Par Moulaye SAYAH
Tombouctou, 19 nov (AMAP) Dans la culture vestimentaire de Tombouctou, dans le Nord du Mali, il y a plusieurs habits qui ont des noms d’origine maghrébine, fruit du brassage culturel. Au-delà du vêtement, certains ont de la valeur. Il en est ainsi du « wakya tein» qui est un boubou brodé à la main. Sa confection peut durer plus d’un an. Il n’est pas permis à tout le monde de le broder à la main. Dans le passé, ce sont les marabouts qui faisaient ce travail.
Les ateliers de broderie sont connus et répertoriés dans la ville. Dans un temps récent, il y avait sept grands ateliers de broderie à la main. De nos jours, seul un résiste encore à la concurrence des machines à broder modernes. C’est celui d’Oumar Alkoye dans le quartier Djingareyber.
Pour enfiler le «wakya tein » il faut vraiment avoir une certaine surface financière et être d’une classe sociale assez élevée, car le coût peut atteindre environ 600 000 de nos francs. Prohibitif ! En plus, pendant tout le temps que prendra la confection de l’habit, celui qui en a fait la commande entretient quotidiennement l’artisan-brodeur commis à la tâche.
Comme matériaux, il faut des bandes d’étoffe en cotonnade, du fil, de la soie provenant de Fez (Maroc) et comme outils, une paire de ciseaux, un dé, une aiguille.
L’apparition de cet habit dans la ville remonte aux XVème et XVIème siècles, selon Salem Ould Elhaj, un historien chercheur de la ville. Il affirme qu’à cette époque, le travail du boubou était réservé aux professeurs de la célèbre Université de Sankoré de Tombouctou.
Il explique que sur ce vêtement, il y a des figures géométriques et des cases qui correspondent aux 99 noms de Dieu, d’où son importance au plan religieux.
Mahalmoudou Baba est un tailleur très en vue de la place. Il raconte : « Par le passé, il a été constaté que les gens portaient des bagues et les talismans pour se protéger et à d’autres fins alors que ces objets contiennent des secrets tirés de noms Dieu. Entrer dans les toilettes avec des gris-gris de ce type n’est pas convenable, au regard de la grandeur des noms de Dieu. C’est ainsi que les ulémas, les marabouts et les professeurs de l’époque ont convenu de transposer ces noms de Dieu sur le boubou ». « Là, au moins on est sûr que celui, qui porte cet habit, va l’ôter afin de ne pas s’encombrer dans les toilettes », explique notre interlocuteur.
SECRETS ET CROYANCES – Selon lui, le boubou cache beaucoup d’autres secrets. Selon lui, le «wakya tein » protège contre tous les mauvais sorts. « Quelle que soit l’assemblée dans laquelle tu te trouves, tu parais bien aux yeux des gens. Tu es écouté et respecté », soutien Mahalmoudou Baba. Il va plus loin, en soutenant que cet habit, lorsqu’il se trouve dans une maison, un voleur peut tout emporter sauf le boubou. « Quand il y a incendie, il ne brûlera pas. Lorsqu’une embarcation chavire, la valise dans laquelle se trouve le ‘wakya tein’ flottera », poursuit le tailleur, renforçant une croyance populaire.
Mahalmoudou me fait comprendre que seul le vrai «wakya tein » a ces pouvoirs. Le boubou aux si vastes vertus existe en modèle pour hommes et celui pour dames également.
Un vieux boucher de la place, Hamèye, m’a raconté que dans l’héritage d’une famille, il y avait un «wakya tein ». Tous les héritiers voulaient l’avoir. Il n y a pas eu de consensus, Finalement, c’est une tierce personne, étrangère à la famille mais connaissant la valeur de l’habit, qui a déboursé la somme de 300 000 Fcfa, pour l’acquérir. Ce dernier a dit à ses amis que c’est un cadeau du ciel.
Les habitants d’ici s’en souviennent encore. En 1994, un vieux a exposé, au cours d’une soirée culturelle à Tombouctou, en présence du ministre Bakary Traoré « Pionnier » un boubou « Wakya tein » qui avait 100 ans. Des personnalités de l’époque ont proposé jusqu’à 900 000 Fcfa mais le propriétaire a décliné l’offre.
Il y a encore des familles de Tombouctou qui en ont dans les maisons, jalousement gardés et qui ne supportent plus les déplacements ou les manipulations.
Avec l’avènement des machines à broder et le basin riche, le «waky atein » est dévalué au détriment de pâles copies qui ne coûtent que 125 000 Fcfa. Ils n’ont pas les mêmes valeurs et propriétés que ceux brodés à la main. Compte tenu du coût, beaucoup de Tombouctiens s’habillent avec ces créations contrefaites.
Beaucoup de personnes (marabouts, imams, notables, chefs coutumiers, des personnes âgées) que nous avons approchées en savent peu sur l’habit. D’autres répondent, à vos questions, par un sourire sibyllin, comme pour ne pas dévoiler un secret.
Ici tout le monde s’accorde à dire que le «wakya tein » n’est pas un boubou ordinaire. Même cousu dans le basin riche, il est porté pendant les grands jours (fêtes religieuses) et jours exceptionnels (mariages baptêmes, réceptions), entre autres.
MS (AMAP)