
Moussa Drissa Guindo, magistrat et expert en genre
Par Mariam A, TRAORE
Votée et promulguée en décembre 2015, cette loi instituant les mesures pour promouvoir le genre dans les fonctions nominatives et électives peine à être appliquée. De nombreux facteurs font obstacle à une application effective de cette disposition législative
La problématique de la faible représentativité des femmes dans les instances décisionnelles demeure d’actualité dans notre pays. Cependant, de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, à Beijing en 1995, à ce jour, le combat pour l’égalité des genres a fait du chemin au Mali. En effet, des engagements internationaux ont été paraphés, d’importantes lois et autres textes adoptés au plan national notamment la loi n° 2015-052 du 18 décembre 2015, instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives. Malgré les efforts, sept ans après son adoption, l’écart reste grand entre femmes et hommes, au niveau des fonctions électives et nominatives.
Faisant une analyse de l’application de ladite loi, Moussa Drissa Guindo, magistrat en détachement et expert en genre, souligne que grâce à cette loi, le nombre de femmes élues conseillères municipales et parlementaires a triplé. « Désormais, de Kayes à Kidal, les femmes ne sont plus des instruments électoraux pour les hommes politiques », estime celui qui est aujourd’hui conseiller technique au ministère des Maliens établis à l’Extérieur et de l’Intégration africaine.
PRATIQUES DISCRIMINATOIRES – Cette disposition législative, appelée « loi Oumou Ba », du nom d’une ancienne ministre, a de son avis eu un impact positif lors des élections communales de 2016 et les législatives de 2020. En effet, la loi a permis à plus de 200 femmes d’être élues conseillères, lors de sa toute première application, lors des élections communales de 2016.
Par ailleurs, pour la 6è législature, 41 femmes ont été élues. Ce qui équivaut à 29,44 % des élus de l’Assemblée nationale. Ce taux est légèrement inférieur aux 30%, recherchés par la loi n° 052. Mais le progrès est net par rapport aux élections législatives de 2013 où seulement 14 femmes ont été élues, selon le Centre national de documentation et d’information sur la femme et l’enfant (CNDIFE).
Comment expliquer le faible impact de cette loi depuis 7 ans ? Moussa Drissa Guindo qui était au moment du vote de ladite loi conseiller juridique au ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, répond que si à Bamako, les élues profitent bien de l’application de la loi, ce n’est pas toujours le cas dans les endroits les plus reculés du Mali.
Le faible impact de la loi n° 052 est inacceptable, s’indigne notre interlocuteur. Qui pointe du doigt le manque de volonté politique. Il ajoute aussi des entraves structurelles causées par des pratiques discriminatoires comme les barrières socioculturelles, le poids des préjugés et les perceptions culturelles concernant le rôle des femmes, le fonctionnement des partis politiques, le manque de promotion des candidates, la difficulté à obtenir une position éligible, le système électoral qui limite le renouvellement du personnel politique. Autant de facteurs pesant sur la prise de décision et l’investissement des femmes dans la sphère politique. Les femmes sont handicapées aussi par un faible accès à l’éducation et à la formation, les responsabilités familiales incompatibles avec les activités politiques, le manque de moyens financiers et de réseau de solidarité.
Notre spécialiste pointe du doigt le non respect de la loi lors de la mise en place des gouvernements successifs de 2016 à 2022. « Cette violation est flagrante rien qu’à voir les décrets de nomination qui sont loin de respecter cette loi historique pour la promotion de la femme malienne », déplore-t-il.
FAIBLE QUALIFICATION – Cet état de fait qu’il assimile à un manque de vigilance devra, pour lui, trouver sa solution dans la mise en place d’une structure indépendante du genre observatoire pour le contrôle des nominations par décret, par décision et par arrêté au niveau du gouvernement.
Moussa Drissa Guindo souligne par ailleurs le fait que la plupart des partis politiques conviennent de la nécessaire implication des femmes dans la politique, mais celles-ci occupent rarement des postes clés dans les organes de décision telle la présidence, le secrétariat général, etc. « En dehors de quelques cas, les femmes jouent dans les partis politiques des rôles d’animation lors des rassemblements ou sont chargées des affaires sociales et de la mobilisation sociale des membres. Il faut également souligner que les femmes sont beaucoup plus visibles dans les organisations de la société civile que dans les partis politique », fait-il remarquer. Autre entrave à l’application de la loi : les partis exigent que les candidats à la candidature fassent la preuve de leurs capacités financières.
Moussa Drissa Guindo conseille, en guise de solution, de mettre l’accent sur la sensibilisation surtout dans les régions, cercles et communes. « Il faut aussi et surtout que l’Etat s’implique beaucoup plus pour les postes de nomination », préconise-t-il, estimant que l’esprit de cette loi n’est pas bien compris. Ce qui a conduit à beaucoup d’interprétations. Si cette loi favorise certes la représentativité des femmes, elle n’est nullement faite uniquement pour les femmes.
« La loi permet d’appuyer l’égalité entre hommes et femmes. Il faudra aussi qu’on ait les 30% des femmes qualifiées et prêtes à exercer », fait observer notre spécialiste, soulignant la faible qualification professionnelle des femmes.
Moussa Drissa Guindo exhorte les femmes à se battre pour arracher l’application effective de la loi n° 052. « Cela est l’expression d’une volonté politique car cette loi donne aux hommes et aux femmes le même droit de représentativité aussi bien dans les décisions administratives que politiques », rappelle-t-il. La loi n° 052 ne doit pas être perçue comme un cadeau fait aux femmes. Il s’agit plutôt d’un simple instrument juridique pour l’équilibre de la vie en société.
MAT (AMAP)


