. « Ils travaillent en réseau maintenant. Ils forment des coopératives qui leur permettent dacheter des plantes entre eux », précise-t-il. « Je ne suis pas spécialiste du domaine mais, je crois que c’est l’offre et la demande. Il se peut aussi que d’autres paramètres viennent s’ajouter, comme la vie chère », argumente le spécialiste de l’environnement.

M. Traoré conclut : « J’ai des arbres fruitiers dans mon champ. Je suis, aussi, dans des réseaux et coopératives agricoles. Dans ma coopérative, nous sommes plus de mille personnes à travers tout le Mali. »

MMD/MD (AMAP)