Partage de l’héritage : Le calvaire de certaines veuves

De nombreuses veuves sont privées de l’héritage auquel elles ont droit. Pourtant, aucune loi au Mali ne dit qu’elles ne doivent pas hériter de leur mari 

Par Baya TRAORE

Bamako, 03 mar (AMAP) Il est 17h 45 minutes au quartier Attbougou 1008 Logements. La veuve de 30 ans, Kadia Fomba, est assise sur un seau devant sa concession. Ses effets personnels sont entassés à ses pieds. Elle pleure à chaudes larmes. Elle et ses enfants viennent d’être mis à la porte par sa co-épouse, quelques jours après la fin de sa viduité. Elle a vécu pendant 10 ans avec son défunt mari. 

Mais elle n’a eu aucun enfant avec lui. Selon ses dires, son malheur vient du fait qu’elle occupait la maison construite par leur époux. La première femme vivait en location avec ses enfants. Ces derniers prétextent que Kadia ne mérite pas de vivre dans la maison du mari alors que sa co-épouse est en location.  

Nous avons assisté par hasard à la dispute entre les protagonistes. Ce jour-là, Hadia Fomba portait un hidjab rouge et blanc. Elle se lamente : « Perdre son mari est la pire chose qui puisse arriver à une femme. Ne pas avoir d’enfant est la volonté de Dieu. Me mettre à la porte aujourd’hui est injuste parce que c’est la maison de mon mari et on a vécu plus de dix ans ensemble ». Immédiatement sa co-épouse réplique : « Tu as été avertie depuis que nous observions la période de viduité, mais tu as joué à la têtue. Tu récoltes ce que tu mérites ».

« Moi qui lui ai donné des enfants, je ne peux pas rester dehors à peiner pour payer le loyer et te laisser dans le confort, alors que tu n’as pas d’enfant. Je suis sa première épouse. J’ai des enfants alors la maison me revient de droit », lance la co-épouse.

Kadia n’ayant pas d’autre choix a pris ses effets pour aller habiter chez son grand frère. Elle a préféré, pour l’instant, ne pas réclamer sa part d’héritage dans les biens de son défunt mari. Elle se propose d’ester plus tard en justice.

DESHERITEES – Le partage de l’héritage fait couler beaucoup de larmes dans notre société. La plupart des veuves sont déshéritées au profit des parents du mari ou des enfants de la co-épouse.

Assitan Abdoulaye n’a pas encore dit adieu à sa tenue bleu de veuvage. Dans sa chambre, la jeune dame de 33 ans est assise, entourée de ses trois enfants respectivement de 12, 9 et 5 ans. 

La tête baissée, le visage triste, la voix tremblante, elle explique son calvaire. «J’étais la 3ème épouse. Dès le lendemain du décès de mon mari, ses parents sont entrés dans ma chambre. Ils ont emporté tous ses objets de valeur et de l’argent», se rappelle Assitan Abdoulaye. 

Après le sacrifice du 7ème jour, les enfants de son époux l’ont obligée à rendre les clés de la voiture que son époux lui avait achetée. Son appartement a été cédé au fils aîné de la famille. L’obligeant à déménager dans une chambre unique avec ses trois enfants. Même après avoir su qu’elle pouvait réclamer son héritage et celui de ses enfants, la jeune dame a préféré éviter un bras de fer avec sa belle-famille. Elle a eu peur qu’on lui rende la vie plus difficile. 

Oumou Diallo est une veuve âgée de 24 ans  qui a récemment perdu son conjoint militaire . Avec ce dernier, elle a eu deux enfants. « Après le decès de mon mari, ses parents avaient promis que son jeune frère allait m’épouser. Donc, ils m’ont demandé de ne pas retourner chez mes parents. Mais au fil du temps, j’ai compris que c’était un piège pour me priver des droits qui me revenaient dans les biens de mon mari décédé », explique-t-elle. 

Sa souffrance a commencé, un an après la disparition de son mari. Sa belle-famille s’est partagée les droits qu’on lui avait versés sous prétexte que cet argent était trop pour elle. Le jeune frère a vendu les biens du défunt, notamment, sa Sotrama et sa moto. Oumou Diallo n’a perçu aucun sou de la vente de ce véhicule de transport en commun. 

