
Les eaux de ruissellement stagnent en certains endroits de ce quartier huppé de la capitale pendant l’hivernage
Par Fadi CISSE
Bamako, 09 mar (AMAP) L’Agence de cession immobilière (ACI) a changé fondamentalement le visage de l’ancienne zone aéroportuaire. Principal centre d’affaires de la capitale abritant les sièges de plusieurs grandes entreprises, des restaurants et des commerces, il traîne des problèmes d’assainissement et de viabilisation qui ne sont pas dignes du standing qu’il veut se donner.
Les anciens occupants que nous avons interrogés, se disent impressionnés par la mutation de l’ancienne zone aéroportuaire. C’est le cas d’Oumou Traoré, médecin généraliste rencontrée devant sa maison, non loin de la Place «CAN». Elle y habite depuis 20 ans. Notre interlocutrice trouve que l’ACI 2000 est devenu, au fil des ans, un endroit huppé avec des immeubles et autres œuvres architecturales abritant des grandes entreprises, des supermarchés, des restaurants et pâtisseries et disposant de plusieurs espaces de loisir.
Un boom architectural qui cache mal certaines tares constatées dans l’évolution de ce quartier. La quinquagénaire déplore, par exemple, l’absence de marché dans le quartier. «Il nous faut marcher à pied, chaque matin, sur la route de Djicoroni-Para pour trouver un marché et faire nos courses pour la cuisine. Raison pour laquelle, souvent, j’achète beaucoup d’articles pour les mettre au frigo», confie-t-elle. « En revanche, se réjouit-elle, il y a beaucoup de supermarchés à l’ACI 2000, dont la plus imposante est Les «Mille et Une merveilles».
Hassan Keita tient sa boutique depuis 2007 à l’ACI 2000, du côté du cimetière de Lafiabougou. «Quand je suis venu m’installer, il y avait juste quelques belles maisons en dur à côté des constructions en banco. Maintenant, avec ces grands immeubles, on se croirait en Europe», s’exclame-t-il. Cependant, le boutiquier déplore de sérieuses lacunes de voirie, notamment d’assainissement, car en saison des pluies, plusieurs routes dans ce quartier chic deviennent impraticables pour les usagers. «Faute de collecteurs, pendant la période de pluies, ma clientèle diminue car il faut franchir les eaux usées pour accéder à ma boutique. À cause de cette situation, certains de mes clients préfèrent aller ailleurs», explique-t-il.
Le sujet de l’assainissement et des nuisances revient souvent dans les commentaires lorsqu’on parcourt la documentation sur l’ACI. Le 15 avril 2009, le journal satirique ‘Le Scorpion’ titrait : « Hamdallaye ACI 2000, une belle cité insalubre ». Le journal dénonçait les pratiques illégales nuisibles à l’environnement : feux d’ordures la nuit qui polluent l’air, déversement de tas de sable ou débris de matériaux dans les caniveaux, en particulier au niveau des immeubles en chantier. L’article de presse déplorait l’odeur nauséabonde provenant des eaux stagnantes, la prolifération de mouches, moustiques, cafards, crapauds. « Un véritable taudis », selon nos confrères, où se côtoient rongeurs nuisibles et immondices !
Ces nuisances n’empêchent pas le quartier d’être très attractif. Lorsque l’on consulte le site Bamako Immobilier, des terrains sont mis en vente partout, notamment à côté d’emplacements stratégiques: Orca, Avenue du Mali, Radisson ACI, ambassade des États-Unis, Bougie Ba, Fondation Blondin Bèye, Espace Bouna, etc. Les prix s’envolent : 300 m2 cédés à 70, voire 80 millions de Fcfa, 450 m2 à 150 millions de Fcfa, 500 m2 entre 100 et 200 millions de Fcfa, 700 m2 à 300 millions de Fcfa, etc.