Alors qu’elle ne s’y attendait pas, un beau jour « on m’a demandé de rentrer chez mes parents, parce que j’étais jeune et que je pourrais trouver un autre mari ». « Ils m’ont dit de prendre mes enfants avec moi, en promettant qu’ils allaient assurer leurs dépenses mensuelles. Je voulais partir avec le matelas et la télévision mais ma belle-mère a refusé. Elle a dit que ces objets n’étaient pas dans mon trousseau de mariage quand je suis arrivée», se souvient notre interlocutrice.

Depuis qu’elle a quitté sa belle-famille, il y a neuf mois, aucun membre de cette belle-famille n’a rendu visite aux enfants. Personne ne leur a envoyé de l’argent. La veuve Oumou Diallo croit fortement en Dieu. Elle est convaincue que chacun suit son destin. Elle fait ce qu’elle peut pour subvenir aux besoins des enfants grâce à la pension de son époux.  

Le marché de Ouolofobougou grouille de monde. C’est en ce lieu que Bintou Tounkara, une veuve, gagne son pain et arrive à subvenir aux besoins de ses enfants et petits enfants. Son commerce exige des déplacements. La malchance l’a frappé, un jour. Il y a 7 ans,  à la suite d’un accident de la circulation, ses deux cuisses ont été fracturées. La sexagénaire à la taille imposante a de la peine à se débarrasser des tourments de sa vie. Elle explique qu’elle vivait avec son mari dans un pays de l’Afrique centrale avec leurs quatre filles. Après le décès du mari, Bintou Tounkara et ses enfants sont rentrés au Mali avec la dépouille. 

« Après mon veuvage, quand j’ai refusé d’épouser le jeune frère de mon époux, la belle-famille m’a interdit de retourner à l’extérieur du Mali avec mes enfants. Je suis donc restée pour assurer l’éducation de mes filles », relate Bintou.

Son mari avait trois maisons dont deux en location. La troisième leur servait d’habitation pendant leurs séjours au Mali.  « Quant j’ai voulu déménager dans la maison qui nous servait de logement pendant nos séjours, les parents m’ont fait savoir qu’il l’ont vendue. Quant aux logements en location, l’un de mes beaux-frères m’a dit qu’il n’avait pas de compte à me rendre parce que mes enfants étaient toutes des filles», raconte la sexagénaire. 

Cette pratique qui consiste à priver les veuves de l’héritage auquel elles ont droit, devient de plus en plus préoccupante dans notre pays. La commissaire des droits de l’Homme à la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), Me Fatimata Dembélé Djourté, regrette que beaucoup de ces femmes ignorent leurs droits et sont sans défense au moment des faits. 

«Aucune loi au Mali ne dit que la femme ne doit pas hériter de son mari. Si on fait valoir la coutume comme mode d’héritage, c’est une inégalité grave qui doit disparaître», insiste l’experte de la CNDH.

Pour la commissaire des droits de l’Homme, les  causes de ce phénomène sont la perception que la société elle-même a de la femme en tant que personne humaine et de son rôle dans la société. Elle ajoute que dans les familles, s’il y a un décès, le bien n’est pas partagé, on donne tout à un frère ou au fils aîné qui en dispose  comme il veut. La veuve et ses enfants sont laissés de côté. 

 ACTE DE MARIAGE – Selon Me Fatimata Dembélé Djourté, le plus souvent, la belle famille pense que si elle donne une part des biens du défunt à la femme, celle-ci les livrera à son nouvel époux. Il y a, également, le fait que la femme est considérée comme une éternelle étrangère malgré le rôle essentiel qu’elle occupe dans le foyer.

Un autre facteur contribue à cette violation des droits de la veuve. C’est le refus de certaines femmes de se remarier à un beau-frère. Il y a, aussi, le fait que certaines femmes ne disposent pas d’acte de mariage. «Même si elle fait un mariage religieux, l’Etat lui refuse la pension de réversion du mari, parce qu’on suppose qu’elle est sous la responsabilité d’un autre mari qui prend en charge toutes ses dépenses, Ce qui n’est pas la réalité», dénonce la juriste. 

Pour remédier à cette situation, Me Fatimata Dembélé Djourté propose une sensibilisation à grande échelle sur le phénomène pour que la population sache que c’est une violation de la loi. La sensibilisation doit se faire au niveau des mosquées pour qu’on fasse le mariage dans les règles prévues par la loi et le Code du mariage et de la tutelle.

La juriste insiste sur la force de la loi dans ce domaine : «Si la femme fait valoir l’acte de mariage, on peut prendre cela en considération au niveau du tribunal». Plus de couple sans acte de mariage ? C’est possible.

BT (AMAP)