REGULER LE DÉVELOPPEMENT – L’aménagement du quartier de l’ACI 2000 s’inscrit dans une politique d’urbanisation au long terme. Rencontré dans sa famille, Imrane Abdoulaye Touré, a été directeur national de l’urbanisme et secrétaire général du ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat, des Domaines, de l’Aménagement du territoire et de la Population jusqu’en octobre 2021. L’homme est la mémoire vivante de l’urbanisation de Bamako depuis les années 1990.
Selon lui, au Mali, la mise en place a été tardive. C’est en 1979-81 qu’est élaboré et adopté le premier Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de Bamako, révisé ensuite en 1990 et en 1995. Cette dernière révision a fait de l’ancien aérodrome de Bamako une zone de développement, dont la mise en œuvre a été confiée à l’Agence de cessions immobilières (ACI), chargée de la viabilisation et de la vente initiale aux enchères des terrains. « En 1995-96, un plan d’urbanisation sectorielle est défini », précise Imrane Abdoulaye Touré.
Pour l’expert, ces dispositions ont constitué un progrès, car à l’époque Bamako comportait beaucoup de quartiers spontanés, nés de l’attribution de parcelles par les chefs coutumiers. «La vente aux enchères instaurait aussi une certaine transparence. Par la suite, la spéculation a décuplé le prix des terrains. Si à l’origine, ceux-ci ont pu être vendus autour de 35.000 Fcfa/m2 (70.000 au maximum), ils peuvent atteindre aujourd’hui 300.000 à 400.000 Fcfa/m2», détaille notre interlocuteur. P
récisant que la viabilisation de la zone a été correcte, Imrane Abdoulaye Touré ajoute que les carences constatées ultérieurement dans la gestion de l’assainissement sont dues à un chevauchement de responsabilités entre l’ACI et les collectivités. « Par exemple, le dépôt des ordures était prévu pour chaque lotissement, mais les collectivités n’ont pas toujours respecté ces dispositions », dit-il avant de souligner que « dans ce cas la décentralisation a accentué la dilution des responsabilités et le désordre ».
METTRE À JOUR ET APPLIQUER LES TEXTES – « D’une façon générale, relève Imrane Abdoulaye Touré, le cadre règlementaire est suffisant ». Par ailleurs, il estime que la stratégie d’urbanisation a besoin de Schémas régulièrement mis à jour (en principe tous les 5 ans). Or, il a fallu attendre 2005 pour voir une proposition de nouveau schéma directeur, et celle-ci n’a pas été suivie d’effet. «Même dans le cas actuel, on peut considérer que les textes existent, mais qu’il y a un problème d’application, dans une situation où beaucoup d’intérêts sont en jeu. Bref, il faut vraiment qu’on ait un document de planification adapté au contexte actuel», propose-t-il.
Selon l’actuel directeur national de l’urbanisme et de l’habitat, « le bilan du plan d’urbanisme de l’ACI 2000 peut être considéré comme positif, malgré quelques points d’ombre ». Amadou Doumbia note que « l’ACI a permis une modernisation et une verticalisation des constructions en vue de la densification urbaine ».
Ce qui peut être considéré comme une rupture par rapport aux pratiques de la IIè République : lotissements non viabilisés, constructions en banco, prolifération des quartiers spontanés. Pour le directeur de l’urbanisme et de l’habitat, « l’ACI a donné à la capitale malienne une physionomie plus organisée en termes de distinction entre quartiers riches et quartiers pauvres et avec la création d’un quartier d’affaires digne de ce nom en plein cœur de la capitale malienne ». À cet égard, notre interlocuteur remarque, également des aspects négatifs, notamment le changement de vocation de certains espaces, suite aux différentes modifications du plan de lotissement de la zone, ainsi que les problèmes d’inondations récurrentes (ACI 2000 et quartiers limitrophes).
Pour avoir d’amples informations relatives aux différentes préoccupations, les efforts de notre équipe sont restés vains après plusieurs tentatives de rapprocher la direction de l’ACI.
FC (AMAP)